NETTALI.COM - Pour un hommage, celui rendu à Amath Dansokho a été unanime. Surtout qu’il a été rendu par des acteurs de tous bords. L’hommage qui n’est pas par contre passé inaperçu, c’est bien celui de la presse, témoin de tous les événements et dont le rôle est de rapporter des faits. Elle a rivalisé de titres, les uns aussi éloquents que les autres, inspirés non seulement par la circonstance mais encore par la dimension de l’homme Amath.
«La chute du Baobab», écrit «EnQuête», mettant en exergue le résistant de conviction que fut Amath ; «Il fut un tsar de combat», relève «l’Observateur» comme pour montrer l’ardeur du combattant hors pair ; «Adieu Amath», annonce «Sud Quotidien» sur un ton à peine voilé, de regret ; «le Nelson Mandela sénégalais s’est éteint», mentionne «Les Echos», un clin d’œil à l’homme de refus qu’il fut ; «Dansokho perd la lutte finale», souligne «Le Quotidien» ; même allusion de l’As pour qui Dansokho est le dernier des Mohicans : «Le Sénégal perd son combattant» . «Vox Populi» sur un titre assez direct, annonce la mort de Dansokho, en ces termes : «Le symbole des luttes démocratiques, est mort». Bref un hommage unanime qui finit de conférer à Amath Dansokho, le statut de figure emblématique de la scène politique et historique sénégalaise.
Sur les chaînes de télévision, radio, presse écrite et sites d’informations, des images et sons d’archives ont plu, tant les sorties d’Amath étaient couvertes par la presse puisque Big Dansk comme l’avait surnommé une certaine presse, était un bon client. Le tonitruant, le fougueux Amath ne laisse en réalité personne indifférent. Tristesse, désolation, surprise, l'annonce de son décès en a surpris plus d'un. Les intimes le savaient malade depuis un bon bout de temps mais Amath avait su, à plusieurs reprises, résister aux assauts de l’archange. Tel un baobab indéboulonnable, il avait survécu, solide, résilient, combatif. Amath, un sacré vieux combattant. Mais quelle robustesse ! Quelle volonté ! Quel résistant, il fut ! Quel combattant ! Quel refus de la compromission ! Quel courage !
Ce ne sont pas les qualificatifs qui manquent pour désigner ce qu’il fut, tant l’homme semblait parfait. Parfait, il l’était presque. Historien, journaliste formé à Prague, Amath avait presque tout expérimenté. Que d’anecdotes il se plaisait à raconter lors de visites à son domicile de Mermoz. Que de faits, l’homme pouvait raconter sur l’histoire politique sénégalaise, sur la vie tout simplement. Il avait vécu tellement de choses, d'événements. Il connaissait presque tout le monde : Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoum, Serigne Fallou Mbacké, Serigne Saliou Mbacké, Cheikh Anta Diop, etc.
Il admirait Senghor «pour son savoir exceptionnel». Celui-ci l’avait poussé à se cultiver mais l’avait aussi inspiré jusqu’à son engagement politique ultérieur. Amath avait également subi d’autres influences. Le livre de Maurice Torez (Secrétaire général du Parti communiste français de 1930-1964) recommandé par un homme éduqué en partie par le père d’Amath à Kédougou, lui fera opérer un glissement vers les idées communistes axées sur l’indépendance et le nationalisme. Il ne reniera certes pas Senghor, mais Dansokho était pris de passion pour les nationalistes, notamment le Front de Libération nationale (FLN) d’Algérie et le Vietnam. Ce qui le poussera d’ailleurs à se frotter à la lutte armée.
Sa première expérience de lutte lui viendra au lycée Faidherbe de Saint-Louis où il dirigera sa première grève mémorable dans la vieille ville et durant laquelle le proviseur fut séquestré. Une grève qui a d’ailleurs failli lui coûter la vie, roué qu’il avait été, de coups jusqu’au sang par les forces de l’ordre. En 1957, alors qu’il n’a que 20 ans, Dansokho intégra, le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) de Majmouth Diop. Il créera même une section du parti à Saint-Louis dans sa chambre d’élève. Amath n’était pas à vrai dire un révolutionnaire de circonstances mais ses convictions ont été construites patiemment, comme il s’était plu à le relater dans une interview accordée à Rfi. Une quête de culture qui le poussa toutefois en dehors du champ des ouvrages marxistes, puisqu’il lisait aussi Sartre, Nietzsche, etc.
