Le Sénégal compte 320 partis politiques, dont 278 créés de 2000 à nos jours. La question était au centre de débats houleux entre les participants au dialogue en cours. Certaines organisations poids-plume ne veulent pas entendre parler de rationalisation.
Dans sa livraison du jour, le quotidien EnQuête rapporte qu’hier, au dialogue politique, il a beaucoup été question de rationaliser les partis politiques. Les échanges, par moments, ont été houleux entre majorité, opposition et non-alignés. A l’intérieur même des blocs, les gens ne tenaient pas du tout le même langage. Il y a certains partis lilliputiens qui militent plus en faveur du statu quo, d’autres faisant dans le clair-obscur. A côté, les partis les plus sérieux appellent de tous leurs vœux à la normalisation. A en croire les données rapportées par le directeur exécutif de l’Ong 3D, Moundiaye Cissé, si le président Senghor avait tout fait pour contenir le nombre de partis à son strict minimum, avec le président Macky Sall et son prédécesseur, les choses ont empirée. En effet, renseigne M. Cissé, durant les 20 ans de règne du président Senghor, il n’y avait que 4 partis politiques. Durant les 20 ans de Diouf à la tête du Sénégal, 38 nouveaux partis ont été créés, grâce au multipartisme intégral qu’il avait décrété. Avec Wade, l’explosion a commencé. En 12 ans, le régime libéral a acté 136 partis. Son fils putatif, Macky Sall, lui, a battu tous les records, en voyant naitre sous son magistère pas moins de 142 partis en seulement 7 ans. Ce qui fait un totale de 320 partis, selon les chiffres du responsable de l’Ong 3D.
Macky Sall a battu tous les records
Pour en revenir aux discussions d’hier, certaines sources rapportent les fissures dans le bloc de la majorité. Entre Maitre Ousmane Sèye et son collègue Serigne Mbacké Ndiaye notamment. Pour le premier, c’est aberrant de parler de rationalisation alors qu’il y a déjà le parrainage. Serigne Mbacké Ndiaye, leader de la Convergence libérale et patriotique, qui fait partie de la même mouvance, défendait une position aux antipodes. Joint par téléphone, il confirme : “Nous estimons que pour des élections locales et législatives par exemple, les partis doivent y participer séparément. Après, ils pourraient nouer des alliances à l’Assemblée pour les partis qui ont des députés, dans leurs conseils municipaux, en ce qui concerne les Locales. Aujourd’hui, il est impossible de dire qui pèse quoi sur l’échiquier politique. Le seul moyen d’y remédier, c’est d’imposer à chaque parti d’aller seul à ces élections. Comme ça, le jeu politique sera beaucoup plus clair.’’ A en croire l’ancien ministre de Wade, la vocation d’un parti est, entre autres, de participer à l’éducation et à la formation des citoyens, de concourir à l’expression des suffrages des Sénégalais. Il renchérit : “Pour moi, c’est moins le nombre de partis politiques qui pose problème que leur rôle dans la société. Vous verrez des partis qui n’ont jamais participé à une élection. Je me demande à quoi ils servent. Il faut obligatoirement participer à certaines élections pour mériter d’exister.’’ Revenant sur l’expérience personnelle de sa participation à des élections, le patron de la Clp se félicite d’avoir montré que des gens ont pu voter pour lui jusque dans les profondeurs de la Casamance, ainsi que dans le Nord où il avait obtenu 300 voix, alors qu’il était seul, sans coalition. Le plénipotentiaire de Rewmi, Déthié Fall, selon certains participants à la rencontre, embouche la même trompette. Pour lui, la manière avec laquelle les partis se créent n’est simplement pas sérieuse. Le porte-parole du pôle de l’opposition considère que la situation actuelle ne peut plus perdurer et qu’il faudrait bien y apporter des mesures correctives. Pour le président du bloc des non-alignés, Déthié Faye, par contre, il faudrait être prudent avec l’inventaire fait sur le nombre de partis politiques au Sénégal. Selon lui, cette évaluation ne tient pas compte des partis qui n’organisent plus aucune activité depuis des décennies. Elle ne tient pas non plus compte des partis qui ont fusionné et qui donc, de fait, ne doivent plus exister. D’après son diagnostic, il faudrait d’abord travailler au respect des règles en vigueur. En ce qui concerne le débat sur la rationalisation, il tient à préciser : “Quand on parle de rationalisation, certains pensent automatiquement à la réduction. Pour moi, la rationalisation, c’est aussi de s’attaquer aux sources du mal. Si nous en sommes à autant de partis, c’est parce qu’il n’y a pas de démocratie au sein des formations politiques. Il faudrait donc essayer d’instaurer cette démocratie. Qu’il n’y ait pas de leaders qui restent à la tête ad vitam aeternam. Ça aussi, c’est de la rationalisation.’’ Comme Serigne Mbacké Ndiaye, il pense qu’aujourd’hui, le fait de parler de grands et de petits partis politiques ne repose sur aucun critère objectif. “Le problème, c’est que quand il sera question de financement, il n’y a aucune base claire sur laquelle on peut s’appuyer pour déterminer la clé de répartition, parce que tout le monde va aux élections en coalition’’.
