NETTALI.COM - Comment faut-il décrypter la destitution d’Ibrahima Boubacar Keïta ? Sinon qu’elle est riche en enseignements pour ces chefs d’Etat africains si amnésiques qu’ils ne savent jamais bien décoder les signaux, à eux transmis par leurs peuples. Un véritable avertissement en tout cas pour ces nombreux présidents qui se comportent comme de vrais faux démocrates voire comme des rois dans leurs pays.
Les images du fils de IBK, Karim - attention il ne s’agit pas de Wade-fils, mais bien de Karim Keïta - sont à la fois terribles et choquantes. Elles ont fait le tour des réseaux sociaux. Du monde. Et il y en a eu beaucoup pour s’indigner d’un comportement aussi condescendant que méprisant du fiston. Jeter de l’argent par terre afin que les bénéficiaires, tels des êtres à quatre pattes le ramassent ! C’est le spectacle avilissant qu’a livré le fils d’IBK au monde entier. Paroxysme de l’orgueil ou de la vanité ? Les images ont été largement partagées sur les réseaux. Et telles une traînée de poudre, elles ont vite pollué la gouvernance du Président malien. Que penser de ces orgies qu’organisait le même enfant gâté à bord d’un yacht. Tenez-vous bien en compagnie de call girls bien exotiques, vu côté africain ? Un fait qui a pris beaucoup de place dans le décryptage des analystes sur la question malienne.
A la question de savoir si c’est Karim Keita qui dirigeait le pays, Moussa Mara, l’ancien Premier ministre du Mali, invité du « Jury du Dimanche » de ce dimanche 23 Août de I-Radio, de se montrer prudent, mais ne dédouane pas pour autant l’entourage familial et politique : «Je n’ai aucune preuve pour dire que c’est Karim Keita qui dirigeait le Mali », dira-t-il. le mandat d’IBK, a-t-il indiqué, a démarré sous les meilleurs auspices possibles. Malheureusement, constate-t-il pour le regretter, au fil du temps, les choses se sont effilochées. « Ce gâchis s’explique par l’incapacité du Président IBK à décider ou souvent à promettre quelque chose et à faire le contraire. C’est quelqu’un qui, sans doute, était l’otage de l’entourage familial, politique. Mais, il n’était manifestement pas autonome dans ses prises de décision. Cela a amené le pays dans les circonstances qu’on vit actuellement », a fait savoir Moussa Mara.
Dans cette chute en tout cas, IBK ne peut en réalité s’en prendre qu’à lui-même. Il a sans aucun doute été l’artisan de sa propre perte, auteur qu’il est d’une gouvernance désastreuse d’un pays aux clivages ethniques et religieux manifestes dont il ne maîtrisait plus finalement tout le territoire bien trop grand, mais si peu uni avec une situation économique pas des plus reluisantes.
Des violons qui ont du mal à s’accorder
Mais ce qui a le plus étonné dans cet événement, c’est la posture des chefs d’Etat africains de la Cedeao qui ont fait preuve d’un manque notoire de sens de lecture des situations. Leur décision de rétablir IBK au pouvoir ainsi que l’a confirmé Alpha Condé, est tout simplement une mauvaise appréciation de ce qu’il faut faire. Ignorent-ils aussi le droit des peuples conformément à la charte africaine des droits de l’homme ? Lorsqu'il y a des violations manifestes commises par des chefs d'Etat de la Cedeao vis-à-vis de leurs peuples, notamment des répressions violentes avec des morts d'hommes, l'organisation sous régionale, en parle-t-elle ? Condamne-t-elle ? Lorsqu'une élection révèle des irrégularités manifestes, prend-elle position de manière claire et sans équivoque ?
En tout cas, au cours d’un sommet virtuel extraordinaire, ce jeudi 20 août 2020, des chefs d’Etat de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Président de la Guinée Conakry, Alpha Condé a condamné le putsch d’Ibrahim Boubacar Keita ayant conduit à sa démission, le mardi 18 août passé, marquant son accord « avec le Président Roch Marc Christian Kaboré que « l’action immédiate à mener est non seulement la libération du Président Ibrahima Boubacar Keita, mais aussi de tous les autres responsables et assurer leur sécurité ». Il a ainsi insisté sur le caractère impératif de la Cedeao à agir « pour permettra à IBK de terminer son mandat », ajoutant que le Mali est le « rempart de nos pays côtiers face à la montée du terrorisme ». Il a ainsi conclu que « sa stabilité est fondamentale pour notre sécurité ». Même son de cloche chez Mahamadou Issoufou, président en exercice de la Cedeao qui a rappelé la nécessité de condamner le coup d’État.
