NETTALI.COM-L’absence d’unité de police scientifique dans les régions de Kolda et de Sédhiou constitue un véritable frein pour les enquêteurs devant certains cas de meurtre, de viol, de vol et autres crimes jusqu’ici non encore élucidés. C'est ce que révèle un article publié par la publication d'EnQuête de ce week-end.
La montée de la criminalité dans la région sud du pays inquiète. A Kolda et à Sédhiou, il ne se passe pas une semaine sans qu’un crime, souvent odieux, ne soit commis. Dans la plupart du temps, les enquêtes ouvertes n’aboutissent pas à grand-chose.
Nombreux sont d’ailleurs les cas de crime qui n’ont connu, jusqu’ici, aucune suite. Les véritables coupables, jamais débusqués ou inquiétés. Bon nombres de cas sont assez illustratifs. Les assassins de Samba Traoré, criblé de balles en 2015 à Pk12, courent toujours dans la nature, sept ans après les faits qui remontent à 2015. Alertés, les éléments de la brigade de gendarmerie de Kaléfourou ont effectué une descente sur les lieux du crime. Un transport qui a permis aux enquêteurs de trouver des douilles, un fusil de chasse russe de marque Baïkal ayant servi à la commission des faits incriminés, trois cartouches vides, 20 munitions de calibre 12 mm et deux tronçonneuses. Tout cet arsenal a été retrouvé non loin du corps sans vie de Samba Traoré. Un suspect du nom de Mamadou Camara sera arrêté, 15 jours après les faits.
Mais, jugé le 26 avril 2019 par la Chambre criminelle du tribunal de grande instance de Kolda, il sera finalement blanchi. « Il y a beaucoup de zones d’ombre et de manquements dans la procédure initiée contre lui. Le premier manquement est lié à l’identification de la victime. Car il y avait un problème entre la victime qui est supposée être née en 1967 et le certificat de genre de mort qui fait état d’une personne âgée de 21 ans », témoigne un magistrat proche du dossier.
Selon lui, le deuxième manquement est lié à l’état du corps. Samba Traoré est décédé dans la nuit des faits et le lendemain, son corps a été retrouvé. Le certificat de genre de mort délivré par Dr Djibril Sakhona Yansané a attesté que le corps était dans un état de décomposition. Ce qui n’est pas possible, selon les enquêteurs. Car la dépouille a été retrouvée en moins de 12 heures et mise dans des conditions de conservation avant d’être évacuée à l’hôpital régional de Tambacounda pour autopsie.
Le troisième manquement dans ce dossier, relève le magistrat, sont les éléments de la balistique. « On nous dit que c’est un corps qui a été criblé de balles. Mais aucun élément et aucune analyse n’a été faite pour déterminer de quel type de balle il s’agit. S’il y avait la police scientifique et technique, elle aurait permis de déterminer le temps durant lequel le crime a été commis, grâce à la balistique, mais aussi de déterminer la nature de l’arme qui a été utilisée », souligne-t- -il. Non sans relever que la police scientifique aurait également permis de mettre en doute les conclusions du médecin relatives à l’état de décomposition du corps, mais aussi de relever des empruntes sur les lieux ou sur l’arme retrouvée non loin du corps sans vie de Samba Traoré ou encore des traces d’Adn sur le corps de la victime. « Tous ces éléments auraient permis d’identifier l’auteur. Mais, malheureusement, faute de preuves, nous avons décidé d’acquitter Mamadou Camara », déclare notre interlocuteur.
Le cas des deux filles de Sédhiou violées et assassinées reste toujours un mystère
Si l’affaire n’est pas encore classée, elle traine jusqu’ici. Tout comme le viol suivi de meurtre de deux filles à Vélingara, dans la région de Sédhiou. Les faits remontent au 7 mars 2016, dans le village de Bhogal, département de Bounkiling. Oumou Diao et Aminata Ba, âgées respectivement de 13 et 14 ans, et élèves en classe de Cm2, sont sorties de leur maison vers 17 h. Elles se sont rendues dans la brousse pour cueillir des fruits. Mais elles ne sont jamais rentrées car leur corps sans vie a été retrouvé dans le marigot.
Les enquêteurs ont constaté du sang et des traces de violence sur les corps des victimes. Mais tous ces indices n’auront servi à rien du tout. Puisque les six saisonniers Bissau-Guinéens interpellées dans cette affaire rocambolesque ont finalement été libérés au bénéfice d’un non-lieu.