Comment en est-on arrivé à autant de partis politiques ?
A en croire Déthié Faye, le débat sur la pléthore des partis est un faux débat qui ne se justifie nullement. La Constitution garantissant la liberté d’association. Il déclare : “Il faut imposer à tous les partis de participer à des élections. Tout parti qui n’atteindrait pas un certain pourcentage n’aurait pas droit à un financement.’’ Mais comment en est-on arrivé à autant de partis politiques ? Pour le directeur exécutif de l’Ong 3D, il y a plusieurs facteurs explicatifs, dont le principal est l’absence de démocratie. Moundiaye Cissé illustre son propos : “Tous les partis nés après 2000 ou même avant sont nés des flancs des partis traditionnels. Je peux citer les cas de l’Afp, l’Urd, le Pds/R… Nous sommes à 320 partis parce qu’il y a une sorte de patrimonialisation des partis. Les partis appartiennent à ceux qui les ont créés. Plus de 62 % des partis sont nés comme ça.’’ D’après M. Cissé, l’autre facteur explicatif de l’explosion des partis, c’est le business politique. “On voit des individus, parfois même chômeurs, sans niveau d’études, qui créent leurs partis, qui s’appuient sur le jeu des alliances pour se faire de l’argent. Les gens qui les créent ne peuvent même pas remplir des chambres. Ce sont des partis unipersonnels qui sont là juste pour exister. On les convoque comme tous les autres. Ils ont des récépissés qu’ils peuvent louer dans l’ancien système, avant le parrainage intégral…’’ Comme pour montrer que le business est bel est bien présent dans le milieu politique, le représentant de la société civile au dialogue rappelle les cas Diouma Dieng Diakhaté et Amsatou Sow Sidibé, qui avaient réussi à passer entre les mailles en 2012 grâce au système de prêt de récépissé. Au même moment, Youssou Ndour, qui n’était, à n’en pas douter, pas moins représentatif, était recalé uniquement parce qu’il a joué franc jeu en voulant se présenter comme indépendant. “Aujourd’hui, nous avons un problème de lisibilité du jeu politique. Cela pose aussi un problème de gestion des concertations sur les processus électoraux. Quand on doit convoquer, il faut inviter tous les 320 partis dans une salle. Ce n’est pas possible. Cela complique également davantage les négociations’’. En fait, au dialogue politique, la majorité envoie 20 représentants, l’opposition 20, les non-alignés 20. “Sans compter l’Adminis-tration, la Cena…’’, précise Moun-diaye Cissé. Qui ajoute : “Cela renchérit également les coûts des concertations. Là où on pouvait payer maximum 5 millions de F Cfa, on va payer 50 millions. Il faut rationaliser sans enfreindre le principe constitutionnel de la liberté d’association.’’ Comment ? Le directeur exécutif de l’Ong 3D explique : “Il faut agir sur la création des partis politiques en corsant les conditions. Par exemple, il a été proposé d’exiger le dépôt d’un certain nombre de signatures réparties dans un certain nombre de régions, comme ça se fait pour le parrainage. Il faut aussi exiger aux partis de disposer d’un siège. Qu’il y ait également des frais d’enregistrement et une obligation de tenir des congrès de renouvellement des instances.’’
Enfin, plaide M. Cissé, il faudrait donner un délai raisonnable, à tous les partis déjà constitués, pour se conformer à la nouvelle règlementation. “A défaut de se conformer, on les raye de la carte’’. Mais pour éviter la suspicion qui plane généralement sur l’Administration, le responsable de la société civile prône l’érection d’une autorité en charge de cette régulation.
Avec EnQuête