Quant aux deux amis, Ouattara et Macky Sall, ils n’étaient pas très d'accord quant à l’approche liée à l’embargo contre le Mali. Le dernier est favorable à un assouplissement de celui-ci en épargnant les produits pharmaceutiques et pétroliers. Me El Hadji Diouf à « Grand Jury » de ce dimanche 23 août, s’est d’ailleurs fortement démarqué de la posture du Président Sall quand il dit, à ce propos : « Macky a commis une erreur en tentant de trouver une porte de sortie pour ces putschistes en plaidant pour un allègement de certaines mesures prises par la CEDEAO. Il s’est lui-même renfermé dans un piège. Ce qui est arrivé à IBK peut arriver à Macky Sall »
Sur la question du rétablissement de IBK au pouvoir, l’ancien Premier ministre Moussa Mara a été en tout cas un peu plus clair. « Le plus important, c’est de tourner la page du président IBK. Contrairement à ce que la CEDEAO a décidé, je ne pense pas qu’il faille envisager de le réinstaller. Il faut considérer ce qui s’est passé, bien que regrettable, comme une opportunité. Je suis en désaccord avec la CEDEAO. L’écrasante majorité des Maliens et des populations de l’espace CEDEAO ne partagent pas ce qui a été décidé par le sommet par rapport à la réinstallation d’IBK. La réinstallation n’est pas envisageable, n’est pas réaliste. C’est impossible », a expliqué celui-ci sur Iradio.
Ouattara veut en réalité un embargo digne de ce nom. Une posture bien politique. Le président ivoirien ne veut pas en effet que ce qui s’est passé au Mali, fasse tache d’huile chez lui car le 3ème mandat qu’il veut faire, le met dans une position de fragilité. Car rappelons quand même qu’il a subi quelques remous dans son pays et les militaires dans son armée, observent des moments de répit sans avoir toutefois abandonné leurs velléités guerrières.
Mais au cours de ce sommet virtuel, le président bissau-guinéen Sissoco Embaló a mis les pieds dans le plat en évoquant un sujet qui fâche. Celui-ci s’est déclaré favorable à la condamnation du coup d’État au Mali, faisant remarquer que la Cedeao devrait adopter la même attitude pour « tous les coups d’État » et que, « les troisièmes mandats » étaient également des coups d’État. Si le Nigérian Muhammadu Buhari a souri à cette pique, les principaux intéressés, Alpha Condé, candidat présumé pour la troisième fois à la présidentielle en Guinée, a préféré garder le silence ; Alassane Ouattara a lui, fait part de son mécontentement à son cadet, qu’il a alors nommé “fiston“. Loin de se démonter, Sissoco Embaló a alors répondu qu’il était un homologue du chef de l’État comme les autres et qu’il n’y avait “pas de petit pays”.
Il convient juste relever que les relations entre Umaro Sissoco Embaló et ses homologues ivoirien et guinéen sont exécrables. En effet, durant la dernière présidentielle en Guinée-Bissau, en décembre 2019, Condé et Ouattara avaient en effet soutenu l’adversaire d’Embalo, Domingos Simões Pereira. Lors de sa dernière interview à Jeune Afrique, en janvier 2020, Sissoco Embaló déclarait d’ailleurs au sujet d’Alpha Condé : “Il n’a aucun respect pour moi, et je n’ai aucun respect pour lui.”
La question du 3ème mandat, en toile de fond
Une réaction d’Embalo évidemment provocatrice mais qui pose la question de la légitimité et de la légalité des pouvoirs des présidents africains : il y a d’une part ceux qui utilisent les juges pour légaliser leur élection voire leur 3ème mandat ; il y a d’autre part ceux qui usent d’artifices pour éliminer les candidats gênants qui pourraient les envoyer à un second tour bien risqué. Une remarque qui a en tout cas sonné comme une pierre dans le jardin de certains chefs d’Etat concernés par ces cas de figure là.
