NETTALI.COM – Dans l’histoire politique du Sénégal, jamais des chiffres n’ont autant circulé qu’en cette journée du dimanche 24 février 2019, jour de scrutin présidentiel. Et même pendant les jours qui ont suivi. Des chiffres, il y en a vraiment eus. Et ce ne sont pas les Sénégalais qui s’en sont plaints, curieux qu’ils étaient de connaître très vite, les tendances qui se dessinaient dans cette élection à grand enjeu.
C’est de coutume, les journalistes déployés sur le terrain, ont rapporté les résultats issus des bureaux de vote, au fur et à mesure qu’ils tombaient. L’objectif était naturellement d’informer le public et de veiller dans la foulée, à la transparence de l’élection.
Quelque décriés qu’ils aient pu être, les médias ont le mérite d’exister. Qu’aurions-nous fait sans eux ? Nous les aurions tout simplement inventés. Là où on ne les attendait certainement pas dans cette élection, c’est dans la confusion qu’ils ont créée, en ces moments de surenchère de la part des différents états-majors politiques, soutenue en cela par les sites d’informations en ligne et les réseaux sociaux. Pourquoi diantre, le Président sortant et ses camarades de parti, avaient-ils tant besoin de crier et de rabâcher, en amont de l’élection et dans un mouvement d’ensemble, coordonné et planifié, qu’ils gagneraient au premier tour ?
C’est justement dans ce contexte que la presse se devait d’être prudente, surtout avec ce brouhaha aussi électrique que tendu, afin d’éviter d’être accusée de connivence. Mais comment demander à un médium de résister à la tentation de ne pas générer de l’information ? Une requête quasi impossible certes, mais la sensibilité de certains évènements requiert tout de même une petite dose d’intelligence des situations.
En tout cas, dans cet imbroglio médiatique, le Groupe futurs médias de l’artiste Youssou Ndour est sans doute celui qui a le plus fait les frais du lynchage médiatique. Gfm en a pris pour son grade, accusé du crime de connivence pour avoir donné des tendances (48,68% en faveur de Macky Sall) et affirmé par la suite que les résultats allaient évoluer.
Idrissa Seck et Ousmane Sonko ont vu dans cet acte, une action de communication en faveur du candidat sortant visant à accréditer une victoire au premier tour. Une publication des résultats que Momar Seyni Ndiaye, consultant pour la Sen Tv, assimilera à de la «précipitation». Rejoint en cela par Momar Diongue, autre consultant sur le même plateau. Ce jour-là, les deux Momar ont même estimé que le médium aurait dû se limiter aux faits en relayant les résultats sortis des bureaux de vote sans tomber dans des tendances. Ce procédé a pourtant déjà été expérimenté par le passé, pourraient leur rétorquer certains !
Rfi et France 24, ces médias français eux aussi, n’ont pas échappé à la furie d’Ousmane Sonko qui n’a pas hésité à les prévenir de «toute velléité de participer à la confiscation du vote des Sénégalais», avant de réclamer «du respect» puisque selon lui, «Macky Sall fait les affaires des Français». Sacré Sonko, un vrai éléphant dans une maison de porcelaine. Il casse tout sur son passage, lorsqu’Idrissa Seck préfère parler «d’une certaine presse». Accusé d’être immature et fougueux, il semble que le côté cash chez ce jeune leader soit une nature, face à un Idy plus énigmatique et plus nuancé.
Loin d’être dans un corporatisme de mauvaise foi, il faut juste souligner que Gfm est quand même peuplé de journalistes, connus pour être intègres et professionnels. Souleymane Niang qui était sur le plateau ce jour-là, jouit d’une très bonne réputation professionnelle et d’intégrité ; Sarah Cissé aussi. Daouda Mine qui dirige Igfm, autre segment du groupe, est tout aussi exemplaire et sérieux. La liste des journalistes que l’on pourrait citer, est longue. On vous l’épargnera donc.
Ce qui semble toutefois porter préjudice à l’image de Gfm, c’est certainement l’engagement affirmé de Youssou Ndour aux côtés de Macky Sall. Un engagement qui ne saurait toutefois laisser penser que les journalistes chez Gfm sont tous aplatis.
