NETTALI.COM - Une affaire qui a défrayé la chronique et suscité une vive polémique, ces deux dernières semaines, c’est celle du rapatriement de Sénégalais bloqués à Wuhan, épicentre de l’épidémie de Coronavirus en Chine.
Sur les infos relayées par les différentes chaînes de télé, radios, les titres de la presse écrite et journaux du net, l’on peut noter des parents d’étudiants angoissés et au bord des larmes, ruer dans les brancards pour demander le rapatriement de leurs enfants. Mais le plus terrible, ce sont surtout les victimes de ce confinement en Chine qui, pris de panique, commencent à s’en prendre aux autorités politiques qui semblent, selon leurs propres termes, les avoir abandonnés à leur sort. On a même pu lire et entendre : « si c’étaient les enfants de tel ou tel autre ministre, Ils n’auraient pas réagi de la sorte ». Bref un concert de désespoir et d’appels à l’aide que les autorités ont mal géré.
Mais il n'y a pas que des Sénégalais qui vivent le calvaire de l’épidémie. Depuis le lundi 3 février, 3711 personnes sont confinées à bord du Diamond Princess, un navire de croisière mis en quarantaine au large de Tokyo (Japon). Le huis clos de l'angoisse, devrait-on dire dans ce cas-là car au fur et à mesure que les jours passent, l'inquiétude grandit puisque le nombre de personnes à bord victimes du coronavirus, ne fait qu'augmenter. Il est hélas passé de 8 à environ 130 en une semaine d’après les infos à notre possession.
Des personnes qui finalement, se retrouvent dans des sortes de cage où leurs activités sont réduites à l’oisiveté, attendant certainement, dans l’incertitude totale, la délivrance. Les plus chanceux d’entre eux, comme l’on a pu le noter dans des reportages télévisuels, sont ceux qui sur ce bateau, disposent d’une cabine avec balcon d’où ils peuvent admirer la mer et le spectacle de ceux qui sont venus à bord de jet ski, leur apporter leur soutien. Le seul contact avec le monde extérieur reste pour beaucoup, la télévision et les réseaux sociaux où ils peuvent discuter avec leurs familles, amis qui cherchent à leur apporter du réconfort en attendant la fin de leur calvaire.
Une épidémie qui n’est peut-être pas près de s’arrêter car avant d'être en quarantaine au large du Japon, le bateau de croisière avait fait escale à Taïwan. Des tests effectués par la suite ont d'ailleurs permis de dénombrer 64 cas de contamination, nous apprend RFI. En réaction, les autorités taïwanaises ont diffusé une carte d'une trentaine de lieux visités par les passagers.
Mais dans le cas du Sénégal, la gestion de la situation a été source de polémiques. Elle a été plutôt mal prise en charge même si elle n’est pas d’une grande simplicité.
Il y a eu tout d’abord, une première étape marquée par la publication d’un communiqué daté du 28 janvier 2020. « Notre représentation diplomatique est en alerte et certains étudiants qui ont pu être contactés par le ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur se disent en effet en bonne santé et suivent, à l’instar de toute la population de Wuhan, les mesures préventives édictées par les autorités chinoises pour éviter la propagation du virus et qu’aucun moyen ne sera épargné pour porter secours et assistance à nos compatriotes », avait déclaré le ministère des Affaires étrangères. Depuis, plus un mot. Une teneur de son communiqué tellement laconique et d’une vacuité telle que l’on a pu se demander si les services du ministère des Affaires étrangères se préoccupent réellement de l’affaire ou s’ils mesurent vraiment la gravité de cette épidémie. A la vérité, il aurait mieux valu ne rien écrire.
L’inquiétude grandissante chez les étudiants sénégalais de Wuhan, mais également chez leurs parents, obligera le chef de l’Etat, lors d’une cérémonie de levée des couleurs à monter au créneau pour communiquer sur le cas des 13 étudiants sénégalais. Le Président ne fera que rajouter à la grosse inquiétude des parents. « Le Sénégal n’a pas les moyens de rapatrier ses compatriotes », dira celui-ci, lors d’une sortie le 5 février passé. Il a jugé «hors de portée» de son pays, le rapatriement d’étudiants coincés dans le berceau chinois de l’épidémie. «Même les grands pays qui ont pu faire des rapatriements, l’ont fait avec beaucoup de difficultés. Cela requiert une logistique tout à fait hors de portée du Sénégal. Il faut des avions spéciaux qui puissent aller sur place, il faut du personnel, ce ne sont pas des compagnies aériennes, mais des appareils militaires. Lorsque ces personnes reviennent, il faut pouvoir les mettre en quarantaine dans un lieu équipé en conséquence, ce n’est pas encore le cas pour le moment dans notre pays et des pays africains.», commentera-t-il.
