NETTALI.COM - Délabrement, série de décès, violence, évasion, sexualité, promiscuité, surpopulation carcérale constituent les maux qui gangrènent la vie des détenus de la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Diourbel. Visite guidée dans les dédales de ce lieu de privation des libertés.
Les dures conditions carcérales
Construite pour accueillir au grand maximum 250 détenus, la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Diourbel abrite près de 400 personnes. Ce qui fait qu’au-delà de la problématique de sa délocalisation avec la construction d’une nouvelle geôle qui tarde à se faire depuis 14 ans, la prison souffre, aussi, de sa surpopulation carcérale.
Dans l’enceinte de la prison de Diourbel, aucun compartiment n’existe pour séparer les hommes des femmes ainsi que les mineurs. Tous les détenus partagent le même espace de récréation. Actuellement, la prison de Diourbel ne dispose que de 15 chambres dont 12 pour les hommes, une pour les femmes, une pour les mineurs et une autre pour les malades et blessés. Un ex-pensionnaire de la prison, qui a séjourné à la chambre 11 où on garde ceux qui ont un différend avec un membre de leur famille, décrit les conditions exécrables dans lesquelles vivent ses anciens camarades détenus. Il évoque une sorte de capharnaüm surpeuplé où règne «la promiscuité, le manque d’hygiène, la violence physique…» : «Dans les chambres 10, 11 et 12, les conditions de détention sont moins dures, témoigne-t-il sous le couvert de l’anonymat. C’est dans les chambres 6 et 7 qui sont réservées aux grands bandits qu’il y a très souvent des bagarres».
A cause de la surpopulation carcérale et des conditions de détention, l’ancien détenu estime que tout peut arriver dans ce lieu de privation de liberté. «Le jour de mon procès, j’ai eu à séparer deux trafiquants de drogue qui se battaient, rapporte-t-il. L’un reprochait à l’autre de l’avoir dénoncé. Et si je ne les avais pas séparés, ça pouvait dégénérer.» Selon l’ex-taulard, qui n’y a vécu que quinze jours de détention, «ce n’était pas la première fois que ces choses arrivent» : «On m’a raconté qu’il y avait une bagarre entre détenus et l’un avait donné un violent coup de pied au niveau du bas ventre de son antagoniste, qui finalement a succombé à sa blessure.»
L’ancien camarade de chambre de Amadou Woury Diallo, accusé de trafic de faux médicaments et gracié par le Chef de l’Etat, reste convaincu que la prison de Diourbel ne répond plus aux normes de détention. «Les conditions sont extrêmement difficiles voire atroces, dénonce-t-il. Par exemple, il n’existe pas d’endroit réservé au lavage des habits, et c’est dans la cour que tout le monde le faisait, dans une cohue totale. Il n’y a pas où sécher le linge.» Mais ce qui a choqué le plus l’ex-pensionnaire de la prison de Diourbel, «ce sont les conditions sanitaires» : «Sur le plan de l’hygiène, surtout dans les toilettes, dans la cour et dans les chambres, c’est invivable. Des fois, il y a des chambres qui ont des puces et on ne peut pas y dormir tranquillement. Dans certaines chambres, sur chaque petit matelas, il y a 6 détenus qui doivent s’y coucher, de profil». Et le pire, selon, c’est le sort réservé à certains détenus malades. «Si on ne les aide pas, il y aura beaucoup de morts au sein de la prison de Diourbel, redoute l’ancien prisonnier. Il n’y a pas que la maladie du Coronavirus, il y a de graves infections dermatologiques, la tuberculose, le paludisme etc. »
6 décès en 1 an
Entre mai 2019 et mai 2020, 6 décès ont été enregistrés à la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Diourbel. Une série macabre tout de même inquiétante dans cette prison en passe de porter l’étiquette de mouroir.
