NETTALI.COM - A quoi faut-il finalement se fier ? A la lettre et à l’esprit du droit ? A la parole des politiques ? Ah ces politiciens, ils changent au gré des mandats, des législatures et des circonstances. Mais qu’est-ce que leur parole est désacralisée ! Qu’est-ce qu’elle est changeante ! C’est la réalité sous nos tropiques.
Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans le langage courant, on parle de parole de politicien pour faire référence à une parole peu fiable. Ainsi va le rapport entre le politique et le citoyen-électeur. Le premier a toujours une longueur d’avance sur le second qui se fait avoir à tous les coups. On le drague à la veille des élections et après on lui dit bye bye jusqu’aux prochaines. Il a beau se réfugier derrière des institutions, mais celles-ci ont été façonnées par le politique - au sens de pouvoir exécutif- qui s’est de tout temps donné les moyens de sa prééminence sur les pouvoirs législatif et judiciaire.
Pour ce qui est du droit, tout le monde s’accorde sur son statut de science. Mais le droit constitutionnel, une de ses branches sur laquelle on s’appuie pour régenter les questions de gouvernance - on l’a appris ces dernières années - est d’une telle élasticité qu’il laisse libre cours à toutes sortes d’interprétations. Il est si élastique, souple, flexible et manipulable. On nous parle tantôt de texte et pour nous berner, on s’attarde sur l’esprit des textes. Et là c’est la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations, mais dans le sens que l’on souhaite. C’est pourquoi pour d’aucuns, son statut de science laisse songeur, si tant est qu’on peut en jouer, selon ses intérêts du moment. Certains s’amusent même avec.
Si en effet Ismaël Madior Fall, en tant que constitutionnaliste a été choisi comme ministre de la Justice sous Macky Sall, ce n’est guère un hasard. Le Président Sall en avait besoin pour réaliser ses desseins, c’est-à-dire tailler la constitution à sa guise. Celui-ci pouvait faire le boulot avec la dextérité d’un orfèvre envers et contre tous les constitutionnalistes que compte ce pays. Il n’est pourtant pas le plus brillant, mais il a su assumer avec froideur et détermination, la mission qui lui a été confiée. Qu’est-ce qu’il a berné les Sénégalais, celui-là avec ses termes pompeux et d’une vacuité sidérale. Réformes consolidantes, nous rabâchait-il pour donner de la consistance à ses propos, pour faire preuve d’érudition et impressionner les non-initiés au droit. Réformes consolidantes mon œil ! N’a-t-il pas par exemple mis au point ce tour de passe-passe qui a permis à Macky Sall de passer d’un mandat de 5 à 7 ans ? Ce cher Macky nous a sorti que la constitution l’avait lié. Il avait tellement envie de remplir son mandat de 5 ans comme promis , mais hélas ! Il est un tel démocrate, ce cher Président qu’il n’a pu que s’attacher si solidement à l’arbre constitutionnel dont il lui était si difficile de se détacher. Pauvres sénégalais.
Sur la question du référendum, là aussi Ismaël Madior a tellement bien tissé la toile d’araignée du texte de loi que les Sénégalais n’avaient pas d’autres choix que de prendre les carottes, les choux, les navets, aubergines, en même temps et les manger tous en même temps. Soit on mangeait tout, ou on mourrait de faim. Quel coup de vice ! Le référendum fut adopté avec ses pièges et embûches.
Ainsi va la politique version sénégalaise et ses artifices. Au lieu d’adopter la définition vertueuse de la politique, nos politiciens préfèrent prendre le côté vicieux. Ne sont-ce pas eux qui créent les textes de lois qui émanent d’une majorité constituée par eux-mêmes et qui les proposent avec l’onction que le peuple leur a conférée ? Cette majorité qui est en effet une chambre d’enregistrement, représente en effet mal le peuple. Le député se sent en alors obligé de faire les affaires de celui qui l’a placé là. Il ne se sent pas du tout redevable de l'électeur, n'ayant pas de mandat impératif vis-à-vis de celui-ci. Et pourtant si. Moralement ! A l’Assemblée nationale, lorsqu’on dispose d’une majorité parlementaire, il est toujours aisé de manipuler la loi à sa guise. Il en a toujours été ainsi de nos différentes assemblées gouvernées par une majorité des partis politiques au pouvoir. Ce qui a pour conséquence de faire passer tous les textes comme lettre à la poste. Qu’ils soient bons ou mauvais. De même, lorsqu'on gère la carrière du magistrat avec la possibilité de le déplacer, de le nommer et même de le rétrograder, en utilisant des subterfuges, malgré tous ces grands principes qui garantiraient son indépendance, il faut vraiment qu'il ait décidé d'être indépendant pour refuser d'être manipulé.