La guerre des chiffres qui avait déjà eu lieu, s’était à partir de ce moment-là accentuée, ponctuée par des tableaux Excel à la provenance douteuse, les uns aussi différents que les autres, mais aussi et surtout de «fake news». Des vidéos ont circulé sur le net montrant toutes sortes d’irrégularités. Bref, une confusion indescriptible, telle une toile d’araignée dans laquelle même le journaliste d’investigation le plus futé, se serait perdu.
Ce qui n’a surtout pas arrangé les choses, c’est la sortie du Premier ministre Boun Abdallah Dionne annonçant un score de 57% qui signifiait une victoire de Macky Sall au premier tour et qui venait aussi accréditer cette communication de Benno Bokk Yakaar bien avant l’élection et la campagne électorale. Une sortie qui lui a valu de très sévères critiques puisque tout Premier ministre qu’il est, il ne devait pas parler en l’air. Il avait prévu 57%, c’est le chiffre provisoire de 58,27% qui a été attribué à son candidat. A priori, pas de différence ! Dionne avait annoncé que seuls 5 candidats iraient en compétition, c’est ce qui a eu lieu ! Me El Hadji Diouf, ce soutien de la dernière minute de Macky Sall, annoncera un chiffre différent, 62% en faveur de son candidat. Le cumul de pourcentages de Seneweb de 112%, fera rire sous cape. On peut aussi relever cette note d’excuse de L’Observateur relative à des chiffres qu’il avait publiés et qui avait fini par parler «d’erreurs matériels». Lorsque son groupe est accusé de connivence, c’est là qu’il faut être prudent !
Après ce fut l’épisode de la proclamation des résultats provisoires de l’élection avec un Demba Kandji qui ne serait pas serein. A ses détracteurs, l’on est tenté de dire qu’il doit bien avoir l’habitude, monsieur le juge ! Il y a eu aussi cette bourde monumentale de Me Moussa Diop qui s’en est pris à Touba avant que Moustapha Cissé Lô ne lui emboîte le pas avec un «je m’en f…. de Touba».
Sur les réseaux, une vidéo a circulé évoquant une « publication de résultats en faveur de Mack Sall planifiée entre la Russie, la France, Yayi Boni côté observateurs, Assane Diop pour RFI, TFM » que la sortie de Sonko contre les médias français RFI et France 24 aurait éventée. Cette vidéo relayait « une volonté de faire main basse sur les ressources immenses du Sénégal ». On aura tout vu, tout entendu dans cette élection.
Bref, dans cette couverture de ce scrutin du 24 février, c’est à un concert de réprobations entre partisans et adversaires, de prévisions qu’on a assisté jusqu’à ce rejet des résultats par l’opposition qui n’a pas cru bon de faire un recours jugé inutile devant le Conseil constitutionnel. Juste «quelques observations», selon le juge Demba Kandji. La mandataire d’Idrissa Seck ne donnera même pas signe de vie à la Commission nationale de Recensement des votes.
Les Sénégalais auront donc assisté à une élection avec ses résultats certes, mais une élection des plus confuses et au décryptage qui risque d’être fastidieux.
De l’amateurisme, il y en a eu dans la couverture médiatique de cette élection ; de la connivence aussi ; des médias qui se sont évertué à jouer la carte de l’équilibre, également. Les journalistes ne sont ni à considérer comme des prophètes, ni des anges et encore moins des gens malhonnêtes. La presse est en effet une entité de la société sénégalaise, elle est à l’image de cette société pour ne pas dire un Sénégal en miniature.
L’élection passée, et même s’il reste quelques petits os à ronger, la presse a de nouveau enfourché son cheval et est repartie dans la course à l’information. L’éternel débat sur un possible troisième mandat, a comme par enchantement, ressurgi, alors qu’elle devrait plutôt chercher à l’éventer au risque de le transformer en réalité. Il est temps qu’elle sache choisir ses combats, faire de l’investigation et cesser d’être une caisse de résonance.