Une sortie qui n’a pas été loin de contredire le communiqué du 28 janvier des services d’Amadou Ba qui disaient travailler à la possibilité d’un rapatriement. « Dans l’hypothèse où la situation ne connaîtrait pas une nette amélioration, des discussions sont engagées avec les autorités chinoises pour étudier la possibilité d’obtenir une autorisation pour un rapatriement de nos étudiants », pouvait-on lire dans le même document daté du 28 janvier dernier.
La sortie du Président Sall a-t-elle poussé les Affaires étrangères à communiquer le moins possible sur ce dossier depuis lors ? Personne ne sait. En tout cas c'est silence radio pour ce que nous en savons.
3ème étape : les critiques se multipliant, Abdoulaye Diouf Sarr va à la rescousse du Président Sall pour tenter de désamorcer la bombe. «Les propos du chef de l’Etat ont été galvaudés, manipulés et transformés de telle sorte qu’on a eu l’impression qu’il s’agit de moyens financiers», avait-il nuancé.
Un commentaire d’un interlocuteur de « nettali.com », fonctionnaire du ministère de la Santé tentera d’expliquer : «Je ne sais pas si les gens s’en rendent compte. Mais l’hôpital le plus proche de l’aéroport de Diass se trouve à Thiès où il n’y a presque pas d’équipements.» Lorsqu’il lui est demandé ce qu’il en est de l’aéroport de Dakar alors ? «C’est possible, mais est-ce que vous savez que le Sénégal n’a même pas de masques triple-filtre utilisé dans de tels cas ?», a-t-il répondu, non sans regretter Eva Marie Coll Seck «qui avait su gérer l’épidémie d’Ebola plus proche, à l’époque, de nos frontières».
La sortie de l’ancien ministre des Affaires religieuses, Bamba Ndiaye qui a cherché à toucher la fibre religieuse des musulmans, ne calmera pas le jeu. Rappelons que c’est dans une contribution, parue vendredi et intitulée : ” Que dit l’Islam sur le rapatriement de nos concitoyens se trouvant à Wuhan ?”
Il évoquera même un hadith du prophète Mohammed rapporté par al-Boukhari et Mouslim qui donnent des recommandations dans pareille situation : ”Si vous apprenez l’existence de la peste en un lieu, n’y entrez point ! Et si la peste apparaît dans un lieu où vous vous trouvez, n’en sortez point!”, enseigne-t-il.
Au finish, l'on a eu affaire à une gestion calamiteuse et des propos du Président Sall qui n’ont pas du tout été bien appréciés. Il s’en est suivi une avalanche de critiques sur les réseaux sociaux. Et l’on ne peut manquer de se demander si un président de la république devrait parler de cette manière-là ? Même si dans le fond, on peut essayer de comprendre les arguments avancés, les obstacles invoqués ne sont pas pour autant insurmontables. Dans la forme en effet, le discours a du mal à passer. Des situations de détresse de cette nature-là, requièrent en effet des précautions de langage et des formules qui apaisent d’un point de vue psychologique, l’essentiel étant de rassurer mais surtout de trouver les voies et moyens d’agir. La communication sur ce sujet a été en tout cas, disons le, désastreuse à tout point de vue.
Le directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama n’a d’ailleurs pas mis de temps pour réagir au Hadith invoqué par Bamba Ndiaye. C’est sur Facebook qu’il a apporté la réplique. Le militant des droits de l’homme s’est même permis une comparaison pour tacler Mouhamadou Bamba Ndiaye. ”Les Etats musulmans (Maroc, Algérie, Mauritanie, Turquie, Azebaidjan, etc.) qui ont rapatrié leurs ressortissants de Wuhan, ne connaissent-ils pas le hadith invoqué par Mouhamadou Bamba Ndiaye pour venir au secours du gouvernement“, s’interroge-t-il.
Une question peut toutefois être légitimement posée. La jurisprudence Eva Marie Coll Seck ne pourrait-elle pas servir de référentiel, ce d’autant plus que ce sont des médecins formés comme elle dans les mêmes facultés de médecine qui étaient à l’œuvre et s’activaient sur le terrain. A noter qu’elle était ministre de la Santé et plutôt dans un rôle de coordinatrice.