Aujourd’hui, les Sénégalais font face à une autre équation à plusieurs inconnus, la limitation des mandats. Une question pourtant pas nouvelle dans le paysage politique. Le problème a en effet constitué une pomme de discorde sous tous les régimes, depuis le début des années 1990. Pour mémoire, après la présidentielle du 28 février 1988, Abdoulaye Wade et plusieurs leaders de l’opposition avaient été emprisonnés, suite à de violentes manifestations de rue, puisque ces élections-là étaient contestées. Au lendemain de la libération du pape du Sopi, des négociations furent ouvertes entre le pouvoir et l’opposition. Un nouveau code électoral consensuel, plus connu sous le nom de « Code Kéba Mbaye » fut alors adopté en 1992. L’une de ses dispositions avait la particularité de porter sur la limitation du mandat du président à deux. Abdou Diouf réélu en 1993, ne pouvait plus dès lors briguer les suffrages des Sénégalais au-delà de l’an 2000. Malheureusement, la majorité socialiste à l’Assemblée nationale trahira cet accord, en levant le verrou de la limitation des mandats en 1998.
Me Abdoulaye Wade élu président de la République, fera face au même dilemme après sa réélection en 2007. Pour rappel, à travers le référendum de 2001, le pape du Sopi proposa une constitution qui limitera à nouveau, les mandats successifs d’un président de la République à deux. Contre toute attente, il revient sur sa promesse de respecter le principe de la limitation des mandats et nourrit même l’intention de se succéder à lui-même. Il s’ensuivit de violentes manifestations qui donneront naissance au Mouvement du 23 juin, tout en lançant le rouleau compresseur irrésistible qui viendra à bout du régime libéral le 25 mars 2012. Fou Malade nous apprendra à cet effet à l’émission « Jakaarlo » de la TFM que c’est Macky Sall himself qui trouvera le nom M 23. Une manière de dire qu’il était à la pointe de ce combat.
Ironie du sort, le Président Sall, comme ses prédécesseurs immédiats, inspirera, via le référendum de mars 2016, une nouvelle constitution devant trancher définitivement la pomme de discorde. Hélas, avec lui également, le serpent noir de la limitation des mandats, remonte en surface prématurément puisqu’il n’est réélu que depuis le mois de février dernier. Malgré sa déclaration de 2017, on ne sait pas encore clairement ce qu’il compte faire en direction de la présidentielle de 2024, après que des juristes réputés, notamment le Pr. Babacar Gueye, ont soulevé la polémique.
Le débat sur la limitation des mandats, une question qui semble donner de l’urticaire à Macky Sall. Dans son parti, c’est l’omerta. On trouve indécent, prématuré, malsain d’évoquer le sujet.
Ailleurs, on préfère débattre du sujet limitation des mandats, tant la posture de Macky Sall est clair-obscur. Sur les ondes de la Rfm, le désormais ex-directeur général des Sénégalais de l’extérieur Sory kaba a eu l’impertinence de soulever le débat en ces termes : «la Constitution lui interdit de faire un troisième mandat. Notre constitution a été verrouillée. Deux mandats pas plus. Il n’y a aucune possibilité de rétroactivité». Il en fait les frais. Il a purement et simplement été limogé par décret.
Moustapha Diakhaté, le rebelle du maquis qui feu de tout bois depuis quelques temps, a été prié d’aller se plaindre ailleurs. Son poste de ministre conseiller de Macky Sall, lui a tout simplement été retiré. «La manière dont Macky Sall veut mettre un terme à cette polémique est contreproductive. S’il veut limoger toute personne qui en parle ou si des gens de l’Apr insultent ceux qui expriment leur point de vue, cela pose problème. Le président ne devrait pas cautionner ces insultes et le limogeage de Sory Kaba a créé plus de problèmes qu’il n’en a réglé, en ravivant une polémique qui n’a pas lieu d’être », a laissé entendre Moustapha Diakhaté à l’émission Sen Jotay de la Sen Tv.
Sur les ondes de la Rfm, le ministre porte-parole de la présidence de la République est rapidement monté au créneau pour expliquer les raisons du limogeage de celui-ci . L'APR ne laissera plus personne évoquer le sujet sans subir la foudre du grand manitou. “Dans le cadre du parti, la discipline est plus importante que la liberté d’expression”, a résumé M, Guèye qui ne manque pas d’expliquer : “Moustapha Diakhaté a fait preuve d’indiscipline de parti”. On a compris. Il est donc reproché au désormais ex-ministre conseiller de ne s’être pas aligné sur les positions de l’Alliance pour la république (Apr). Mais de quelle position s'agit-il au juste ? Seydou Gueye est prolixe sur le sujet et s'est gardé d'entrer dans les détails.