Premier cas de décès : le 2 mai 2019, Serigne Fallou Kâ est retrouvé dans sa cellule. Officiellement, il a succombé à ses blessures. Il avait été placé sous mandat de dépôt le 29 avril à la prison de Diourbel pour les délits d’offre et de cession de chanvre indien. A son arrivée à la Mac de Diourbel, Serigne Fallou Ka était mal en point et recevait des soins médicaux à cause de blessures subies lors de sa garde à vue au commissariat urbain de Mbacké. Le défunt, âgé de 23 ans, devrait être jugé le jeudi 9 mai. Il n’aura jamais de procès.
Le 31 août 2019, Pape Diagne, 64 ans, rend l’âme dans la Mac de Diourbel. Version officielle : il est décédé, dans sa cellule, des suites d’un malaise au moment d’effectuer la prière de l’aube. Le certificat de genre de mort révélera que Pape Diagne est mort d’un infarctus du myocarde.
Le 4 octobre 2019, aux environs de 5 heures du matin, le détenu Moussa Guèye, âgé de 46 ans, a lui aussi été retrouvé mort dans sa cellule… des suites d’un malaise. Comme Pape Diagne. Moussa Guèye avait été condamné à 3 mois d’emprisonnement pour usage de chanvre indien.
Dans la nuit du jeudi 27 février 2020 vers 2h du matin, une bagarre oppose les détenus Khadim Fall et Mbaye Diop. Ce dernier aurait reçu un violent coup de pied au bas ventre de Khadim Fall causant son décès. Le présumé meurtrier était parti aux toilettes, mais à son retour il s’est rendu compte que sa place de couchage est occupée par quelqu’un d’autre, en l’occurrence Mbaye Diop. Voulant récupérer celle-ci, Khadim Fall s’est livré à une bagarre durant laquelle Mbaye Diop s’est grièvement blessé. Transporté d’urgence à l’infirmerie de la Maison d’arrêt et de correction (Mac), son état de santé devenait de plus en plus critique. C’est ainsi qu’il a été acheminé au Centre hospitalier régional Heinrich Lübke de Diourbel où il a succombé à ses blessures. Mbaye Diop, âgé de 35 ans, était condamné à 5 ans de prison pour les délits de viol et de pédophilie sur une mineure. L’autopsie dira que Mbaye Diop serait mort d’un traumatisme crânien. Son présumé meurtrier, Khadim Fall, qui devrait recouvrir la liberté au mois d’avril passé, attend son nouveau procès.
Le 16 mai 2020, El Hadji Thioune a rendu l’âme à l’heure de la rupture du jeun. Condamné à 2 ans d’emprisonnement ferme pour les délits de trafic de chanvre de indien, El Hadji Thioune avait déjà purgé un an de réclusion. Cette fois-ci aussi, l’autopsie révélera que El Hadji Thioune est mort naturellement des suites d’une crise cardiaque avec infarctus du myocarde.
Depuis, le dernier décès enregistré au sein de la geôle diourbelloise est celui du détenu provisoire Ibrahima Lô dont le dossier était en instruction depuis 6 mois. Agé de 52 ans, il a rendu l’âme durant son hospitalisation au Centre hospitalier régional Heinrich Lübke de Diourbel, le samedi 24 mai 2020. Ce courtier en vente de véhicule y a été évacué 48 heures auparavant, le jeudi 21 mai, des suites d’un malaise qu’il a contracté dans son lieu de privation de liberté. Pourquoi cette série de crises cardiaques fatales au sein de la Mac de Diourbel ? Y a-t-il un lien avec les conditions de détention. Mystère…
«Des détenues y ont été engrossées par des matons»
Les relations amoureuses entre les femmes détenues et gardes pénitentiaires font aussi partie des faits majeurs qui ont marqué l’histoire de la prison de Diourbel. «Awa Kébé, c’était une infanticide qui l’a amenée en prison, malheureusement, elle y a été engrossée par un maton qui avait refusé la paternité de l’enfant. Awa Kébé a encore tenté de tuer cet enfant », se souvient Malick Ciré Sy, coordonnateur régional de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) de Diourbel. Qui poursuit : «Ce n’est pas la première fois que des détenues y ont été engrossées par des matons. Bien avant, vers 1995, un agent de l’administration pénitentiaire avait engrossé une détenue et a fini par l’épouser.» Celle-ci a eu plus de chance que la «pauvre» Awa Kébé.