Au-delà des réactions, se pose un problème criard de crédibilité des dirigeants africains. Qui est-ce que cette posture devrait-il aujourd’hui étonne, d’autant plus que ces présidents sont aujourd’hui considérés comme un syndicat inscrit dans une certaine solidarité de corps pour le maintien au pouvoir ? Mais l’on voit bien que ce syndicat commence à se fissurer ainsi qu’on le note dans la gestion de cette affaire bien sensible.
Et d’aucuns sur les réseaux sociaux, les plateaux-télé, les journaux et les radios, se sont indignés, évoquant la disqualification de certains de ces chefs d’Etat à assurer une quelconque médiation, eu égard à leur comportement. Ils le sont pour la simple et bonne raison que leur posture face à l’équation du 3ème mandat, les prédispose à ce soutien sans bornes d’IBK.
Rappelons qu’un Ouattara s'est rétracté en l’espace de quelques mois, suite au décès de Amadou Gon Coulibaly, désigné alors comme le candidat de son parti. Avec Me El Hadji Diouf, ADO en a pris pour son grade. A « Grand Jury », l’avocat y est allé de son commentaire en se demandant, si malgré le décès de Coulibaly, « Ouattara ne va nous pas dire qu’il est le seul capable de diriger la Côte d'Ivoire ». Toujours est-il que, lors de son discours d’investiture, le chef d’Etat sortant a justifié sa candidature, non sans menacer de ses foudres ses adversaires. « Tous les observateurs de bonne foi savent bien qu’étant dans la Troisième République, il n’y a pas de rétroactivité, rien ne m’empêche d’être candidat », a déclaré Alassane Ouattara à l’ouverture de la convention ordinaire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pour l’Investiture de son candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Commentant l’actualité socio-politique, le candidat du RHDP a fait savoir à l’opposition que les marches et violences ne résolvent rien. « On n’a pas besoin de casser, brûler, instrumentaliser les enfants et les jeunes pour nos convictions personnelles », a-t-il lancé.
Au Sénégal, le « ni oui, ni non » de Macky Sall qui le place ainsi sur le même terrain que Ouattara ou encore un Condé qui essuie sans arrêt des manifestations, le disqualifie peut-être moins que son homologue ivoirien, mais le place à peu près dans la même position de médiateur peu crédible.
Figure de proue du Mouvement du 23 juin, qui s’ était dressé contre la candidature controversée du président Abdoulaye Wade en 2012, Me El Hadj Diouf enfile de nouveau la toge du « député du peuple » qu’il fut. Il avertit Macky Sall, en lui demandant de ne pas chercher un nouveau mandat. « S’il se présente, je serai le premier à me dresser contre lui pour le combattre et les Sénégalais aussi vont le combattre. Il va finir très mal dans ce cas (…) Il a intérêt à être clair. Puis- que lui-même l’a dit et nous avons des enregistrements. Il a proposé une Constitution qu’il a lui-même écrite (…). Est-ce que ce Macky Sall ose revenir devant les Sénégalais pour dire maintenant, je vais demander au Conseil constitutionnel de se prononcer ?», s’est interrogé le célèbre avocat à « Grand Jury » de la Rfm.
Un sujet « 3ème mandat » que Serigne Mame Thierno Mbacké a aussi auparavant abordé. Homme à la parole si rare, le fils aîné du Khalife des Mourides a, suite aux événements survenus au Mali asséné une vérité sans appel : « le débat sur le 3e mandat est en train de bousiller l’Afrique. Au Sénégal, en Côte d’Ivoire et en Guinée, cela risque de porter un rude coup à la démocratie »
Sur la Rfm, ce dimanche, Malal Sow, allié de Macky Sall et non moins Président du Conseil départemental de Nioro, est allé dans ce sens en demandant au président de s’inspirer de ce qui vient de se produire au Mali. Selon lui, il y a beaucoup de lamentations ces derniers temps et face auxquelles, il a fait la sourde oreille. Il a à cet effet cité le cas de ces ministres qui sont cités dans des histoires qui peuvent être vues comme des scandales sans qu’il n’ait réagi. Pour l'allié de Macky Sall du début, le président doit faire attention avant d’être surpris.
Bref de véritables guerres des tranchées au niveau national et international. Et l’on nous annonce d’ailleurs et même si c’est à mettre au conditionnel que le Mali aurait accordé l’asile politique à Guillaume Soro. Ce qui serait une réponse politique de la junte au pouvoir au Mali à Alassane Ouattara puisque ce dernier se positionne comme le chef d’Etat de la Cedeao qui refuse tout compromis avec les militaires maliens. Il se bat en effet pour que Ibrahim Boubacar Keita retrouve son fauteuil présidentiel, quitte à utiliser la force militaire.
