NETTALI.COM - Une histoire comme on n’en voit pas tous les jours, c’est celle qu’on a vécue la semaine dernière. Elle met aux prises un commissaire de police et un pharmacien. Un incident qui nous a révélé à quel point les réseaux sociaux sont un espace de passion ou plutôt de passionnés. Un lieu où le lynchage est facile. Zone certes d’échanges, où l’on est censé recréer le lien social en abolissant les distances ; les réseaux sont aussi des lieux de violence.
L’on a eu droit dans cette affaire à des affrontements entre personnes subjectives, aux postures oh combien différentes : entre excités, modérés, gens raisonnables, personnes prudentes, personnes de mauvaise foi, pseudos spécialistes du droit, partisans du pharmacien, partisans de la police, etc. tout y est passé. Au regard du spectacle qui s’est déroulé sous nos yeux, tout individu devrait prier pour que Dieu le garde d’être la cible ou la victime expiatoire d’une affaire qui s’enflamme sur la toile.
Les réseaux sociaux sont en effet un espace où l’on vous détruit un homme en quelques fractions de secondes, tant les sentences y sont prononcées avec fracas et précipitation. Nous nous plaisions d’ailleurs dans une de nos récentes chroniques, intitulée « Trio de feu » à rappeler que les internautes en arrivent à se prendre pour des journalistes parce qu’ils sont aujourd’hui capables de capter des séquences d’un évènement et les diffuser, pensant qu’ils produisent une information complète. Nous rappelions à cet effet que de la même façon, il existe des journalistes qui font mal leur travail, oubliant que l’information obéit à une logique de collecte, de recoupement et surtout d’équilibre et le tout reposant sur le socle de l’éthique et de la déontologie.
Dans cette affaire, en fait, il a juste suffi d’une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux pour que la toile s’enflamme. Beaucoup d’internautes se sont en effet lancés dans des commentaires hasardeux, haineux et conclusions hâtives sans recul, ni analyse. On a même senti dans ces commentaires négatifs dirigés contre le commissaire, parce que juste des internautes en veulent plutôt à la corporation, tombant dans des généralisations faciles et hâtives. Certains n’avaient même pas vu qu’ils avaient affaire un montage avec certains éléments volontairement coupés. Mais à regarder la nature des images, on se rend vite compte qu’il s’agit d’éléments de caméras de surveillance collées à un témoignage du pharmacien montés par les soins d’un professionnel. Ce montage ne visait en fait rien d’autre qu’à dénoncer ce dont le pharmacien s’estime être victime.
Parmi ceux qui se sont lancés dans des commentaires enflammés sur les réseaux sociaux, accablant ou défendant le commissaire Sangaré, qui pouvait savoir ce que les deux s’étaient dit en l’absence de son ? Le moment de leur premier contact, l'altercation et les excroissances.
De cet incident, on peut relever deux choses : les deux protagonistes ont été par moments excessifs, même si le pharmacien n’a pas du tout été exempt de reproches. Il a voulu se montrer dans le bon rôle. Le seul son qui ait été entendu, est le témoignage du pharmacien dont on voit bien qu’il cherchait ses mots pour expliquer, de manière circonstanciée, ce qui s’était passé. La vérité, c’est qu’il s’est montré discourtois, surexcité, faisant sans cesse des allers et retours nerveux, haussant le ton et allant même jusqu’à empoigner son antagoniste.
Il aurait pourtant fallu qu’il se limitât juste à exiger une ordonnance parce que ce médicament rentre dans la catégorie des injectables. L’altercation n’aurait peut-être jamais eu lieu si le pharmacien était resté dans une posture de médecin qui doit apaiser les clients. Les métiers de service dans le domaine médical de surcroît, exigent tout de même une attitude courtoise de tous les instants. Le pharmacien aurait dû être plus psychologue que cela car ceux qui viennent recueillir un service payant en plus dans les pharmacies, sont en général dans des situations de fragilité, voire de détresse ou parfois même d’urgence.