L’Institut Pasteur de Dakar de son côté, a même affirmé avoir les capacités de mener les tests afin d’identifier les éventuels porteurs du Coronavirus.
Cette polémique soulève en tout cas bien des questions à l’heure où le Sénégal, fier de son Institut Pasteur de Dakar, a été désigné pour recevoir en fin de semaine des experts de 15 pays du continent afin de les préparer à faire face au virus. Le paradoxe est d’autant plus grand que le Sénégal n’est pas un novice de cette expérience-là : lors de l’épidémie d’Ebola, il a fait partie des pays qui avaient le mieux géré cette crise sanitaire.
Ce lundi matin 10 février, Le Quotidien national « Le Soleil », a barré à sa une, le titre suivant : « chers parents, ne cédez pas à la panique » tout en tirant un bilan arrêté samedi dernier (ndlr – 8 février, et relevant ainsi 37 198 cas confirmés, 811 décès constatés, 2649 cas guéris et 28 942 cas suspects signalés en Chine continentale).
Des chiffres et un bilan provisoire
L'épidémie a causé 97 décès supplémentaires, dimanche en Chine continentale, ont annoncé ce lundi 10 février les autorités sanitaires chinoises. Ce qui porte à 908 le nombre de cas mortels dans le pays. Dans un communiqué, la Commission nationale de la santé a ajouté que 3 062 cas de contamination
recensés au cours de la journée de dimanche, portant à 40 171 le nombre de patients infectés par le virus en Chine. Dans la seule province de Hubei, épicentre de l'épidémie qui a démarré en décembre sur un marché de la ville de Wuhan, le nombre de décès a augmenté de 91 dimanche, faisant grimper le bilan total à 871 morts. Pour le spécialiste américain Ian Lipkin de l'université Columbia, l'épidémie pourrait atteindre un pic dans les deux semaines, avant de refluer nettement.
Des chiffres qui, même s’ils sont rassurants pour les 13 Sénégalais, nous dit-on « en bonne santé », prouve que l’épidémie ne recule pas vraiment. Mais fidèle à sa réputation d’organe gouvernemental, « le Soleil » n’a pas manqué de glisser au bénéfice du président Macky Sall et de son gouvernement, « le professionnalisme et le sens de la responsabilité du gouvernement sénégalais » qui ont « touché la Chine, son président et les Chinois ». De qui se moque-t-on ? Une réaction qui arrive bien tard même si elle peut contribuer à rassurer les parents engagés dans une course contre la montre et une fatigue psychologique insoutenable. Le ministère des Affaires étrangères et certainement le président Sall, au fort moment de la crise, auraient sans doute pu mettre un peu plus de contenu dans leurs communiqués et de compassion plutôt que d’emprunter ces formules laconiques et surtout sèches pour rien.
Mais quelles que soient les analyses fournies par ci par là, le destin de ces Sénégalais n’est pas de rester enfermés dans ce bunker de Wuhan. Combien de temps durera tout cela ? Nous espérons et souhaitons que cette épidémie soit rapidement un mauvais souvenir et que des solutions soient trouvées pour ces jeunes sénégalais.
La gestion de cette affaire est en tout cas venue nous rappeler que la communication est un métier et non une affaire d’improvisation ou de capacité innée. Elle nécessite formation et expérience. L’expérience nous montre en effet que si Macky Sall s’enfonce tous les jours dans ce domaine, c’est parce qu’il prend cette matière à la légère.
Le Président Sall devrait peut-être s’inspirer de Nicolas Sarkozy qui avait déployé d’énormes efforts pour sauver des citoyens français empêtrés dans une affaire bien compliquée. Pour rappel, cette affaire de L'Arche de Zoé concernait six Français qui déclaraient avoir pour objectif l'aide aux enfants orphelins et l’aide humanitaire. Celle-ci avait défrayé la chronique en octobre 2007 lorsque les forces de police arrêtèrent tous les participants qui s’apprêtaient à embarquer 103 enfants dans un avion affrété pour les conduire en Europe. La justice tchadienne avait alors condamné les principaux membres aux travaux forcés pour « tentative d’enlèvement de mineurs…. » Sarkozy avait ainsi déclaré : « quel que soit ce qu’ils ont fait, je vais les ramener en France ».
Ce qui fut fait car, rapatriés en France le 28 décembre 2007, les six membres de l'Arche de Zoé voient leur peine de travaux forcés commuée en 8 ans de prison ferme le 28 janvier 2008. L'affaire trouve en partie son épilogue le 31 mars 2008 par la grâce présidentielle tchadienne qui leur est accordée, puis leur libération immédiate.