Dans ce dossier malien en tout cas, la France, manœuvrière comme à son habitude, a senti le vent tourner et a adopté une posture bien opportuniste. Elle a pris la direction du vent en se rangeant sagement du côté du peuple. Sacrés Français, ils ont de beaux jours devant eux en Afrique.
Débat bien cyclique en effet que celui du 3ème mandat. Elle va et vient. Un fait inédit, c’est le fils du khalife général des Mourides l’a abordé. Qui aurait cru qu’il se prononcerait ? Un fait qui n’est pas sans rappeler un certain Imam Sarr dans le fameux débat d’alors sur l’électricité jusqu’à cet Imam Dicko sur le Mali. Ah ces religieux ou ces activistes, ils finissent par constituer des alternatives, lorsque l’opposition ne tient plus route et ne joue pas pleinement son rôle.
Un événement au Mali qui a en tout cas éclipsé médiatiquement la garde à vue et les déboires judiciaires du président de la Mauritanie Abdel Aziz. Il est dans de beaux draps celui-là, rattrapé qu’il est par sa gestion et des contrats nébuleux signés et sur lesquels la justice compte l’entendre.
Tous ces événements viennent, à ne pas en douter rappeler à nos chefs d'Etat que l’arsenal constitutionnel dont ils jouissent dans leurs pays respectifs, ne doit pas les laisser penser à une possible impunité à toute épreuve.
Sur beaucoup de plateaux télé, l’on a eu droit à un concert d’indignations allant dans le sens de se demander ce qui est arrivé à l’Afrique, ses dirigeants pour qu’ils éprouvent autant de difficultés à quitter le pouvoir. Un débat qui a viré aux stéréotypes et aux préjugés sur les Africains et le pouvoir. Une passion sur le sujet qui ne devrait toutefois pas être une porte ouverte pour dire tout et n’importe quoi car ces Africains, au fond, n’aiment pas plus le pouvoir que leurs homologues occidentaux. Il se trouve que ces derniers ont chez eux des mécanismes de séparation des pouvoirs qui limitent de manière stricte les pouvoirs de l’exécutif et fonctionnent en toute indépendance. Ils ont des remparts et une trajectoire démocratique beaucoup longue qui a en effet contribué à gérer le phénomène. Rien de plus. C’est le chantier des institutions fortes et indépendantes qui est tout simplement à construire avec une volonté ferme.
Mais pour l’heure, attendons de voir où est ce que tout cela va mener. Une information reprise par de nombreux médias internationaux et locaux, nous apprend que les militaires au pouvoir souhaitent qu'un organe de transition dirigé par un militaire, soit mis en place pour une période de trois ans. Elle cite des sources internes à la junte et à la Cédéao et fait état d'une décision prise à l'issue de 48h de pourparlers entre l'organisation ouest-africaine et les officiers du Conseil national pour le salut du peuple. Une transition qui, selon une source au sein de la délégation ouest-africaine à Bamako, sera dirigée par un organe présidé par un militaire et qui sera en même temps chef de l'État.
L'on apprend également que l'ex-président, retenu dans un lieu secret, se porte bien. Une information confirmée par le chef de la mission Goodluck Jonathan qui a soutenu avoir vu le président Keïta. De même que les personnalités arrêtées par les militaires et parmi lesquelles, figurent le Premier ministre Boubou Cissé, le président de l'Assemblée nationale Moussa Timbiné et le chef d'Etat-major général des armées, le général Abdoulaye Coulibaly. Des sources indiquent que les membres du CNSP sont prêts à renvoyer l’ex président Ibrahim Boubacar Keïta à son domicile : "Et s'il souhaite voyager pour des soins, il n'y a pas de problème, avec un sort similaire pour l'ancien Premier ministre Boubou Cissé"
Les militaires ont en tout cas un vaste chantier qui est celui de conserver l’unité en leur sein. L’exercice du pouvoir en est un autre. Et il conviendra aussi de trouver les moyens d’une transition pacifique, tout en ayant une maîtrise sur le territoire national. Reconstruire l’unité nationale et se débarrasser du Djihadisme, restent les plus grands défis à relever.