NETTALI.COM - Par-delà le souci d’efficacité servi en alibi, la suppression de la Primature cache-t-elle une nécessaire remise en ordre dans le protocole d’Etat ? Le Président se débarrasse t-il ainsi d’un chef de gouvernement aux airs de prince héritier saoudien devenu encombrant ? Celui-ci aurait fini par porter ombrage au chef de l’Etat, à force de durer au poste. Macky Sall, pour mieux marquer son territoire, a appliqué à la technostructure administrative la « structuration horizontale » en vigueur à l’Apr et se retrouve seul maître à bord.
Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf ont tous expérimenté la « stratégie du fusible », en envoyant au charbon un Premier ministre pour éviter soigneusement, de toucher aux patates chaudes. On se rappelle que le jeune Pm Abdou Diouf a bravé courageusement les affres de la sécheresse et du choc pétrolier entre 1970 et 1980, pendant que le poète-président s’occupait de la rédaction d’élégies. Diouf, lui-même, devenu président, va laisser son ami Habib Thiam monter au front pour tenter d’endiguer les contrecoups néfastes des politiques d’Ajustement structurel.
Il était arrivé un moment où le chef de l’Etat était perçu comme un roi placé si haut qu’il ne pouvait appréhender le réel vécu par la plèbe aux pieds de son trône. N’a-t-on pas prêté à Abdou Diouf, alors enfermé dans sa tour d’ivoire, d’ignorer que des sachets de lait en poudre se vendaient à 25 F au Sénégal, à cause de la misère consécutive à la dévaluation du Cfa en 1994 ?
On était à l’âge du Pm aux airs d’un prince héritier d’Arabie Saoudite dont le rayonnement portait ombrage au Roi réduit à inaugurer les chrysanthèmes. C’est de cet isolement dont souffrait, en silence, Senghor, en écartant Mamadou Dia.
Avec Wade, cette tradition du président solitaire a perduré un peu, jusqu’à la primature de Idrissa Seck. Idy remercié en avril 2004 sur fond de dualité supposée au sommet, le président de la République reprit les choses en main et délègue, à titre officieux, beaucoup de pouvoirs à son fils Karim, dont l’envergure éclipsa les successeurs de Seck, de Macky Sall à Me Souleymane Ndéné Ndiaye.
Formé à l’école du pape du Sopi, le président Sall se débarrasse vite de deux fortes têtes qui se sont succédé à la tête du gouvernement : Abdoul Mbaye et Mimi Touré. C’est ainsi qu’il jeta son dévolu sur un technocrate effacé, en l'occurrence Mahammed Boun Abdallah Dionne. Soudainement, celui-ci a semblé prendre de la bouteille au bout de quelques années en s’offrant une sorte de dédoublement fonctionnel, qui le mit dans la peau d’un numéro 2 du régime, investi de responsabilités politiques immenses, au point de passer, en février 2019, pour le directeur de campagne du président de la République sortant. Dionne a-t-il été grillé par son excès de zèle ? En tout cas, il se permettait des déclarations politiciennes incendiaires qui avaient fini d’écorner l'image du technocrate. De faux-timide, l’ambitieux tomba le masque. Il se dit qu’il ne s’entendait plus avec certains ministres qui voyaient qu'en Macky Sall, leur chef.
Et si Dionne était victime d’un putsch constitutionnel ?
C’est pourquoi il est légitime de se demander s’il n’a pas été poussé à quitter la primature. « En outre, la servilité de Mahammed Dionne sera-t-elle à toute épreuve ? Le Premier ministre Habib Thiam n’avait pas souscrit au projet de suppression de son poste et le Président Diouf le mit à l’aise en désignant Moustapha Niasse pour endosser la suppression du poste de Premier ministre», fait remarquer le très bien introduit Madiambal Diagne, dans une de ses chroniques du lundi. « Boun Dionne ne doit pas accepter d'être immolé comme ça… », exhorte le député Mamadou Lamine Diallo de Tekki. Ce samedi, de la tribune de l’Assemblée nationale, la députée libérale Mame Diarra Fam a insinué la « destitution du Pm pour incompétence».
En définitive, il y a toute une théorie du complot autour de la suppression de la primature. Macky Sall a appliqué la « structuration horizontale », en vigueur à l’Apr, à la technostructure administrative. Dans la nouvelle configuration, il y a plusieurs faux-numéros 2, dont chacun fait contre-poids à l’autre, si bien que le chef de l’Etat se retrouve seul maître à bord.