NETTALI.COM - Le tableau qu’il nous a été donné de lire de l’économie sénégalaise, est bien sombre. Un tableau tellement sombre que les Sénégalais n’ont pas besoin de l’interview du Président Sall dans le « Financial Times » pour se rendre compte que le Sénégal file tout droit vers la récession si la pandémie venait à durer. 1% prédit-on, pour le moment. 1,1%, un peu mieux selon les prévisions du FMI. Enfin c'est pareil tout ça.
On parle en effet de récession lorsque le taux de croissance d'un pays est en dessous de la barre de 0%. En d'autres termes que le taux de croissance est négatif. Et il est vrai qu’avec la pandémie, la machine de l’économie Sénégalaise est bien grippée car l’activité comme partout ailleurs, est plombée. Macky Sall, en faisant cette annonce sur une probable récession, était dans la communication pure et simple. Et disons-le clairement dans l’anticipation pour rendre compte d’une évidence et faire avaler aux Sénégalais, un scénario catastrophe avant l’heure. Il a eu en tout cas beaucoup de facilités à faire cette déclaration car cette pandémie, il est vrai, sert de couverture au piteux état de l’économie sénégalaise, mais bien plus encore au modèle de développement dont on sait qu’il connait des insuffisances. Qui oserait le critiquer pour cela d’autant plus que le Covid-19, puisqu’il s’agit d’une pandémie, a frappé toutes les économies du monde ? Et même les mieux tenues. Seulement l’homme d’affaires Mamour Cissé et l’économiste Mounirou Ndiaye, mettent un bémol à cet argument. Ils sont unanimes à dire que les économies les plus résilientes face au Covid-19, sont les pays où le secteur privé national est fort. Ce qui n’est point le cas du Sénégal.
Mounirou Ndiaye est d’ailleurs sceptique sur le Plan Sénégal Emergent (Pse) et suggère à l’Etat de le revoir en le réajustant par rapport aux finalités de la Force Covid-19. « Les 1000 milliards F Cfa, c’est de l’argent que l’on mobilise et qui n’est pas encore disponible. Il faut revoir les moteurs de la croissance. Il y avait de nombreuses anomalies avec le Plan Sénégal émergent. Le quart du budget de l’Etat, soit près de 930 à 960 milliards, sert à payer la dette, chaque an », a conseillé celui-ci .
L’homme d’affaires Cissé lui, exhorte le gouvernement à changer de cap en mettant l’accent sur l’agriculture qui doit porter la croissance et aider à régler le problème de l’autosuffisance alimentaire : « Il nous faut des industries de substitution par rapport à l’importation. Notre vallée (du fleuve Sénégal) peut nourrir toute l’Afrique de l’Ouest, pour autant qu’il ait la volonté politique. Il faut encadrer les paysans pour pouvoir capitaliser sur les subventions de l’Etat au secteur. Ceux qui bénéficient des engrais sont bien localisés et identifiables. Il faut que l’Etat interdise l’importation de riz pour inciter à la consommation du riz de la vallée. D’ici 3 ans, il nous faut atteindre une production de 1 500 000 tonnes de riz. Ce qui a soutenu la création du Fonds de promotion économique (Fpe), c’est cette ambition de fixer de façon durable les populations à l’intérieur du pays »
L'économiste qui revient à la charge, illustre cela par la trajectoire économique de l’Inde vers l’émergence. Ce pays, nous rappelle-t-il, s’est doté d’un secteur privé très résilient face aux effets socio-économiques du Coronavirus et ne manque pas de préciser : « Il faut renforcer cette capacité d’adaptation des jeunes sénégalais en période de crise, soutenir les Pme pour qu’elles créent de la richesse. Il faut des ressources stables pour créer de la richesse. C’est important que le secteur privé national bénéficie davantage des Grands travaux de l’Etat. Un taux de croissance de 1 % pour nous est insuffisant. Or, il nous faut des taux aux environs de 6% (de manière soutenue) pour sortir de la pauvreté ». Ainsi, croit-il savoir : « S’il n’y pas reprise normale de l’activité durant le quatrième trimestre, on peut s’attendre à une récession. A l’heure actuelle, on ne peut pas encore parler de récession ».
Pour un secteur privé national fort....