La lutte armée, il l’abordera sous la bannière PAI qui s’était déjà engagé dans cette logique, soutenu en cela par le FLN qui livra des armes via Franz Fanon à depuis l’Algérie. Armes finalement remises finalement par Oussédik. Amath Dansokho avait alors réussi à transporter les armes au Sénégal avant que lui et les membres de son parti ne tentent l’insurrection à Saint-Louis, en 1961, avec une logique d’en découdre avec la domination coloniale sous l’impulsion de l’idéologie dominante de l’époque (l’influence des communistes chinois avec la guerre révolutionnaire, la révolution nassériste, les fronts de libération en Amérique latine, etc). De cette tentative, il en découlera un contrôle de Saint-Louis pendant quelques heures, mais aussi l’interdiction du PAI qui débouchera sur un exil de 13 ans que Dansokho considérera d’ailleurs comme les meilleures années de sa jeunesse.
En 1963, il fut envoyé se former avec d’autres camarades à Cuba où il rencontrera le Ché et ses "commandantés". Majmouth Diop s’est replié à Bamako sous la protection de Modibo Keïta. En 1964, en réalité, c'est tout le comité central du PAI qui s'était replié au Mali. Amath Dansokho y rencontrera à nouveau Ché Guévara en février 1965, alors que celui-ci faisait une grande tournée pour chercher un point de chute. Avec Majmouth, il sera expulsé vers l’Algérie où il retrouvera encore le Ché en mars 1965 avec les Ben Balla, Amical Cabral, Augustino Netto, etc, suite à la normalisation des rapports entre le Sénégal et le Mali. Modibo Keïta était obligé de négocier leur exil en Algérie, sous la pression de Senghor, malgré son soutien à leur lutte armée. Alger était dès lors devenue la capitale de la révolution mondiale.
L'histoire d'Amath ne peut en réalité être racontée sans les péripéties de la conquête du pouvoir au Sénégal, avec le Parti de l’Indépendance et du Travail fondé le 9 juillet 1981. Avec les trois président sénégalais, les rapports n’ont jamais été simples, sauf avec Macky Sall avec qui, il poursuivra son compagnonnage jusqu’à sa mort, malgré quelques critiques par-ci par-là. «Je ne suis pas dans le gouvernement pour cautionner, pour quelque raison que ce soit, des choses qui sont contre les intérêts des populations. Il faut être clair avec les responsables et que cette situation ne se reproduise plus. Ce qui s’est passé dernièrement n’est pas explicable. C’est inadmissible», dira-t-il en 2015 dans une interview avec “L’Observateur’’ au moment où avec les délestages de 2011, le nouveau gouvernement peinait à rétablir le courant. Macky Sall ne lui en tient pas rigueur.
Avec Abdou Diouf, malgré de longues et âpres années d’adversité, il intégrera le gouvernement dans les années 90 en faveur d’une majorité de gouvernement élargi dans lequel il occupera le poste de ministre de l’Urbanisme.
Son compagnonnage avec le Président Wade par contre, ne dura que six mois avant de voler en éclats. Me Wade aura beau insister, mais Dansokho ne retournera plus au gouvernement. «C’était le 9 novembre 2006, lorsqu’il m’a demandé, pour la neuvième fois, de rentrer dans le gouvernement. Ce que j’ai toujours refusé. Car, comme on ne partage pas les mêmes convictions, je risque de me faire limoger, 24 heures après», racontait en riant Amath dans une interview accordée à “Walf Grand-Place’’ en 2010. Il déclinera même une offre de prise en charge médicale proposée par ce dernier ; l’assurance de son épouse, travaillant à l’Oms, le couvrait totalement. Et pourtant Dansokho avait contribué à réunir le pôle de gauche autour de la candidature de Me Wade à un moment où celui-ci avait presque abdiqué avant de se retirer en France où Big Dansk et Abdoulaye Bathily iront finalement le chercher. Wade le reconnaître d’ailleurs dans une lettre datant du 25 Août 2019 : « Les marxistes du Sénégal, Majhemout Diop, Landing Savané, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, pour ne citer que les plus connus, à travers une coopération mouvementée, ont largement contribué au prix qu’il nous a fallu payer, ensemble, pour mon accession au pouvoir. » L’amour que lui portait Dansokho, Abdoulaye le sait et le lui rend bien, ainsi qu’il l’écrit dans cette même missive : « Nos rapports, malgré les vicissitudes de la politique, ont toujours été empreints d’affection mutuelle. Ne disait-il pas dans une interview accordée en 2010 au défunt quotidien Walf Grand Place : « j’aime Abdoulaye Wade c’est plus fort que moi. S’il arrive un malheur à Karim, je porte plainte contre Wade ». C’est dire la profondeur de nos relations et son affection pour Karim. »
Le salon d’Amath était devenu le siège de l’opposition et toutes les décisions y étaient prises et partaient de là. De même avec Macky Sall, le pôle de gauche était toujours à la manœuvre. Dansokho avait réussi la prouesse de faire asseoir à la même table, Niasse et Tanor. Mais le grand regret de celui-ci fut l’éclatement de Benno Siggil Senegal, favorable à son allié Macky Sall. Ce dernier avait fini par faire cavalier seul dans le cadre d'une tournée nationale pendant que ses alliés qui le soutiendront finalement au second tour, manifestaient à la place de l’Obélisque.
