NETTALI.COM - Après avoir joué la carte de la transparence depuis le premier cas de coronavirus détecté au Sénégal, le ministère de la Santé et de l’Action sociale a changé sa façon de communiquer, en ne donnant plus de détails sur les cas testés positifs. Un démarche fustigée par certains spécialistes de la communication.
«Il s’agit d’un patient de nationalité française, mariée et père de 2 enfants, qui vit au Sénégal avec sa famille depuis plus de 2 ans. Il a séjourné en France, précisément à Nîmes, à la station de ski de la région d’Auvergnes-Rhône-Alpes dans la période du 19 au 25 février 2020. Il est arrivé au Sénégal le 26 février 2020 après ses vacances», révélait-il le 2 mars le ministère de la Santé, après le premier cas de coronavirus. Tout était clair et limpide dans cette communication de crise sanitaire du gouvernement. Nationalité, situation, résidence, date d’arrivée… Tout y était. Le ministère misait sur la transparence comme premier pilier dans sa lutte. A chaque cas testé positif, des données et une trajectoire pour rassurer les citoyens quant à la maîtrise de la pandémie avaient été communiquées. Jusqu’au 27e cas détecté par les services de l’Institut Pasteur, l’information est limpide, transparente.
Et subitement, la communication du gouvernement se met à tousser. Mardi dernier, le docteur Aloyse Waly Diouf, porte-parole du ministère, fait une annonce laconique. Le Sénégal a enregistré en une journée 4 nouveaux cas de contamination dont un est un cas contact de l’émigré revenu d’Italie et déclaré positif quelques jours après son retour à Touba. Les médias n’auront pas droit à plus de détails. La rupture communicationnelle est trop grosse pour passer inaperçue. Elle traduit la volte-face du gouvernement dans sa démarche transparente et met en péril tout le travail abattu jusqu’ici.
«A l’ère du doute permanent, la dissonance cognitive est ravageuse», dit un expert en communication de crise. Pourquoi prendre un tel risque ? Dans les services du ministère de la Santé, c’est motus et bouche cousue sur cette nouvelle démarche. Mais en creusant un peu, des langues se délient et disent leur désarroi de la situation. «L’idée avec cette communication transparente, c’était de combattre ensemble le Coronavirus et non de livrer certains de nos concitoyens à la stigmatisation», souffle une source sous le couvert de l’anonymat. En Colombie, le gouvernement a activé un système de dénonciation pour lutter contre la propagation du virus.
Au Sénégal, l’histoire du «modou-modou» de Touba qui a contaminé le personnel soignant a fini d’installer la psychose autour des «venants de…». Si certains s’en tiennent à alerter sur ceux qui entrent par voie terrestre, d’autres vont plus loin dans le sordide. «Un enfant a appelé pour dénoncer son propre père sous prétexte qu’il était atteint de léthargie depuis son retour d’Italie», confie la source avec incrédulité. Et ce n’est pas le seul genre d’appels que les services du ministère reçoivent. De plus en plus de Sénégalais se sentent légitimes de dénoncer leur voisin qui est revenu d’Occident. Face à cette stigmatisation galopante et dangereuse, le gouvernement aurait décidé de changer d’approche. Ce qui ne serait pas sans conséquences pour sa communication de crise sanitaire.
Rupture dans la démarche : la méfiance
Le professeur Sahite Gaye est enseignant-chercheur au Centre d’étude des sciences et techniques de l’information (Cesti). «Sur le plan de la communication, cette rupture dans la démarche peut engendrer le doute et pire, la méfiance. Après une bonne dizaine de jours à faire une pratique et vouloir le changer le lendemain sans explication ne fait que susciter des interrogations. Certains peuvent être amenés à se dire qu'il existe des zones d'ombre», explique-t-il. A en croire l’enseignant-chercheur au Cesti, le doute serait la plus grave des conséquences, car il pourrait remettre en question toute la stratégie déployée jusqu’ici. «De même, ajoute-t-il, ce doute mettra en cause la prise de parole des officiels et les points de situation risquent d'être désertés ou banalisés par certains journalistes, d'autant plus que le communiqué est toujours accessible.» Aussi, ce changement pourrait pousser certains journalistes à boycotter les canaux officiels pour aller chercher l'information ailleurs. «On pourrait assister à une dissonance communicationnelle qui pourrait accélérer la diffusion de fausses nouvelles et le discrédit de l'information et de la parole publique», prévient le professeur Sahite Gaye.
Le gouvernement a le devoir de communiquer dans la transparence. La communication de crise exclut la manipulation, la désinformation. Selon le professeur Sahite Gaye, la communication de crise exige la transparence pour avoir la confiance. «Donc, souligne-t-il, même s'il y a changement dans la démarche, elle devait être accompagnée par une pédagogie. L'opinion n'accorde de crédibilité qu'à la parole proche de l'acte.»