Un secteur privé national fort. Le mot est lâché. Et cela fait longtemps que les Sénégalais le crient sur tous les toits, au moment où les grands chantiers de l’Etat sont tous confiés à des entreprises étrangères : des Françaises, en passant par des Turques, Chinoises, Marocaines et maintenant Israéliennes. Que des miettes pour les Sénégalais qui doivent se contenter de rôles d’éternels sous-traitants. Le building administratif, la Cité de l’émergence (bâtie par le Marocain Addoha) ou encore l’autoroute Ila Touba, ces édifices n’auraient-ils pas pu être construits par la Sicap, Sipres, SN HLM ou encore par la CSE de feu Aliou Sow, Jean Lefbvre de Bara Tall, etc ?
Et pourtant, nous ont expliqué les sieurs Cissé et Ndiaye, lorsqu’il s’est agi de participer financièrement à la solidarité liée au Covid 19, toutes ces sociétés étrangères ont fait le choix de remettre des sommes de l’ordre de 200 milliards à leurs états respectifs, citant au passage, les entreprises marocaines. La seule exception que cite l’économiste, c’est Seneginda, une entreprise indienne qui aurait offert 4000 tonnes de riz. Mounirou Ndiaye, de relever que les banques marocaines représentent pourtant 80% du système bancaire sénégalais. Un fait déplorable et même scandaleux a été souligné par lui et Mamour Cissé. C’est la forclusion de dossiers de Sénégalais ayant des comptes dans les banques marocaines. Ces dernières affirment-ils, ne font ni plus, ni moins que trouver une entreprise chérifienne pour la financer à la place du Sénégalais et sur le même projet. Qu’ajouter de plus ?
Mounirou Ndiaye et Mamour Cissé attirent ainsi l’attention des autorités sur un fait qui préjudicie à la bonne marche des entreprises locales. Pour éclipser leurs concurrents sénégalais, Chinois et Turcs, par exemple, sont soutenus par des banques d’export telles que Exim. C’est quand même déconcertant la facilité avec laquelle ces entreprises éliminent les sénégalaises sur les grands chantiers de leur propre pays !
Ce que Mamour Cissé trouve d’autant plus aberrant, c’est que pour un secteur aussi difficile que le financement de l’agriculture, le minimum d’effort, face à la Covid-19, vienne en particulier de la Banque Agricole (Ex- Crédit Agricole) et de la Bnde notamment en ce qui concerne les semences et intrants agricoles). Financer l’agriculture, quelle activité à risques ! Une activité fortement dépendante des variations climatiques, mais qui peut faire énormément de bien à l’économie, si elle est vraiment prise au sérieux. La Banque Agricole (Ex-CNCA ou Crédit Agricole) est d’ailleurs l’une des rares à s’investir dans ce domaine, de par sa vocation et son expertise. Dans la réalité, les autres banques étrangères essaient de capter du business sur la chaîne de valeur en évitant de courir les mêmes risques de financement de l’agriculture sénégalaise en amont. Une telle banque aussi engagée pour un des poumons de l’économie, devrait être encore et encore plus fortement soutenue par l’Etat, d’autant plus qu’elle finance, en plus de l’agriculture, d’autres secteurs de l’économie notamment la chaîne de valeurs. L'État devrait au-delà mieux armer les banques sénégalaises dans leur globalité (Banque Régionale de Marchés, Banque de l'habitat, BNDE, etc) puisqu’elles peinent dans leur propre pays, là où les marocaines et françaises occupent l’essentiel du système bancaire. Il pourrait à cet effet fortement inciter les entreprises publiques et ses fonctionnaires à y faire des dépôts plus importants. De même qu’un secteur privé national mieux soutenu, à y ouvrir des comptes.
Ndiaye et Cissé pensent que l’Etat pour s'endetter, ferait d'ailleurs mieux de le faire auprès des Sénégalais plutôt qu'à l'étranger. Un financement extérieur qui engendre des intérêts de toute façon exorbitants. « Dans des pays comme la France et l’Angleterre, aujourd’hui pour emprunter, le système de planches à billets est utilisé. Ils empruntent à un taux nul, alors que nous, nous empruntions avec des taux d’intérêt autour de 6%. », a indiqué Mounirou Ndiaye, précisant qu’il est même plus facile de négocier directement avec le Sénégalais lorsque l’Etat n’est pas en mesure de faire face à une échéance. Il en veut pour preuve le contexte de solidarité lié au Covid pendant lequel, les Sénégalais ont vraiment mis la main à la poche même si l’objectif de 1000 milliards n’a pas été atteint, le gouvernement n’ayant rassemblé que 400 milliards, pour l’heure.
