NETTALI. COM - Un remède qui engendre un mal. Ce ne serait pas trop exagéré de qualifier ainsi la lutte contre le terrorisme. Ce, au regard des nombreuses personnes qui ont fait les frais de cette répression. La majorité des personnes arrêtées jusque-là, ont fini par un acquittement intervenu au bout de plusieurs années de détention préventive. Du coup, elles sont devenues les victimes d’une loi ou d’une lutte au détriment de leurs droits et libertés. Article paru dans l'EnQuête de ce vendredi.
Le Sénégal est l’un des rares pays africains à être épargné par des actes de terrorisme. Avec la montée de ce phénomène, il a mis les bouchées doubles par le renforcement de son arsenal juridique et la formation des forces de défense et de sécurité et autres acteurs. D’ailleurs, son engagement a fait que notre pays a été désigné comme « un excellent élève » en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.
La mention lui a été décernée par Sophie Hatt, Présidente de Francopol, un réseau international francophone de formation policière. C’était à l’ouverture du 5e Congrès international de Francopol tenu à Dakar le 17 octobre 2018.
Sur la pratique de la lutte, les arrestations se sont multipliées et font l’effet d’une bombe. C’est le buzz à chaque fois que des personnes soupçonnées de terrorisme ou de connexions avec un réseau de terroristes sont appréhendées. Seulement, lorsque ces dossiers dits « sensibles » atterrissent à la barre des juridictions sénégalaises, ils finissent comme un ballon de baudruche avec des acquittements à la clé.
Le pire, ces décisions arrivent tardivement, puisque les personnes accusées ne sont jugées qu’après plusieurs années de détention préventive. Les cas foisonnent et cette situation ne date pas d’aujourd’hui, mais bien avant même la réforme de la loi sur le terrorisme, en 2016.
A titre illustratif, il y a l’affaire du Canadien Saïd Ali Mouhamed et son co-prévenu sénégalais Mouhamed Gassama. Ecroués pour terrorisme et blanchiment de capitaux, ils ont passé quatre années en prison, avant d’être blanchis par la justice sénégalaise, le 30 juillet 2015.
Plus récemment, il y a le dossier imam Alioune Ndao. Après avoir tenu l’opinion en haleine pendant 2 ans et 8 mois, l’affaire a fini presque en eau de boudin. En fait, dans ce dossier, l’imam avait été accusé, avec 28 autres personnes, des crimes d’association de malfaiteurs en relation avec des réseaux terroristes, acte de terrorisme, financement du terrorisme, apologie du terrorisme et blanchiment de capitaux. Mais toutes ces accusations sont tombées comme un château de cartes pour l’essentiel des accusés, car 16 personnes dont le religieux avaient été acquittées.
Imam Boubacar Dianko, le cas le plus pathétique
L’étudiant Ousseynou Diop et l’élève Saër Kébé font partie du lot. Incarcérés pendant quatre ans pour apologie en sus d’acte de terrorisme pour le second, ils ont été blanchis de ces accusations, à l’issue de leur procès. Tous les deux se sont retrouvés avec une condamnation de 3 mois assortis du sursis pour menace.
Imam Boubacar Dianko pourrait être le cas le plus pathétique, car le maître coranique bat le record de longévité. Présenté comme une personne ayant des liens de connexion avec le Mujao, le maître coranique a passé six ans en prison dans l’attente de son procès. Jugé le 27 mars dernier, il a été tout simplement acquitté par la Chambre criminelle spéciale dans son verdict rendu ce mercredi 10 avril. Les juges ont estimé « qu’il y a des doutes sérieux quant à son affiliation avec le Mujao.»
Et pourtant, comme toutes les autres personnes accusées de terrorisme jusque-là et acquittées, il a fallu aux juges quelques heures de débat d’audience pour se rendre compte que les individus dont ils sont chargés de juger ne sont pas aussi dangereux qu’ils sont souvent présentés dans les procès-verbaux (Pv) d’enquête préliminaire. Loin de mettre en cause le professionnalisme des enquêteurs, leur responsabilité est engagée dans ce que subissent certains justiciables. Même si le Pv ne sert qu’à titre de renseignement, comme les juristes aiment le dirent souvent au prétoire, il oriente généralement le dossier.