Lors de son audition sur procès-verbal à Parcelles, il reconnaîtra finalement avoir été excessif. Auditionné à nouveau ce samedi 17 Août au commissariat central de Dakar, le pharmacien Gaye, a selon nos informations, réitéré ses aveux faits sur procès-verbal, lors de sa première audition au commissariat des Parcelles assainies. « C’est vrai que je l’ai empoigné. Ce sont les gens qui étaient sur place qui sont venus nous séparer. Il est sorti de la pharmacie et est revenu quelques minutes après avec des éléments en civil qui sont venus m’interpeller. Je ne savais pas que j’avais affaire à un commissaire de police.», a dit celui-ci.
Que dire maintenant du commissaire Sankharé ? Simplement qu’il s’est lui aussi, laissé emporter par son émotion, blessé sans doute dans son amour propre, son orgueil de policier. Difficile de se détacher de son statut, surtout lorsqu’on se sent à son tour victime d’injustice et que son sang ne fait qu’un tour. Aurait-il peut-être fallu être à sa place pour savoir comment nous aurions réagi dans pareils cas ? Lui commissaire qui se fait empoigner par un jeune pharmacien, c’était trop pour qu’il laissât cela passer. D’où peut-être sa réaction disproportionnée. Une erreur qu’il n’avait toutefois pas le droit de commettre et qu’il payera cash. Moralité : quand on est dépositaire de certaines prérogatives régaliennes, on ne peut pas agir comme le commun des citoyens. Il vous est aussi formellement interdit d’utiliser la force publique pour régler une affaire privée.
Parlons tout de même quelque peu de Bara Sankharé puisque son nom a fait le tour des chaumières, ces derniers jours. Qui est ce commissaire de police ? Ceux qui ne le connaissaient pas, ne le jugent aujourd’hui qu’à travers la vidéo de son altercation avec le pharmacien. Les malfaiteurs qui voient en lui un ennemi, rient sous cap. Mais ceux qui le connaissent dans la vraie vie, savent qu’il a trébuché, et qu’il n’est pas un coutumier de ce genre d’excès. Il a commis l’erreur d’user de ses prérogatives de commissaire pour régler un problème privé. Il a commis une faute, c’est sûr et est en train d’en payer les conséquences. D’abord par la mauvaise publicité que cette affaire lui a faite, mais aussi par sa traduction devant le conseil de discipline de la police et la sanction disciplinaire qui en a découlé. Il a été relevé de ses fonctions et ne trône plus à la tête du commissariat d’arrondissement des Parcelles assainies.
Au niveau de la police, en tout cas, tout le monde a été surpris par le contenu de cette vidéo. Personne n’avait jamais vu Bara Sankharé sortir ainsi de ses gonds jusqu’à perdre son calme légendaire et fouler au pied son professionnalisme reconnu par ses agents et supérieurs.
Bara est en effet de la trempe de ces policiers consciencieux. Qui avait l’habitude de bien servir et de rendre service. Partout où il est passé, dans les commissariats et services de police jugés chauds, il a produit des résultats en étant l’empêcheur de tourner en rond, des malfaiteurs. Ses hauts faits d’armes, il les a capitalisés lorsqu’il était à la tête de la Brigade de lutte contre la criminalité (Blc), une entité de la Sûreté urbaine de Dakar logée au commissariat central de Dakar.
Dans ce service, le sieur Sangaré a réussi à infiltrer le milieu interlope, à se créer un réseau de renseignement infaillible et à mettre en place une redoutable brigade de recherches et d’interpellation. A chaque descente, il dirigeait lui-même les opérations.
Jeune, athlétique, courageux, très bon tireur et rompu aux techniques d’autodéfense. Il a été très vite surnommé "Cobra". Beaucoup de bandes d’agresseurs qui écumaient le centre-ville, Grand Dakar, Colobane, la Médina et l’avenue Bourguiba, entre autres, le connaissent pour avoir été mis hors d’état de nuire par son service. Beaucoup de meurtres crapuleux ont également été élucidés sous son magistère grâce à son réseau de renseignement dense et efficace. Ce qui lui a valu moult félicitations de sa hiérarchie. Certains l’encourageaient même à faire le concours direct de commissaire de police.
