NETTALI.COM - L’ancien ministre sénégalais Abdoulaye Bathily, historien de formation, est allé plusieurs fois à Hararé après la chute du régime raciste en 1980. La première fois qu’il a croisé le président Mugabe, c’était à l’occasion d’un séminaire universitaire. Abdoulaye Bathily s’en souvient très bien dans cette interview accordée à Rfi, ce samedi.
RFI: La première fois que vous avez vu Robert Mugabe, à Harare, quelle a été votre première impression ?
Abdoulaye Bathily : Eh bien, c’est avec beaucoup d’émotion, bien entendu, de voir quelqu’un qui jouissait d’un tel prestige et qui avait à cœur la libération économique et politique du continent africain. Je me rappelle du séminaire que nous avons organisé en 1981 et qui s’intitulait « Où va le Zimbabwe ? ». Il nous a reçus et il était plein d’enthousiasme. Il nous expliquait toutes les réformes qu’il allait entreprendre sur le plan économique, sur le plan politique et sa tache première était évidemment, selon lui, la libération de l’Afrique du Sud, qui était juste à côté. Je n’étais pas particulièrement naïf car à l’époque, nous voyions déjà ce qui se passait ailleurs, sur le continent africain, avec les autres mouvements de décolonisation.
Dans son parcours de « dirigeant nationaliste », comme on disait dans les années 80, que faut-il retenir ?
Ce qui m’a réellement marqué, au tout début en tout cas, c’est le Mugabe des années 80, un dirigeant qui donnait l’impression - mais aussi dans les faits eux-mêmes - qu’il avait beaucoup fait pour le Zimbabwe. Par exemple, en matière d’éducation, tout le monde reconnait que son œuvre a été très positive et sur le plan politique également, avec le soutien qu’il a accordé aux autres mouvements de libération sur le continent. Là, il était à l’avant-garde. Même sur le plan économique, les premières réformes qu’il a conduites étaient quand-même des réformes dites d’intérêt.
Mais dans les années 80, il y a déjà des dizaines de milliers de personnes qui sont tuées, qui se font massacrer parce qu’ils sont partisans ou présumés partisans de Joshua Nkomo. Est-ce que ces tueries n’annonçaient pas la couleur ?
Il faut dire que ces tueries ont déjà constitué une sonnette d’alarme pour beaucoup de ceux qui observaient la situation au Zimbabwe. Il ne faut pas oublier que Joshua Nkomo était le dirigeant de la ZAPU, (Zimbabwe African People Union) et Mugabe était le leader de la ZANU (Zimbabwe African National Union). Pendant toute une période, jusqu’à l’indépendance même, ils étaient rivaux dans le contexte de la lutte de libération. Sous la pression des pays de la ligne de front dont, en particulier, le Président Julius Nyerere, ils ont été obligés de faire leur unité mais, en réalité, cette unité n’a pas été consolidée. Par la suite, évidemment, les rivalités d’antan ont repris. Naturellement, de mon point de vue, cela a été une catastrophe, ce qui s’est passé dans le Matabeleland.
Fallait-il, dès lors, comprendre que Robert Mugabe allait être un dictateur ?
Vous savez, c’est une tendance lourde dans ces mouvements de libération nationale. Les dérives commencent en effet très tôt. Une fois le pouvoir conquis, ils se donnent tous les pouvoirs et c’est une dérive qui effectivement s’est opérée au Zimbabwe, que tout le monde a regrettée et qui a d’ailleurs été combattue de l’intérieur comme de l’extérieur. Cela s’est accentué par la suite avec l’omnipotence du parti et de ses dirigeants. Finalement le pouvoir personnel lui-même s’est installé comme on l’a vu, jusqu’aux derniers moments, en voulant en fait une succession monarchique par son épouse.
C’est une tendance très négative que l’on voit sur le continent. Le Zimbabwe est un parfait exemple de cela. Gagner la lutte de libération nationale ou gagner des élections, c’est comme si on se donnait le droit de s’approprier le pays. C’est une tendance malheureuse que nous voyons aujourd’hui au sein de nos politiques continentales.
Robert Mugabe est-il resté au pouvoir trop longtemps ?
Trop longtemps. Trop longtemps. Son parti s’est transformé d’instrument de libération en instrument d’oppression. C’est ce qui explique les évènements qui se sont déroulés depuis un et demi, deux ans, qui préfiguraient sa chute et, par la suite, la crise que vit aujourd’hui ce pays. La longévité au pouvoir, à mon avis, est une source de crise politique, économique et sociale. Ces dérives-là mènent toujours à la régression démocratique et politique.
Qu’est ce qui prime dans votre esprit ? Le souvenir d’un grand libérateur ou celui d’un dictateur ?
A la fois le héros de la lutte de libération mais il y aussi - tirant les leçons de ce qui s’est passé - cette ombre au tableau. Ce sont par conséquent les deux Mugabe dont je me souviens.
Entretien réalisé par radio France Internationale