Une décision qui a d’ailleurs mis les familles des victimes dans tous leurs états. Pour elles, les enquêteurs n’ont pas correctement fait leur travail. C’est pourquoi elles réclament l’instauration dans la zone d’une unité de police scientifique et technique pour élucider ces genres d’affaire.
A côté de ces meurtres odieux, plusieurs crimes non encore élucidés ont été commis dans les localités de Saré Samba Téning, Dialacoumbi, Saré Lao Bambé, Thiéwal Lao, Saré Bidji. En plus de cela, plusieurs personnes sont portées disparues et jusqu’à nos jours, elles restent introuvables, malgré les multiples recherches, avis et communiqués relayés par des parents. C’est le cas d’un certain Omar Mballo porté disparu depuis décembre 2017. Parti à la chasse, il n’est plus jamais revenu, relève son frère Yoro Mballo, maire de la commune de Niagha, dans la région de Sédhiou.
Dans le lot des disparus jusqu’ici introuvables, figure également le nommé Papis Badiane, ex-agent d’une Ong de la commune de Kolda, lui aussi porté disparu depuis trois ans. Ces failles dans la conduite des enquêtes qui ont été ouvertes sont en partie la conséquence directe de l’absence d’une unité de police scientifique et technique dans la partie sud du pays.
D’où le cri du cœur des populations de la localité et même des personnes souvent en charge des enquêtes pour l’érection dans cette zone, d’une unité de police scientifique et technique dotée des nouvelles technologies à même de faciliter les enquêtes. « A chaque fois que nous avons un cas particulier, nous sommes obligés d’envoyer des échantillons à Dakar ou de faire appel à des éléments de la police scientifique basés dans la capitale qui viennent en renfort », soutient un magistrat approché par « EnQuête».
« Nous avons besoin d’une touche de police scientifique qui pourra résoudre certains cas de meurtre. Elle peut nous aider pour la manifestation de la vérité à travers des investigations plus fouillées que d’habitude », renchérit notre interlocuteur. Pour lui, si police scientifique était présente dans les régions de Kolda et de Sédhiou, elle aurait permis de tirer au clair tous les cas de meurtre jusqu’ici non élucidés.
La police scientifique et technique aide, en effet, à décliner souvent l’identité des mis en cause dans les scènes de crime, à travers des prélèvements d’empreintes digitales ou d’Adn. Elle effectue les constatations sur des lieux de diverses infractions graves comme les assassinats, les morts suspectes ou les cambriolages.
Ses agents super entrainés en la matière, effectuent des relevés et des prélèvements de matières ou d’objets à l’aide de moyens scientifiques et techniques pour rechercher des traces utiles à la poursuite de l’enquête. Ils effectuent également le traitement de ces actes en vue de permettre l’arrestation des criminels.
Ce n’est pas tout. Il en est ainsi de la recherche et de l’identification des personnes à partir d’indices divers, de la caractérisation sur les scènes de crime de traces biologiques ou chimiques, même les plus infimes, ou encore de l’établissement de la date du décès, lors de la découverte d’un cadavre, pour la manifestation de la vérité.
Kolda et Sédhiou n’ont pas de médecin légiste
En plus de l’absence de la police scientifique et technique à laquelle elles sont confrontées, les régions de Kolda et de Sédhiou n’ont pas également de médecin légiste. Dans ces localités, la plupart des certificats de genre de mort sont délivrés par des chirurgiens-orthopédistes ou des médecins. « Rarement, nous recevons un certificat de genre de mort délivré par un médecin légiste. C’est un grand handicap pour nous et pour les enquêteurs », note une source judiciaire. Celle-ci regrette que les médecins légistes soient installés « dans le confort de Dakar » au détriment de certaines régions comme Kolda et Sédhiou. « Les conclusions que nous recevons des agents de santé locaux ne sont pas pointues et ne permettent pas véritablement de déterminer les véritables causes de la mort. Cela n’aide pas les juges à saisir la quintessence même de la question qui leur a été posée. Parce qu’on ne demande pas à ces spécialistes de la santé de constater simplement une mort, mais à travers le certificat de genre de mort, de déterminer, si possible, les causes de la mort. Ce qui pourrait également nous aider à faire correctement notre travail », rumine-t-il.