NETTALI.COM - Bakary Sambe, enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, par ailleurs directeur du think-tank Timbuktu Institute, pense que si Idrissa Seck s’est retrouvé avec un bon score terminant 2e après Macky Sall, c’est parce qu’il a réussi à convaincre l’électorat mouride.
Dans une analyse faite sur les colonnes de «Jeune Afrique», le spécialiste des religions explique qu’en plus d’être un individu affilié, l’électeur sénégalais est surtout un citoyen social qu’il faut toujours appréhender dans un environnement fait de logiques d’appartenance. «Le vote mouride fait partie de ce que l’on appelle les votes homogènes : il est motivé par une fibre d’appartenance et d’identification à une communauté religieuse. C’est pourquoi les régimes successifs ont toujours cherché à obtenir les faveurs de cet électorat. Abdou Diouf en a bénéficié en 1988 de manière spectaculaire, avec le fameux « ndiguel » [consigne] du khalife général de l’époque, qui avait déclaré solennellement que quiconque ne voterait pas pour Abdou Diouf trahirait le message de Cheikh Ahmadou Bamba [fondateur du mouridisme]. En dépit des difficultés qu’il traversait à l’époque, du fait des politiques d’ajustement structurel et de la crise économique, Abdou Diouf avait été largement réélu dès le premier tour», analyse-t-il.
Abdoulaye Wade, ajoute-t-il, a renouvelé son allégeance au khalife dès son arrivée au pouvoir. Mais il a surtout privilégié, comme personne avant lui, la relation entre le système étatique et la confrérie. «Sous Wade, les mourides étaient au centre de l’État. Cette relation entre l’électorat mouride et Abdoulaye Wade était si forte que c’est la seule région où Macky Sall n’a pas été en tête au second tour en 2012. Malgré l’absence de « ndiguel », le khalife général est très courtisé à chaque élection. En 2007, Abdoulaye Wade a fait croire à une consigne implicite en faisant diffuser en boucle, sur la RTS, la déclaration du guide religieux le remerciant des chantiers entamés à Touba, ajoutant qu’il les achèverait après la présidentielle. Pendant cette même campagne, on a aussi assisté à une forme de manipulation des symboles religieux et confrériques, et pas uniquement de la part parti au pouvoir», dit-il.
Il explique qu’à Diourbel, la fibre d’appartenance au mouridisme l’emporte de loin sur les logiques politiques.
Selon lui, c’est ce que Idrissa Seck a compris. Et a joué cette carte durant le présidentielle de 2019.
« Bien que diplômé de Sciences Po et de Princeton, Idrissa Seck a une profonde culture coranique et a été perçu comme un candidat issu des daaras, ce qui est important au Sénégal dans la guerre des perceptions entre « école française » et « école coranique ». Dans son discours à Mbacké, Idrissa Seck a revendiqué un programme inspiré des écrits fondateurs de Cheikh Ahmadou Bamba. Et durant sa campagne, il a puisé dans le référentiel mouride pour présenter son projet de société, ce qui a fait mouche», analyse-t-il. L’analyste explique que ce n’est qu’entre 2016 et 2017 qu’Idrissa Seck a rendu publique son allégeance à Cheikh Ahmadou Bamba. Mais avant même cela, il avait des liens privilégiés avec la famille de Darou Minam, à laquelle appartient l’actuel khalife. Il a bénéficié d’un jeu d’influences important au sein de la communauté, et aussi du fait que la population de Touba n’a jamais digéré ce qu’elle considère comme des gestes d’irrespect de la part de Macky Sall.