Tous ces résultats précités, il les a obtenus alors qu’il était officier de police issu du concours direct des officiers de police de la 37ème promotion. Ayant suivi les sages conseils de ceux qui voulaient le voir grimper dans la hiérarchie, il a subi et réussi avec brio le concours de commissaire de police.
Après un retour remarqué à l’école de police et de la formation permanente, il est sorti, il y a près d’un an avec ses galons de commissaire principal. Son premier poste d’affectation a été le commissariat d’arrondissement des Parcelles Assainies où il a produit de bons résultats avant que l’incident de la pharmacie Fadhilou Mbacké ne survienne.
Ceci dit, le temps des réseaux sociaux n’étant pas le temps de la justice, une enquête a été dès lors commanditée par la police pour tirer l’affaire au clair, lorsqu’elle est survenue. C’est ainsi que des éléments de l’inspection des services de police, munis d’une réquisition, se sont rendus à la pharmacie pour entrer en possession de la totalité des cassettes de caméras de surveillance. Parallèlement à cela, des auditions ont eu lieu dans les locaux du commissariat des Parcelles assainies afin de retracer la chronologie des faits et déterminer ainsi la responsabilité des différents protagonistes. Le pharmacien et le commissaire ont alors été auditionnés séparément, sur procès-verbaux.
Vingt-quatre heures après le déclenchement de cette affaire, les éléments de la police des polices, ont produit un rapport sur l’incident destiné à la hiérarchie policière. Muni de ce document, le directeur général de la police a convoqué ce vendredi 16 août, le conseil de discipline de la police pour examiner le rapport et décider du sort qui sera réservé au commissaire Bara Sankharé impliqué dans cet incident.
Lors de la réunion du «Conseil de discipline» à laquelle ont participé le Directeur de Sécurité publique (Dsp), Abdoulaye Diop, le Commissaire central de Dakar, Ndiaré Séne, la patronne du Bureau des relations publiques de la police…, Tabara Ndiaye, entre autres, une « sanction administrative» a été prise. Bara Sankharé est déchargé de ses fonctions de commissaire de police des Parcelles Assainies et mis à la disposition du cabinet du Directeur général de la police nationale, sis au ministère de l’intérieur. Il s’est vu rappeler le devoir et même l’obligation, en tant qu’officier supérieur de la police, de garder sa sérénité, quelle que soit la tournure prise par les événements.
Des supérieurs hiérarchiques d’autant plus désolés qu’ils ont tous reconnu qu’ils ne connaissent de Bara Sankharé que professionnalisme et sens de la retenue, le décrivant comme un policier qui a toujours donné entière satisfaction à sa hiérarchie.
Le commissaire Sankharé acceptera toutes les critiques de sa hiérarchie et expliquera que s’il a agi comme il l’a fait, c’est parce qu’il a été poussé à bout par le pharmacien. Ce qui l’a amené à commettre cet acte qu’il regrette. Il a surtout souhaité que cet incident soit un mauvais souvenir et que la sérénité prévale.
Que dire de plus, sinon que ce qui devait arriver, est arrivé, sans que l’on ne cherche à être dans une logique d’accabler un quelconque protagoniste dans l’affaire. Il est en effet de ces histoires qui sont des leçons de vie. Tous les deux dans cette affaire, ont manifestement dépassé les limites fixées par le code éthique et déontologique de leur profession. Que celui qui n’a pas commis une faute ou erreur une fois dans sa vie, lève la main. Le syndicat des pharmaciens est en tout cas dans une logique d’apaisement. La police va produire son rapport. Une seule chose à retenir toutefois : entre la police et les pharmaciens, il y a une logique d’interdépendance que des positions extrémistes ne pourront jamais lisser. Vivement l’accalmie.