Changer de paradigme
La pandémie du Covid 19 a en tout cas montré à beaucoup d’états combien la question de la souveraineté est à prendre au sérieux surtout par rapport à certains secteurs stratégiques tels que la santé, l’eau, l’électricité, les télécommunications, certaines industries etc. La question s’est posée à beaucoup de gouvernants dont les Etats ont été durement touchés par la pandémie. Elle a mis à nu leur dépendance vis-à-vis de la Chine sur le moment, notamment dans la production de masques et d’écouvillons nécessaires aux tests de dépistage. Personne n’avait vu venir et beaucoup ont davantage compris l’importance de se recentrer sur la recherche et la maîtrise sur ses entreprises, en lieu et place de favoriser les délocalisations tous azimuts et l’ouverture aux multinationales mues que par des intérêts capitalistiques.
Il n’y a en réalité que les pays africains pour ne pas se rendre compte qu’il faut désormais changer de paradigme en essayant d’adapter leur développement aux atouts qu’ils détiennent, c’est-à-dire le capital humain et l’intelligence, faute de disposer de capitaux. Le génie Sénégalais s’est en effet beaucoup illustré avec la création de respirateurs artificiels, quoique non homologués ou d’appareils de lavage des mains ou encore avec la confection de masques de protection. Une manière de dire qu’il suffit de quelque émulation pour susciter des vocations. Voici en tout une occasion en or pour des pays comme le Sénégal de réorienter l’enseignement dans le sens de la marche du monde en mettant l’accent sur les domaines techniques et scientifiques. Non pas que le pays de Senghor n’ait pas besoin des matières littéraires et des sciences humaines, mais une évidence est qu’il doive davantage s'orienter vers la recherche tout en favorisant le développement de l’informatique, du numérique, de l’intelligence artificielle, la médecine et d’autres secteurs de pointe.
L’équation des programmes de la formation de manière générale (métiers, formation professionnelle, etc) de l’enseignement général (scolaire, lycée, enseignement supérieur, etc) la recherche, doit à ce titre être rapidement résolue. Dans l’enseignement général par exemple, cela reviendrait à impulser un type d’enseignement en lien avec les langues locales et internationales, telles que l’anglais pour non seulement une meilleure appropriation par les Sénégalais qui ont des difficultés avec le français, mais encore pour plus d'ouverture au monde.
Renforcer l’enseignement technique au niveau secondaire et créer de véritables filières de métiers pour éviter de pousser des bataillons d’élèves vers un enseignement général forcé, source d’échecs scolaires massifs. Cela n’est pas sans rapport avec l’émulation à créer chez les artisans, tout en renforçant leurs capacités. Qu’en sera-t-il de l’artisan de Ngaay si on ne l’encourage pas en consommant bien plus les chaussures qu’il produit par une meilleure politique de labelisation ? Mounirou Ndiaye illustre d’ailleurs cet état de fait par la trajectoire économique de l'Inde vers l'émergence. Alors que tout le monde se moquait des ordinateurs indiens qui faisaient beaucoup de bruits, les Indiens ont continué à s’en servir. Aujourd’hui, ils en sont fiers. Il relèvera d’ailleurs une incongruité qui est de se demander où apprendront à travailler les Sénégalais si ce n’est au Sénégal. Ce pays, nous rappelle l’économiste, s'est doté d'un secteur privé très résilient face aux effets socio-économiques du Coronavirus et aux chocs exogènes en général.
Il y a aussi l’exemple des dragons de l’Asie du Sud-Est qui ont su opérer leur remontée technologique sur les pays occidentaux en nouant des partenariats gagnant-gagnant dans le domaine industriel. Le monde d’aujourd’hui est celui de l’intelligence. Il faut se rendre à l’évidence que les gaps les plus faciles à résorber entre pays développés et moins développés, sont ceux technologiques.