« Accusés lourdement chargés par l’enquête»
Les « indices concordants » sont souvent tellement lourds qu’il est difficile, pour le parquet, de ne pas ouvrir une information et confier le dossier à un juge d’instruction. La mission de celui-ci est de faire des investigations nécessaires en vue de réunir tous les éléments permettant de déterminer si les charges à l’encontre des personnes inculpées sont suffisantes pour qu’elles soient jugées. Mais force est de constater que cette tâche n’est pas bien exécutée par ces magistrats qui n’ont pas des contraintes de délai, en matière criminelle. Ceci, à la différence des officiers de police judiciaire qui ne disposent que de 4 jours, soit 96 heures renouvelables.
Dans tous les cas, les juges d’instruction sont critiqués parce qu’accusés de ne pas jouer véritablement leur rôle qui est d’apporter une lumière au dossier, en comblant les limites de l’enquête préliminaire (Cf. ‘’EnQuête’’ du 12 juin 2018).
Avec le dossier imam Ndao, nul n’a besoin d’être juriste pour réaliser qu’il n’y a pas eu de plus-value avec l’instruction. Sinon, comment comprendre que certains accusés sur qui pesaient de lourdes charges aient passé moins de 30 minutes ou même un quart d’heure à la barre, durant l’instruction d’audience ? Comment comprendre aussi que les champs d’imam Ndao, présentés comme les lieux d’entrainement des djihadistes, n’aient pas fait l’objet de perquisition pour y trouver éventuellement du matériel militaire ou d’entrainement ?
C’est dire que les Opj et les juges d’instruction ont une grande responsabilité, si des justiciables sont victimes de la lutte contre le terrorisme. Mais également, le parquet qui est le maître des poursuites.
D’ailleurs, réagissant à l’acquittement de son client Saër Kébé, Me Moussa Sarr n’a pas manqué d’interpeller ces derniers. Surtout au procureur et aux Opj, il les invite à faire preuve de « lucidité et de discernement dans la lutte contre le terrorisme, pour que des citoyens ne subissent plus une arrestation préventive qui est illégale .»
Pour cela, Me Assane Dioma Ndiaye pense que le législateur devrait mieux définir l’apologie au terrorisme. « Au Sénégal, nous n’avons pas encore des actes intrinsèques au terrorisme, comme la séquestration des personnes ou les bombardements. Tous ceux qui sont poursuivis le sont pour apologie et d’actes assimilés au terrorisme. Je pense que le Code pénal devrait définir de manière beaucoup plus claire le terme apologie », disait-il lors d’un séminaire organisé à l’intention des membres de l’Association des chroniqueurs judiciaires (Ancj).
Loi scélérate et discriminatoire
Cette précision s’impose dans un pays à majorité musulmane où certains soutiennent qu’on ne peut pas faire de prêche sans appeler à un djihad.
D’autre part, il y a la liberté d’expression conférée par la Constitution. Une liberté rendue presque effective par la magie des réseaux sociaux qui fait que les citoyens n’hésitent pas à exprimer leurs sentiments, mais au détriment de leur liberté. C’est le cas d’Ousseynou Diop et de Saër Kébé accusés d’apologie au terrorisme à cause de commentaires postés sur Facebook. Tous les deux ont expliqué qu’il s’agit de commentaires pour exprimer des sentiments. Dommage. Pour les autorités judiciaires, c’était de l’apologie.
Le pire, pour moins que ça, notamment un « J’aime », un individu s’est retrouvé à la barre pour apologie au terrorisme. Il s’agit de Daouda Dieng, un des coaccusés de l’imam Ndao dont le seul tort a été d’avoir liké une publication d’un terroriste du nom d’Abu Hamza.
L’autre élément qui fait que les organisations de défense des Droits de l’homme jugent scélérate et discriminatoire la loi sur le terrorisme, c’est le délai de garde à vue. Il peut aller jusqu’à 12 jours. « Une personne qui est gardée à vue pendant 12 jours, devient vulnérable. Il y a des risques et on peut même parler de tortures morales, dans ce cadre. Ce qui constitue une atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, car le délai de garde à vue pour les droits communs, c’est 48 heures renouvelables », fustigeait le président de la Ligue sénégalaise des droits humains, lors de ce séminaire cité supra.
C’est dire qu’en matière de lutte contre le terrorisme, il y a une sorte de blanc-seing au détriment des libertés et des droits des justiciables.