NETTALI.COM – Et si Birima Ndiaye et « Fou Malade » avaient raison au sujet de Cheikh Yérim Seck ? Ils avaient tous les deux affirmé, lors de l’émission « Jakarloo » du vendredi 10 janvier dernier que les propos du journaliste à l’émission « Face to Face » d’Aïssatou Diop Fall sur la TFM, étaient juste pour lui, une manière d’attirer l’attention et de se remettre au-devant de la scène.
Selon Birima Ndiaye, il était vexé de n’avoir pas été invité à la conférence de presse d’après discours de nouvel an du Président Sall. Le rappeur lui était allé plus loin dans son commentaire en indexant le fait que M. Seck se considère comme un grand journaliste et devait à ce titre être naturellement invité à ce genre de rendez-vous. Pour rappel, celui-ci, au cours d’une de ses sorties, avait cité quatre membres du gouvernement de Macky Sall comme de potentiels successeurs (Abdoulaye Daouda Diallo, Cheikh Oumar Hanne, Mansour Faye et Makhtar Cissé).
Avouons quand même que balancer pareille réflexion dans un contexte où la question du 3ème mandat et du dauphinat fait débat, c’est chercher à attirer les projecteurs sur soi, ce d’autant que Cheikh Yérim n’est pas un journaliste inconnu au bataillon. Il a expliqué qu’au regard de ses recoupements et autres, il en est arrivé à cette conclusion-là, tout en précisant au passage que le journalisme n’est pas une science exacte et qu’il lui arrive de se tromper ou de se faire manipuler par des sources.
Mais pour le journaliste expérimenté qu’il est et qui a interviewé tant de chefs d’Etat, selon en tout cas ses termes, il doit sans doute garder en mémoire que le journaliste ne peut prendre l’habitude d’être manipulé. Il acquiert des réflexes à l’épreuve de la pratique et devient de moins en moins faillible sur ce point, surtout lorsqu’il respecte scrupuleusement les règles du recoupement.
La vérité, c’est que Cheikh Yérim fait partie de cette race de journalistes qui savent créer de l’empathie avec le grand public si friand de déclarations fracassantes, de sensationnel et de potins. Sauf que le journalisme a ses règles et requiert une certaine responsabilité et un fondement du métier basé sur des faits et non des effets d’annonce qui ressemblent à un besoin de titiller, d’être au centre des événements ou de faire des clins d’œil.
Cette analyse sur ces potentiels successeurs de Macky Sall a plutôt eu l’effet d’obscurcir l’horizon politique et n’a pas beaucoup d’intérêt pour le public d’autant plus qu’il le plonge dans des conjectures inutiles surtout dans ces périodes de morosité ambiante. Elle n’aura en tout cas pas convaincu beaucoup d’analystes avisés. Même Bouba Ndour - plus à sa place dans le domaine musical mais qui étend ses tentacules dans le domaine médiatique - a décelé le subterfuge de notre cher journaliste et lui dira : « Tu es futé, tu es fort… mais le fait d’avoir cité Mansour Faye, Abdoulaye Daouda Diallo, Cheikh Oumar Anne, Makhtar Cissé uniquement, ne me paraît pas sérieux car si demain, on faisait un sondage, sur 10 Sénégalais beaucoup citeraient Amadou Ba, parmi ceux-là, Mimi Touré et d’autres ».
Pour Charles Faye, lorsqu’on fait une analyse, on ne doit pas « rester à la surface ». Montrant la voie, il dira : « Tu peux par exemple dire Mansour Faye a 101,4 milliards, il a de quoi aller en guerre… ». Une manière de rappeler la sacralité des faits à introduire dans l’analyse sans toutefois balancer des affirmations tout de go.
« Fou Malade » abondera dans le même sens de lui montrer ce qui pouvait être une analyse digne de ce nom, s’adressant à Cheikh Yérim : « lorsque vous citez Amadou Ba, vous le citerez en termes d’électorat ; Matar Cissé en termes de résultats et compétences ; Cheikh Oumar Anne, je ne pense pas que pour un dauphin, Macky prenne un tel risque avec lui avec toutes les critiques qu’il concentre, Il ne se passe pas une manif sans que celui-ci ne soit cité ; Abdoulaye Daoudia Diallo, il peut peut-être faire des résultats, mais amoul khorom (ndlr - il n’a pas de charisme) », en se demandant si Yérim n’est pas la bouche de Macky Sall.
Birima rajoutera d’ailleurs une couche à l’endroit du journaliste : « C’est parce qu’entre-temps tu t’es réconcilié avec certains que demain ton analyse peut changer ». Yérim Seck rappelait à cet effet que le Président Macky Sall est son ami et son grand frère pour ce qu’il a fait pour lui et son épouse, au moment de son emprisonnement, expliquant au passage qu’il n’oublie pas le bien qu’une personne a fait pour lui. Des amis politiques aussi, Yérim en compte beaucoup, mais il s’empressera de préciser que ces liens n’entament en rien son objectivité.
C’est en somme une belle leçon de rigueur dans le raisonnement en substance qui a été donnée à Cheikh Yérim qui réfléchira certainement par deux fois avant de balancer des éléments d’informations sans pour autant les habiller de faits.