Amath avait en réalité une qualité, celle de cloisonner ses relations personnelles et son engagement politique. Il ne poussait jamais le bouchon loin et ne versait jamais dans la haine. Il avait ainsi ce don de rappeler l’amitié qu’il portait pour Wade, malgré leurs divergences profondes. Même Karim Wade qu’il appelait affectueusement «mon fils», il ne ratait jamais l’occasion de le critiquer. Il disait d’ailleurs dans une interview avec l’Obs, évoquant son emprisonnement : «J’ai connu Karim alors qu’il était tout-petit et je regrette qu’il en soit arrivé là. Mais j’avais prévenu son père. J’ai même dit, dans mes discours, que je porterais plainte contre lui si quelque chose arrivait à Karim au bout de l’aventure dans laquelle il l’avait embarqué. C’est Abdoulaye Wade qui a mis Karim Wade dans cette situation, il n’aurait pas dû être là-bas. Je souhaite que la Justice fasse son travail et qu’il recouvre la liberté, si les magistrats le jugent non coupable.»
Des rapports amour-adversité avec la famille Wade que Kouthia a récemment bien relatés : «Lorsque je suis allé en prison pour rendre visite à Karim Wade, il m’avait dit ceci : « C’est le personnage d’Amath Dansokho dans ton émission qui me fait plus rire.» Parce que c’est mon père. Même Abdoulaye Wade lors de notre dernière rencontre, m’avait dit : «Quand tu me mets en mal avec Amath Dansokho dans ton émission, ça me fait rire. Parce qu’on était toujours comme ça.»
Amath avait beaucoup de qualités, c’est sûr. Affable, jovial, affectueux. Mais quel grand cœur, ce monsieur ! L’homme savait mettre à l’aise les gens. Sa maison était toujours remplie et sa table, il aimait la partager. Big Dansk aurait pu être riche, mais il ne pouvait l’être. Aider son prochain, il en avait fait un sacerdoce. Il distribuait tout ce qu’il avait et privait même ses propres enfants. On ne quittait pas Amath lorsqu’on lui rendait visite, on décidait juste de partir car le visiteur n’avait jamais assez de lui. Il avait, c’est vrai, ce secret, raconter des anecdotes. Et pour son âge, une aptitude bien surprenante. Quelle mémoire d’éléphant ce monsieur ! La vérité, aussi c'est qu'il savait se hisser au niveau de chacun des ses interlocuteurs. Avec lui, les statuts s'effaçaient.
Spontané, franc, fougueux, direct, il l’était. Il n’hésitait pas à cracher sa vérité face à n’importe qui. Homme sincère, il avait un jour en plein conseil des ministres, craché ses vérités à Me Wade en le pointant du doigt, lui jetant à la figure qu’il est un chef de parti, indépendant, libre. Sacré Amath. Un acte qui lui avait d’ailleurs valu son renvoi du gouvernement quelques temps après. Démocrate, il l’était. C’est d’ailleurs cela la particularité des partis de gauche, leur force. On y débat et chaque militant a droit à la parole.
Amath est parti, laissant derrière lui beaucoup d’orphelins. Niasse, un de ses compagnons dans l’opposition d’alors, la voie étreinte par l’émotion, a craqué, lors de la levée du corps : «Amath Dansokho nous a adoptés. Il a pris nos mains et nous a montrés la voie de l’action. Il nous a encadrés. Je peux vous dire que c’est lui qui nous a inspirés dans notre engagement politique. Il n’a jamais reculé devant le danger.»
Eh oui, il y a des êtres comme ça. Comme Amath, qui ne laissent personne indifférent. Un sacré veinard de vieux combattant ! Recevoir autant d’hommages posthumes et s’en aller avec le titre de Commandeur de l’ordre national du Lion ! Il faut être un vrai veinard pour l'avoir. Amath aura bien vécu. Il aura aussi mené une vie simple, bien remplie et surtout utile à la collectivité dans laquelle il a vécu. Une vie riche d’enseignements pour ceux qui ont la chance d’être encore utiles à leurs concitoyens parce qu’ils ont en charge la gestion des affaires publiques. Amath mérite à vrai dire de figurer dans les livres d’histoire. Big respect Big Dansk. Repose en paix !