Condamnée à 5 ans de travaux forcés pour infanticide, Awa Kébé purgeait sa peine à la Mac Diourbel, mais son physique trouvera grâce aux yeux d’un garde pénitentiaire Mbaye D., qui va finir par l’engrosser. C’est au moment où elle préparait le repas dans la cuisine du régisseur que Mbaye D. profitait de l’absence du chef et des autres pour entretenir des rapports sexuels avec la détenue. Elle dira, plus tard, avoir accepté les rapports intimes avec le garde, parce qu’elle avait «son complexe», mais aussi des «besoins physiologiques», «même si c’était pour une minute». Elle finit par tomber enceinte. Mais durant toute la grossesse de la détenue, Mbaye D. la sommait de ne rien dire à personne. «Si l’affaire éclate, cela risque de briser ma carrière», lui disait-il.
Voulant se débarrasser du bébé, Awa Kébé a entrepris le pire : elle glissa son nouveau-né dans le trou d’une chaise turque des toilettes de la prison. Les faits se sont déroulés le 22 avril 2009. Pour le couvrir, le garde pénitentiaire Mbaye D. avait été affecté à… Ziguinchor.
Prisonniers de renom : De Cheikh Anta Diop à…Boy Djinné
La prison de Diourbel a eu à accueillir des célébrités avant ou après leur séjour dans ce lieu de privation des libertés. Tout en publiant une série d’essais tout autant scientifiques qu’engagés, Cheikh Anta Diop s’affirmait comme opposant à Léopold Sédar Senghor dès 1961, avec la création du parti dénommé «Bloc des masses sénégalaises» (Bms). C’est ainsi que l’auteur de «Nations nègres et cultures» a connu les rigueurs d´un mois de détention préventive à la prison de Diourbel durant l´hivernage 1962, entre mi-juillet à mi-août. Un non-lieu sera finalement prononcé en sa faveur.
Autre célébrité ayant été emprisonné au Baol, Baye Mafall Fall dit Baye Modou Fall alias «Boy Djinné». Le 19 janvier 2016, celui-ci a pu s'échapper de la Maison d'arrêt et de correction de Diourbel, sans mutinerie, sans effraction, comme il l'avait fait lors de sa détention à Rebeuss. Et c’était son troisième cas d’évasion depuis qu’il était détenu-mineur à la prison de Diourbel. Et enfin, si Amadou Woury Diallo jouit d’une célébrité à la prison de Diourbel, il la doit bien au président de la République Macky Sall avec sa fameuse grâce présidentielle qu’il lui a accordée au moment où son dossier judiciaire était en appel à la Cour d’Appel de Thiès. Ce qui avait suscité beaucoup de polémiques sur les conditions à remplir pour bénéficier d’une telle faveur. A la Mac de Diourbel, Amadou Woury Diallo purgeait une peine de 5 ans d’emprisonnement dans l’affaire des médicaments frauduleux saisis à Touba d’une valeur de plus 1,3 milliards francs Cfa.
