CONTRIBUTION - Qu’est-ce qui pourrait bien expliquer la cascade de démissions enregistrées ces derniers temps dans les rangs du Club des investisseurs sénégalais (CIS) ? On a en tout cas du mal à croire qu’elles découlent de la seule motion de soutien de l’organisation à la start-up Akilee en contentieux avec la Sénelec. Surtout que les démissionnaires, comme s’ils s’étaient passé le mot, ont tous claqué la porte avec fracas et ostentation.
A peine leur lettre de démission transmise au président du club qu’ils en informent la presse comme pour donner plus de retentissement à leur départ de l’organisation. Toujours est-il que ce divorce à la tronçonneuse est pour le moins disproportionné par rapport à la raison invoquée pour justifier un choix aussi extrême que la démission. S’y ajoute que l’objectif qui sous tend la création du CIS, est d’une importance et d’une acuité telles qu’il n’est pas compréhensible qu’on veuille le tuer dans l’œuf au seul motif que la direction exécutive a pris, pour la première fois depuis son installation, une décision qui ne fait guère l’unanimité.
Si le combat pour un secteur privé national fort est une conviction chevillée au corps de ces désormais ex-membres du CIS, on comprend mal une décision de rupture aussi radicale de leur part. Et ce, en dépit du fait que non seulement l’instance exécutive ait reconnu son erreur et fait son mea culpa, mais n’ait pas non plus rechigné à endosser un communiqué qui annule purement et simplement la très controversée motion de soutien à Akilee. Bref, rien ne justifie à vrai dire cette cascade de démissions.
La vague de départs est d’autant plus inappropriée et inopportune qu’elle met du baume au cœur de certains acteurs économiques qui ne veulent pas entendre parler d’une organisation patronale exclusivement sénégalaise et qui, naturellement, aimeraient voir le CIS mort et enterré. Sénégalais bon teint, ils n’ont cure du sort du secteur privé national et défendent au contraire bec et ongle les intérêts de grands groupes étrangers. De grandes personnalités du patronat n’assurent-ils pas la présidence du Conseil d’administration de deux géants français, en l’occurrence Total et Bolloré ? Ceux-là n’ont jamais vu d’un bon œil l’avènement du CIS et doivent être sûrement dans un état jubilatoire en voyant l’organisation en pleine tourmente.
Et que dire de cette manœuvre des entreprises françaises présentes au Sénégal et qui en dit long sur leur volonté de ne pas céder une pouce de terrain au CIS ?
Une fois le CIS créé, le Club des Investisseurs Européens au Sénégal, constitué à plus de 90 % de Français et présidé par Gérard Sénac, change de nom et devient la Chambre des Investisseurs Européens au Sénégal. Juste pour ne plus avoir le mot « club » dans son appellation et se démarquer ainsi très nettement du CIS. A titre de comparaison, cette organisation compte 173 entreprises membres, soit le double du CIS qui peine jusque-là à atteindre le cap des 100.
Pourquoi diantre, ces entreprises européennes devraient-elles être plus soudées et plus solidaires que nous pour continuer à faire main basse sur notre économie ? Rien que pour ne pas faire le jeu de ces représentants des capitaux européens, les démissionnaires du club auraient dû y réfléchir par deux fois avant de passer à l’acte. D’autant que les Chinois, les Marocains et les Turcs ont aussi fait une OPA sur des pans entiers de notre tissu économique. Et c’est justement pour arrêter cette boulimie et inverser la tendance au profit de l’Entreprise nationale que le CIS a été porté sur les fonts baptismaux. Aussi, travailler à sa disparition revient-il à perpétuer la très forte prédominance des entreprises étrangères sur notre sol.
Certes, les membres démissionnaires du CIS ont sans doute raison de penser que la direction exécutive leur a fait un enfant dans le dos. Mais, ils doivent aussi se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Car laisser le CIS volet en éclat, c’est casser la belle dynamique qui s’est enclenchée depuis sa création pour faire émerger une Entreprise nationale forte. Et le cas échéant, on aura rendu les armes dans le combat pour le patriotisme économique pour accepter plus que jamais de subir cet impérialisme économique.
Il faut donc tout faire pour préserver le CIS et l’objectif qui a guidé à sa création en ayant à l’esprit ce précieux enseignement de Mahatma Ghandi. « Il n’y a pas d’échec, disait-il, il n’y a que des abandons ».
J’ose croire que ceux qui sont en passe de rompre les amarres avec le CIS, n’ont pas abandonné pour autant le combat pour un secteur privé national fort. Ils feraient mieux de le prouver en revenant, pourquoi pas, sur le choix radical qu’ils ont fait manifestement sur un simple coup de tête.
Momar DIONGUE, Journaliste-Consultant