Mais dans cette émission, chose qui a surtout étonné, c’est l’attitude de Bouba Ndour qui a poussé un grand coup de gueule contre la tentation qu’il prête aux journalistes sortis du Cesti de porter leur diplôme en bandoulière en voulant réfuter toute capacité d’analyse aux non journalistes. Le directeur des programmes de la TFM pense toutefois que tout le monde est doté de bon sens et peut livrer une analyse. Poursuivant son discours, il dira que « tout le monde ne devient pas du jour au lendemain, un Charles Faye ou un Cheikh Yérim Seck ».
Mais c’était sans compter avec Der qui lui fit comprendre qu’il devait avoir quelque chose contre les journalistes d’autant plus qu’il le prouve tous les jours dans les coulisses du Groupe Futurs Média.
Mais une question à toutefois se poser, est de savoir au nom de quelle légitimité Birima Ndiaye et Bouba Ndour s’arrogent-ils la capacité ou le pouvoir de qualifier un journaliste de grand ou de petit ? Que veut au juste dire « grand journaliste » ? La notion de grand journaliste, est-elle liée à la notoriété ? A la célébrité ? En tout cas, Cheikh Yérim sait bien jouer de cela et n’hésite pas à rappeler son passage à « Jeune Afrique », journal panafricain connu mais qui a aussi ses détracteurs. Un passage dans cette rédaction suffit-il pour juger de la qualité d’un grand ou petit journaliste ? Lorsque Cheikh Yérim répondant à Fou Malade, lui pose la question suivante : « Connais-tu le nombre de présidents que j’ai interviewés ?». Des présidents, lesquels ? Combien ? On pourrait y voir, il est vrai, un certain prestige. Mais et après !
En déniant au journaliste le monopole de l’analyse, Bouba Ndour, tout comme Birima Ndiaye qui se considèrent comme « des hommes de médias », ne se trompent certainement pas. Mais de quelle analyse parlent-ils ? Bien sûr qu’un non journaliste peut étudier des situations politiques, mais est-il dans la majeure partie des cas, en mesure d’aller à la source de l’information ? Est-il capable de faire les recoupements appropriés ? Connait-il les faits politiques et historiques ? Et pourtant sur ce plateau, l’on est bien dans le registre journalistique et pas dans des élucubrations ? Se cherchent-ils une légitimité ? A titre d’exemple, un chiffre de 1000 milliards de budget a été attribué à Mansour Faye pour le compte de son ministère. Il a fallu l’intervention de Der pour rectifier le chiffre qui était plutôt de 101,4 milliards. Que faisaient-Bouba Ndour et Birima sur le plateau lorsque ce chiffre a été balancé ? Dormaient-ils ? Une erreur qui continue à prospérer depuis des comptes rendus de presse jusqu’à cette émission de « Jakarloo » que l’on répète sans recul, ni vérification ?
La nécessité de connaître les faits est à ce point impérieux qu’on risque de basculer dans le champ de l’opinion et transformer l’émission en tribune de contrevérités. Il devient en effet habituel d’entendre des hérésies notamment sur la question des semences, de la hausse du prix de l’électricité et même sur le taux de croissance et la dette sans que la contradiction puisse être apportée sur les plateaux-télé de manière générale.
Que Bouba Ndour ne se trompe pas de capacité et qu’il ne pousse surtout pas la prétention au point de penser qu’il est logé à la même enseigne que les journalistes ! Il est en effet plus dans le registre de l’opinion qu’autre chose. Livrer une opinion et se prêter à une analyse, ne procèdent pas de la même logique. Le bon sens comme il a semblé, le faire comprendre, n’est pas l’exclusivité des journalistes. Ce qui est vrai. René Descartes ne disait-il pas dans « Le Discours de la méthode » que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée…» Mais lorsqu’on parle d’information, M. Ndour doit comprendre qu’à la TFM, l’exclusivité sur la partie informative doit être réservée aux seuls journalistes et non aux animateurs, comme le demande d’ailleurs le nouveau code de la presse voté en 2017 et dont l’application a débuté avec la mise en place de la commission d’attribution de la carte nationale de presse et de validation des acquis de l’expérience. TFM produisant du divertissement, les non journalistes peuvent dès lors être confinés à ce rôle et sortir de l’information car ils n’en ont ni la compétence, ni la formation appropriée.
A la vérité, si les non journalistes pensent pouvoir de nos jours entrer par effraction dans le métier, l’internet et les réseaux sociaux y sont pour beaucoup. Ceux-là pensent désormais pouvoir produire de l’information. Mais ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils n’utilisent pas les techniques de collecte, de recoupement et n’apportent pas l’équilibre nécessaire à l’information. Ils relaient des événements sur le moment, mais sont incapables d’en donner dans la plupart des cas, les causes, la suite dans le temps, etc. C’est un métier en soi, le journalisme, sinon les journalistes du Cesti ne subiraient pas une formation de 3 ans après le bac ou de 2 ans après la licence.