Une ancienne écurie pour chevaux
Elle est d’un autre temps, elle était d’un autre usage. Jadis, écurie de chevaux «au temps des colons» et aujourd’hui Maison d’arrêt et de correction (Mac), la prison de Diourbel croule sous le surpoids de son âge très, très avancé. Si les bâtiments tiennent encore debout, les multiples rafistolages effectués par les différents régisseurs qui s’y sont succédé témoignent ostensiblement de sa vétusté. Tendu de vert, la Mac de Diourbel s’impose sur une hauteur de plus de 4 mètres, surplombée par deux tours de contrôles. Ce lieu de privation des libertés est posé au cœur du chef-lieu de la région de Diourbel, qui a connu un accroissement démographique et urbain assez conséquent. A sa devanture à l’Est, la prison est séparée de la Mission catholique (école élémentaire, collège et Eglise) par une dizaine de maisonnettes habitées par les gardes pénitentiaires et une mosquée. A l’Ouest, se situent l’école élémentaire d’application Mame Diarra et des cantines du marché central Ndoumbé Diop. A l’aile Sud, se trouvent les bâtiments administratifs de la préfecture et de la gouvernance. Et enfin, au Nord, se trouvent le Centre culturel et la Caisse de sécurité sociale. Une position géographique qui fait que l’emplacement de la prison ne respecte plus les normes onusiennes.
Quand cette ancienne écurie a été choisie pour abriter des détenus, les fosses septiques, devant recevoir les eaux usées (buanderie, toilettes etc.) des pensionnaires, étaient construites à l’extérieur du bâtiment, à l’ouest du bâtiment. Poussant, en 2014, les élèves de l’école élémentaire d’application Mame Diarra ainsi que leurs enseignants à sortir dans les rues pour réclamer la délocalisation de la prison. A l’origine de cette marche, le déversement des eaux usées qui ruisselaient jusqu’à inonder l’enceinte de l’établissement scolaire. C’est suite à ce mouvement d’humeur que les fosses septiques de la prison ont été refaites. Et un mur de clôture est en construction pour protéger le voisinage des eaux infectes de la Mac. Malgré tout, la délocalisation de la prison reste toujours d’actualité, comme depuis près d’une quinzaine d’années.
Des promesses non tenues
Le 25 juillet 2012, la garde des sceaux et ministre de la justice d’alors, Aminata Touré dite Mimi, avait annoncé la construction d’une nouvelle prison à Diourbel, qui va respecter les standards internationaux. C’était lors du conseil interministériel qui a précédé le conseil des ministres délocalisé du 26 juillet 2012. Un engagement de Mimi Touré qui avait fait que la délocalisation de la prison soit inscrite dans le Plan d’actions prioritaires du Plan Sénégal émergent (PAP 1, 2014-2018). Plus sept ans après, c’est le statu quo.
A la Revue annuelle conjointe (Rac) régionale du jeudi 7 février 2019, le chef du service régional de la planification de Diourbel, Ibrahima Ndong avait une énième fois plaidé pour la délocalisation de la prison, parce que ne répondant plus aux normes internationales. «On ne parle même pas de la réhabilitation qui est une nécessité, mais il faut la délocaliser systématiquement pour que les détenus soient dans l’intimité normale», avait réclamé Ibrahima Ndong. Qui précisait : «On doit construire une nouvelle prison derrière les Abattoirs» de la ville. Ce qui l’avait amené à l’inscrire dans le Pap 2. «Les détenus ont des problèmes avec la justice, mais ils ont des droits. On doit veiller au respect des droits humains inaliénables. C’est pour cela que nous avons inscrit comme projet dans le cadre du PAP 2 la délocalisation et la construction d’une nouvelle Mac», avait soutenu Ibrahima Ndong.
Cette doléance est vieille de 14 ans, au moment où l’actuel président de la République, Macky Sall était le Premier ministre sous le régime du président Abdoulaye Wade. « Il y a un périmètre qui avait été choisi pour la construction d’une nouvelle prison mais jusqu’à présent, rien n’est encore fait », déplore Malick Ciré Sy, coordonnateur régional de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) de Diourbel. Qui s’interroge : «Nous ne comprenons pas pourquoi depuis 14 ans (2006 à 2020) on n’a pas pu construire une prison à Diourbel ?». En fin mai 2020, l’actuel garde des sceaux et ministre de la justice, Me Malick Sall, invité du journal de Radio Sénégal, soutenait que «c’est la pandémie du Covid-19 qui a retardé le démarrage des travaux».