Une attitude en tout cas de Macky Sall qui en dit long sur sa gêne, son malaise face à ce sujet. Dans le cas de Sory Kaba, des analystes ont fini d’interpréter la sortie de l’ancien directeur des Sénégalais, vu comme un proche d’Amadou Ba, l’ex ministre des finances, comme une manière pour les futurs prétendants à la succession de jeter du sable dans le couscous du Président Sall. Il est vrai que, ceux à qui les observateurs prêtent des intentions - à savoir Mimi Touré, Amadou Ba et Mouhamed Boun Abdallah Dione et d’autres en embuscade - ont aussi le droit d’avoir des ambitions. Mais pour d’aucuns, il serait bien plus logique d’avoir des prétentions en étant hors du gouvernement de Macky Sall. Seulement dans ce désordre prévisible, l’horizon ne semble pas clair pour ceux-là qui voient dans le fait pour l'actuel président de n’avoir nommé de numéro 2, ni cherché à structurer son parti, après avoir supprimé le poste de 1er ministre, une volonté de briguer un 3ème mandat. Macky Sall verrouille tout et colle des doublons à tout le monde, question de maîtriser son monde, son univers, analysent d'autres observateurs de la scène politique. Mais pour quelle logique ?
Mais heureusement que des constitutionnalistes veillent. Ils assument le débat. Après le constitutionnaliste Babacar Guèye, Ababacar, un autre Guèye, a jeté le pavé dans la mare, confortant en cela, Sory kaba. « Macky Sall ne peut absolument pas briguer un 3ème mandat», a fait savoir ce dernier, ce dimanche 27 octobre à l’émission Grand Jury, sur la Rfm. « Le président Macky Sall a été élu en 2012 pour un mandat de 7 ans. Et entre temps, il y a eu une révision de la constitution en 2016. Le deuxième alinéa de l’article 27 de la constitution de 2016 dit bien que nul ne peut faire deux mandats consécutifs. Le problème est de savoir si cette disposition s’applique à Macky Sall pour son premier mandat de 7 ans », a argumenté celui-ci avant de délibérer en ces termes : « Je dois préciser que cette position découle d’une interprétation de la constitution après la décision du Conseil constitutionnel de 2011 qui avait validé la candidature de Wade ». Il en a du coup déduit que malgré la révision constitutionnelle de 2016 réduisant le mandat présidentiel à 5 ans, le premier mandat est déjà comptabilisé. « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs…si on reste dans l’orthodoxie juridique, les dispositions de la Constitution sont d’application immédiate », a -t-il relevé.
Une fois cela dit. D’autres constitutionnalistes ne manqueront certainement pas de soutenir la thèse contraire. Ismaël Madior Fall, conseiller du Président dans les affaires juridiques qui est depuis ses hauts faits d’armes, surnommé le tailleur constitutionnel, voudra certainement préciser sa pensée après avoir lancé un « en principe » au cours d’une interview avec le quotidien EnQuête. Une nuance quant à la limitation des mandats à deux qui avait d’ailleurs soulevé un tollé. La polémique était dès lors lancée. Après il y eut une période d’accalmie. Fou malade et ses amis de la société civile n’entendent pas pour le moment l’affaire de cette oreille et ne cessent de rafraîchir la mémoire de Macky Sall quant aux batailles épiques menées au sein du M23. Macky devrait se rappeler du nom M23 qu’il avait créé et du contexte de lutte. Le Président Sall n’aurait pas toutes les garanties quant à la protection de ses arrières. C’est ce que certains observateurs affirment.
Mais pour l’heure, il manœuvre et se décidera certainement en fonction de la configuration du terrain, de l’évolution des rapports de force et du climat politique. Il négocie avec Me Wade quant à une probable réhabilitation de Karim ; et pourquoi pas une amnistie de Khalifa Sall qui a adopté un ton bien pacifique et d’apaisement depuis sa sortie de prison ? L’opposition, elle, observe avec attention le spectacle qui se déroule sous ses yeux depuis la pause du dialogue national qui a emprunté d’autres sentiers. Elle se signale dans des velléités de regroupement, quoique timidement. Idrissa Seck est toujours aussi aphone et préfère envoyer son lieutenant Déthié Fall aux charbons. Il ne manque toutefois pas de poser des actes en s'alliant avec Pape Diop, Malick Gackou, etc dans un front de l'opposition dans lequel le PDS n'est pas convié. Ousmane Sonko se la joue solo tout en manœuvrant pour ne pas patauger dans la boue des 94 milliards. L'ex-juge Dène lui a d'ailleurs récemment lancé une pique à ce sujet. Qu'est-il est allé se fourrer dans ce guêpier ? C'est en tout cas l’heure de la reconfiguration du jeu politique. Fou Malade exhorte l’opposition à se réveiller et à prendre en charge la question de la limitation des mandats. Et le peuple dans tout cela ? Il est temps aussi qu’il ouvre les yeux au risque de se faire endormir.