NETTALI.COM - Léopold Sédar Senghor ne croyait pas si bien dire en présentant le Sénégal comme un « pays de dialogue ». Les régimes se succèdent, les années passent sans que le peuple Sénégalais ne veuille s’inscrire dans une logique de changement d’attitude. A y réfléchir de près, le Sénégal est un pays peuplé de gens dont la seule voie de règlement des différends, des antagonismes et conflits, est la négociation. Pardon, le dialogue. L’objectivité et la responsabilité sont rarement présentes dans le discours. Cela semble même être un trait de culture, une nature.
Dans le pays de Senghor, on aime bien à tourner autour du pot, enrober les messages et utiliser le discours diplomatique. Rarement, on vous dira les choses en face. Jamais l’on ne vous parlera directement avec toute la franchise requise : métaphores, allégories, proverbes, adages, c’est toujours la même teneur des discours ponctués de précautions de langage et d’atténuations des propos : « ce n’est pas grave », « ça ira Incha ‘Allah », « Dieu est grand », « remettons les choses à Dieu, etc ». Comment la politique que l'on a réduit, dans ce pays, à un jeu de manipulations, de contorsions ainsi qu'à une affaire de circonstances, pourrait-elle dès lors échapper à ce trait culturel sénégalais très marqué ? On aime les politiciens tant qu’ils sont des « victimes », on les oublie, une fois qu’ils finissent d’en être !
Macky Sall a récemment appelé au dialogue politique, suite à la confirmation des résultats de l’élection présidentielle par le Conseil Constitutionnel. Son discours, le premier après sa victoire, a été un appel au dialogue largement relayé dans les médias (presse écrite, télévision, radios, sites d’informations en ligne, etc). La classe politique, opposition comme alliés du Président, société civile, personne n’a été indifférent.
Quelle que soit l'ambiance qui puisse peser en ce moment, c’est la belle saison pour les médias, un moment de frénésie informationnelle où tout est prétexte à commentaires, analyses, éditos de toutes sortes, sur les plateaux télés, les studios et rédactions. On génère de l’information à tout prix pour maintenir les lecteurs et téléspectateurs dans le temps fort de l’après campagne. Il faut jouer les prolongations, ronger les os qui restent. De la météo politique la plus douteuse à celle qui semble la plus vraisemblable, tout y passe.
Une attitude et orientation médiatique que les acteurs politiques, analystes en tous genres et membres de la société civile, ont si bien compris, qu’ils investissent les antennes, écrans et tribunes des journaux pour livrer leurs opinions et faire mousser les idées en conformité avec leurs intérêts du moment.
Le pouvoir qui sort d’une élection avec une victoire contestée et « sans gloire » comme diraient certains, ne manque pas de saisir la balle au rebond pour relayer ses idées grâce à la machine de la communication, coordonnée et planifiée, mise en place pour faire passer les pilules déjà bien amères à avaler. Ils ont ce génie, les politiciens, celui de lancer des ballons de sonde pour tâter le pouls du peuple, faire réagir la société civile et utiliser la classe maraboutique comme caution, afin d’arriver à leurs fins.
Même le très libre médiateur de la République, Alioune Badara Cissé par moments, critique à l’endroit de la gouvernance de Macky Sall, a volé au secours de son compagnon. Dans ses apparitions médiatiques, il a milité en faveur d’un dialogue ouvert à Khalifa Sall et Karim Wade. Il ira même jusqu’à invoquer les bons sentiments : « Dans sa volonté de donner corps à cet appel, pour le rendre effectif à brefs délais, il est impérieux que notre ami et frère Khalifa Sall puisse retrouver sa vieille mère, sa famille et sa dignité »
Même son de cloche chez Modou Diagne Fada, lequel, dans un entretien accordé au quotidien, L’Observateur, a émis son souhait de voir le Président Macky Sall, amnistier Karim Wade et Khalifa Sall.
Le député libéral, Toussaint Manga, abondera dans le même sens, estimant qu’on ne peut pas dialoguer en l’absence de Karim Wade, le candidat de la première force de l’opposition et en maintenant en prison un autre opposant, le député-maire de Dakar.
Me Aïssata Tall Sall a rappelé que ce « pays a toujours été un pays de dialogue ». « C’est dans notre tradition républicaine et je peux le dire ainsi…», campera le décor l’alliée de la dernière heure. Elle a tout dit.
On a bien compris qu’après la pluie, c’est le beau temps. Et l’on ne peut manquer de se demander si l’on a affaire aux mêmes personnes. Les politiques d’hier qui ont été si prompts à accabler Khalifa Sall et Karim Wade, aux plus forts moments de leurs démêlés judiciaires, ont brusquement changé de cap, de veste ! Ainsi va la politique. Ceux-là que le pouvoir avait utilisés pour asseoir la culpabilité des deux, ce sont ceux-là mêmes qui demandent l’élargissement de l’un et l’amnistie de l’autre. C’est à ne rien comprendre.
Abdoulaye Wade, n’avait-il pas demandé à sa récente descente d’avion, pendant la campagne électorale, de brûler les cartes nationales d’identité et bulletins de vote, avant de tempérer son discours. Il finira par appeler à voter certes, mais en défaveur de Macky Sall et Madické Niang. Le « wax waxeet » semble être une nature chez Wade. Attention, le VAR n’est pas loin. Mais, Enfin, il n’est pas le seul !
Le dialogue politique devient finalement un moyen, une ruse pour Macky Sall, pour récupérer une légitimité contestée, en même temps qu'un moyen de s’ouvrir un boulevard pour gouverner, avec la bonne conscience qu'on a réconcilié les cœurs ! Surtout par rapport à l'indifférence des adversaires qui n'ont pas jugé utile de déposer un recours, et encore moins de chauffer la rue pour manifester leur opposition.
Ainsi va le Sénégal, la probable conséquence de tout cela, est que Khalifa Sall soit bientôt élargi ; que Karim Wade bénéficie d’une amnistie ou rentre tranquillement au bercail sans nos 136 milliards ! Idrissa Seck pourra toujours dire que le "deal" qu’il avait évoqué avec fracas, est finalement bien réel.
Il y a, qu'on le dise ou pas, quelque chose de pas clair entre Wade et Macky ! Au royaume du clair-obscur, c’est toujours le peuple qui trinque, surtout si ses politiques sont à ce point, souples !