Si on en est arrivés là, c’est que beaucoup de journalistes sont devenus bien sédentaires. Il n’y a plus de transpiration. Ils sont devenus des caisses de résonance et font plus dans le sensationnel en rapportant par exemple des « guerres politiques » par médias interposés ? L’épisode Yaxam, Cissé Lo, Farba Ngom, est là pour nous le prouver. Moustapha Diakhaté par exemple dans sa croisade contre la gouvernance de Macky Sall, aura réussi à faire le tour de toutes les chaînes de télé. Aujourd’hui, c’est l’affaire «Rangou (cette fille qui joue la dévergondée sur instagram) et Mame Makhtar Guèye (de Jamra) qui fait les choux gras de la presse.
C’est en effet la mort programmée de l’investigation, non pas qu’il faille dénoncer des scandales ou produire des enquêtes toutes les minutes, mais bien parce que la plupart des journalistes ont choisi de désormais tendre le micro. Le journalisme est pourtant un métier exigeant qui nécessite de franchir des étapes, de vivre des expériences. Ce n’est pas un hasard si dans le métier, l’on débute par le statut de reporter qui prédispose à la collecte et au recueil de l’information sur un événement ou un sujet d'une certaine actualité, en se déplaçant le plus souvent sur les lieux des faits. Généralement le reporter intègre un desk précis (société, politique, santé, sport, etc) et fait son expérience terrain et a la possibilité d’être chef desk, puis de monter dans la hiérarchie. En cela, c’est un métier large au point de requérir une spécialisation. Ce n’est guère une surprise, lorsque les journalistes sénégalais n’affrontent pas facilement la matière économique, financière, juridique, environnementale, etc. Ils ne la connaissent pas pour n’avoir pas été formés dans ces domaines. Ils s’orientent plus vers la politique et le sport, deux domaines qui paraissent plus à leur portée.
En soi, le titre honorifique de grand reporter utilisé dans les rédactions, est à encourager puisque celui-ci est choisi selon le critère d’une certaine ancienneté dans le métier ou une certaine notoriété. Celui-ci est de fait un journaliste produisant le plus souvent des reportages ou enquêtes sur des sujets pouvant dépasser le cadre de l’actualité immédiate ou isolée. A côté beaucoup préfèrent le titre de rédacteur en chef ou de directeur de publication, qui de nos jours, dans la plupart des cas, confine plus dans un bureau et dans une posture plutôt sédentaire.
L’expérience est à ce point déterminante en journalisme et permet de combler des lacunes surtout pour les journalistes non spécialisés. Nos télés par exemple regorgent de nos jours, de jeunes animateurs d’émissions. Le résultat est une inexpérience de ceux-ci qui les empêche d’être à la hauteur des débats et des invités au niveau parfois largement supérieur.
Dans cette affaire, Bouba Ndour fait naïvement la confusion entre une opinion et une analyse en tout cas d’un point de vue journalistique qui ne peut être conçue en dehors des faits. De même que le commentaire. La mort programmée du journalisme d’investigation a ceci de pernicieux parce qu’elle laisse penser que le journalisme est une sorte de relais des faits dans lequel on ne fait qu’opposer deux parties ou plusieurs dans une affaire sans chercher à rétablir la vérité. C’est pourquoi désormais, la manipulation de l’opinion devient facile dès lors que les journalistes ne font pas beaucoup de recoupements afin de dénouer les écheveaux ou rétablir la vérité avec un souci d’équilibre de l’information.
Combien d’inepties ont été dites sur la question des semences, de la hausse du prix de l’électricité, dans l’affaire des 94 milliards, Petrotim et autres ? Pourquoi les journalistes ne prennent-ils pas le parti de mener des enquêtes sur la campagne de commercialisation, la collecte des semences, … ? Il existe beaucoup de sujets sur lesquels les journalistes n’arrivent plus à éclairer l’opinion. Conséquence, les sujets ne s’éteignent jamais et les polémiques prennent en otage le pays pendant de très longtemps et deviennent un dossier à agiter pour opposants en panne d’inspiration à chaque fois que l’actualité devient plate.
Pendant ce temps, les journalistes télé sont aux anges. Ils sont les plus visibles parce qu’étant sous les feux des projecteurs. Ils finissent même par devenir des stars et ont même des amis sur facebook qui les suivent et « likent » tout ce qu’ils font. Certains d’entre eux animent même des conférences sans avoir un background journalistique digne de ce nom. Ils font même des selfies et se font habiller par des stylistes. Un fait pourtant interdit par la déontologie !
Mais au-delà, ce sont pourtant ces journalistes cachés de la presse écrite qui donnent désormais le ton de l’info. Si les animateurs de la revue de presse sont devenus célèbres, c’est bien parce qu’ils vivent du fruit du travail de la presse écrite qu’ils relaient, commentent et mettent à leur sauce. De même les radios et leurs émissions de la mi-journée sont fortement influencées par les titres de la presse écrite. L’internet n’en parlons pas puisque c’est en général le règne du copié-collé qui abolit les scoops.
C’est en tout cas la crise du journalisme à la sénégalaise depuis que l’info n’est plus la star. Comme au foot, la télé a maintenant son mercato. Il est peut-être temps de mettre de l’ordre dans la presse.