NETTALI.COM - Le journal EnQuête fête ses 8 ans, ce jour. Nous publions à cette occasion, l'édito de Mahmoudou Wane, le directeur de publication d'EnQuête. Une manière de faire un clin d'oeil à la rédaction d'EnQuête et lui souhaiter un joyeux anniversaire. "8 ans d'EnQuêtes au quotidien", c'est l'accroche toute simple que le journal a trouvée pour définir son positionnement et décliner ce qu'il essaie de faire tous les jours.
Il y a huit ans, nous naissions. EnQuête est venu au monde en pleine tempête. Dakar était tous les jours le théâtre presque quotidien
d’affrontements entre forces de l’ordre et jeunes manifestants, avec comme pic symbolique majeur un certain 23 juin 2011. En jeu, un
projet de réforme constitutionnelle qui devait abaisser à 25% le seuil minimum de voix nécessaires au premier tour pour élire un ‘’ticket présidentiel’’, comprenant un Président et un Vice-Président. Tout le monde avait compris que la réforme était taillée sur mesure pour Karim Wade. Qui ne s’en rappelle pas ? La pression de la rue était si forte que Me Wade n’avait d’autre choix que de ‘’brûler’’ son texte contesté. Effets collatéraux de ce bras de fer engagé avec le peuple, Me Wade perdait, 9 mois plus tard, le pouvoir au profit d’un certain Macky Sall.
Juin 2019, l’histoire serait-elle en train de bégayer ? Que non ! On n’est pas à la veille d’une présidentielle, on vient d’en sortir puisque
cela fait quatre mois, jour pour jour. Avec un passage au premier tour de l’actuel Président à 58,27% des suffrages valablement exprimés. La vague de colère ne découle pas de manœuvres politiques pour chauffer la place à un dauphin non déclaré, mais de pétrole, de gaz et d’appétits tout azimuts, à l’image du fameux ‘’Mandat’’ d’Ousmane Sembène.
Mais comment ne pas accorder de l’intérêt à ce qui se passe sous nos yeux ? Du jamais vu ! En l’espace seulement de deux semaines, la place dakaroise est noire de monde. Des jeunes réclament leur dû de l’or noir non encore sorti de terre. Et voilà le Président, moins de quatre mois après son élection, devant une crise politico-sociale aux allures d’intifada. La rapidité avec laquelle les événements ont pris une telle tournure est simplement effarante.
Dans l’histoire politique récente du Sénégal, on ne peut convoquer de scénario analogue, avec, cerise sur le gâteau, des opposants groggy à la défaite, subitement ressuscités par la grâce… d’un documentaire. Les voix du Seigneur sont décidément insondables. Et il serait bien dangereux pour le pouvoir en place de minimiser la gravité de la situation présente. Combien de fois des pouvoirs qui pensaient tenir toutes les ficelles de leur survie se sont effondrés, au moment où ils s’y attendaient le moins ?
Tous les ingrédients pour que la marmite continue à chauffer sont en effet là. Vu le déferlement de passions, le curseur n’amorcera pas si facilement la pente inverse. Sauf si, merveilles du ballon rond sous nos Tropiques, le Sénégal gagne la Coupe d’Afrique des Nations. Et encore !
Ce qui est en fait inquiétant dans ce feuilleton, ce sont moins les arguments avancés par les uns et les autres que la pique passionnelle
qui l’aiguille. On ne communique plus, on n’échange pas. Oubliées les bonnes vertus de la discussion qui faisait la force de notre démocratie. Ce qui compte, ce n’est plus la force persuasive et la capacité à convaincre, mais l’alchimie de la terreur. Et plus grave, la tentation du feu. Or, le feu a cette vertu bien ‘’démocratique’’ qu’il n’épargne personne. Il consume généralement le bras qui l’a fait naître avant d’atteindre ceux qui sont visés dans ses effets.
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de dire qu’il n y a pas de quoi fouetter un chat dans ce dossier. Nous pensons que le Président n’aurait
jamais dû accepter que son frère s’incruste dans ce dossier, surtout après la très volcanique épisode Karim Wade. Aliou Sall a certainement
assez de talent à faire prévaloir ailleurs plutôt que dans ce secteur d’une sensibilité extrême. Le Président Macky Sall aurait dû l’écarter depuis la première grande salve d’attaques, dès les premières années de son quinquennat. Il ne l’a pas fait et c’est une grande erreur politique. Que donc des jeunes se lèvent pour l’exiger n’a rien d’étonnant.
Mais le versant du problème, ce n’est pas Aliou Sall dans ses relations jugées nébuleuses avec Frank Timis. C’est la haine qui transparaît
dans les discours contre la personne d’Aliou Sall. On peut bien sûr demander qu’il soit démis de ses fonctions pour de multiples raisons.
Serait-il moins teigneux et assez raisonnable qu’il se serait de lui-même affranchi de ses fonctions non électives. Mais attaquer la personne à des niveaux de rancoeur ou de haine n’a rien de bien glorieux. Le souvenir de Karim Wade que certains de nos compatriotes avaient voué aux gémonies avant de l’idolâtrer un an seulement après la chute de Wade, doit inviter à la prudence. En démocratie, la haine (malheureusement entretenue d’abord par les politiques eux-mêmes) est mauvaise conseillère. Elle détruit la société. Elle s’accouple très aisément avec le feu que nous évoquions plus haut. Dans le contexte sous régional bien explosif qui est le nôtre, ce cocktail ne peut mener qu’à l’anarchie et la destruction, comme tous les observateurs avertis le savent bien.
C’est dire que nous ne pourrions point échapper à l’épreuve de la discussion. Il faudra bien que les différents acteurs, qui ‘’animent’’
aujourd’hui le débat de la rue, en arrivent à s’asseoir autour de la même table pour enfin se parler, les yeux dans les yeux pour corriger – Dieu sait qu’il y en a - ce qui doit l’être. Toute autre alternative ne mène qu’au chaos.
Qui réellement pour cultiver le souci du pays ?