Que peut-on réellement attendre de Moustapha Diop, le ministre de l’Industrie qui se promettait récemment d’être le bouclier de Macky Sall, alors qu’il est attendu sur le terrain de la relance de l’économie ? En dehors du fait d'être un politicien professionnel, il n'a tout simplement pas le profil de l'emploi. Il se pose de fait, un véritable problème d'ambition de Macky Sall dans le domaine de l'industrie. Et pourtant, il s’agit surtout aujourd’hui de sauver de l’asphyxie, le nombre important de PME/PMI vouées à la mort pour raison de Covid ; de mettre aussi en place un tissu de PME/PMI ; d' accompagner et de renforcer les industries déjà en place.
Comment continuer à laisser prospérer un secteur informel aussi important ? L'Etat rate là une occasion en or pour doper ses recettes, mais surtout son tissu de TPE/PME/PMI dans un domaine qui peut être un vivier énorme de talents et de vocations.
Organiser et encourager le secteur privé national en lui confiant les grands chantiers de l’Etat voire en mettant les entreprises nationales en joint-venture avec des étrangères au besoin, à condition qu’elles aient une meilleure expertise dans le domaine en question. Voilà une solution plus acceptable et un des moyens de l’accompagner, de lui rendre sa dignité et de compter logiquement sur lui en cas de crise. Il est vraiment urgent d'investir la recherche et l’innovation en soutenant et orientant les jeunes talentueux, la formation vers des secteurs plus à leur portée et en rapport avec des domaines créateurs de richesses et pouvant rapidement transformer la société et la vie des gens. L’informatique, le numérique et l’intelligence artificielle, voilà des niches intéressantes. Ce n’est pas en effet un hasard si les plus grandes capitalisations boursières du monde d‘aujourd’hui se notent parmi les entreprises du numérique : Apple, Google, Amazon, facebook, etc.
Quoi de plus simple dès lors que de s’orienter vers ce créneau suffisamment porteur et novateur. La preuve par le secteur du transfert d’argent qui a connu un boom sans précédent au Sénégal : Joni Joni, Wari, Wizall, Orange Money, Free money, Agricash, etc. Les noms foisonnent. De même que des noms bien connus dans le domaine du numérique et de la technologie tels que Gaïndé, In Touch, Cactus, Akilee etc. Ces marques ont fait faire en si peu de temps, un grand bond à la société sénégalaise en accélérant le transfert d’argent, les services de paiement de factures, l’achat et la vente en ligne, les services de dédouanement, etc et en facilitant la vie des Sénégalais. Qu’est- ce qui fait la différence entre le Sénégal et un pays développé dans le domaine de l’intelligence si ce n’est l’environnement à réinventer et à adapter ? Une raison bien évidente d’investir ce secteur qui peut valoir beaucoup de satisfaction et en même temps rattraper les pays qui nous devancent dans l’industrie classique qui demande des investissements massifs dont ne disposent pas nos pays. Les start up ont une belle arme pour eux, leur matière grise et la volonté nécessaires.
PS : Pendant qu’au Sénégal, l’on hésite sur la question de savoir si on devrait débaptiser certains édifices qui portent le nom d’infâmes colons qui auraient massacré des milliers de Sénégalais, aux Etats Unis, cela va être enfin fait, suite à une demande des étudiants restée lettre morte en 2015. La prestigieuse université de Princeton a décidé de retirer le nom -et pas n’importe lequel, celui du 28ème président de Etats Unis, Woodrow Wilson, élu pour deux mandats consécutifs de 1913 à 1921 – de son école des affaires internationales. Le père fondateur de la société des nations (ancêtre de l’ONU) a commis le crime de laisser les Etats du Sud pratiquer la ségrégation et autorisé les ministères fédéraux à séparer de leurs employés noirs de leurs employés blancs et d’avoir officiellement fait projeter un film raciste « La naissance d’une nation » en liant intimement la naissance des Etats Unis à la suprématie blanche. Une manière de dire combien les symboles peuvent être importants. L’Afrique ne semble pas très pressée de se débarrasser des vestiges de la colonisation et ses dirigeants semblent s’y complaire à travers l’Eco qui est une sorte de CFA bis et qui traduit toujours lé dépendance monétaire. L’expérience montre que nos dirigeants sont plus compatissants lorsque des événements horribles concernent des Français. Ils étaient Charlie hier. Ils n’ont même pas fait référence à Georges Floyd. Il y a longtemps qu’ils ont déserté leurs responsabilités. Et sans leadership digne de ce nom, difficile de voir l’Afrique se débarrasser des chaînes du néocolonialisme et de la pauvreté.