NETTALI.COM - Les militaires au pouvoir ont rencontré samedi des leaders du Mouvement du 5 juin dans leur base de Kati, près de Bamako, pour apaiser les tensions naissantes.

L’incertitude aura plané jusqu’au début de la rencontre entre le Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) samedi. C’est finalement aux environs de 21 heures que les deux organisations se sont retrouvées au Prytanée militaire de Kati pour une rencontre qui se voulait discrète.

Malgré les efforts des protagonistes pour faire bonne figure, l’atmosphère était tendue. Dans la salle de réunion, une dizaine de leaders du M5-RFP, dont le président du comité stratégique du Mouvement Choguel Maïga, l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, le président de la CMAS Issa Kaou Djim et le syndicaliste Idrissa Maïga. La délégation des militaires était conduite par le colonel Malick Diaw. Assimi Goïta, président de la junte et proclamé chef de l’État depuis la publication par le CNSP d’un acte fondamental au Journal officiel le 27 août, n’était pas présent.

Cette rencontre visait à apaiser les tensions. La veille, la publication de deux communiqués en l’espace de quelques heures a mis en lumière les divergences entre le mouvement et les militaires sur l’organisation des discussions concernant la transition. Alors que le M5-RFP se voit en partenaire privilégié du CNSP, ce dernier a invité vendredi les partis politiques, les organisations de la société civile et les groupes signataires de l’accord d’Alger de 2015 à un grand rassemblement au Centre international de conférence de Bamako (CICB) afin de discuter de la transition. La coalition hétéroclite, qui exige depuis plusieurs mois la démission du président, avait pourtant pris rendez-vous avec les putschistes samedi pour des échanges en tête-à-tête sur le sujet.

Avertissement de Mahmoud Dicko

 

Dans la foulée, Choguel Maïga s’est fendu d’un communiqué expliquant que son mouvement n’ayant pas été invité, il ne prendrait pas part à la rencontre. « Le M5-RFP est et demeure un acteur majeur de ce changement et doit être associé au premier plan à la conception de l’architecture de la transition », a estimé le leader de l’opposition. Conséquence de la colère du M5-RFP : le CNSP a repoussé la rencontre prévue avec tous les partis politiques et organisé la discrète rencontre avec le Mouvement du 5 juin.

Le M5-RFP, qui entend bien peser dans le processus de transition, avait très mal vécu de n’avoir pas été convié en tant qu’organisation. Depuis le 18 août, le mouvement estime que le coup d’État perpétré par les militaires est venu parachever sa lutte pour la chute du régime. Plusieurs leaders du CNSP s’étaient d’ailleurs joints aux manifestants qui célébraient leur « victoire » place de l’Indépendance le 21 août.

Est-ce déjà la fin de l’idylle entre le M5-RFP et le CNSP ? Lors d’une prière en hommage aux personnes tuées au cours des manifestations, l’imam Mahmoud Dicko, autorité morale du M5-RFP, a regretté que les militaires se soient « coupés » de ceux qui devaient être impliqués dans la transition. « J’ai demandé à tout le monde de se réunir autour du Mali. Je le demande toujours. Mais cela ne veut pas dire que les militaires ont carte blanche », a-t-il lancé, comme un avertissement à ce qui a été perçu comme une tentative de mise à l’écart des civils dans la gestion de la transition.

Après avoir évoqué, dans une première déclaration, une transition « politique civile » la plus courte possible, la junte avait proposé aux médiateurs de la Cedeao une transition de trois, puis deux ans, avec à sa tête un militaire. Certains leaders du M5-RFP ont évoqué vendredi une « confiscation de la révolution », et laissé planer le spectre de nouvelles manifestations.

« Le malentendu a été dissipé »

« Le CNSP a commis trois erreurs », estime Bréma Ely Dicko, professeur de sociologie à l’université de Bamako. « D’abord, ils ont discuté seuls avec la Cedeao, sans acteurs civils. Ensuite, ils ont établi l’acte fondamental unilatéralement en s’arrogeant le pouvoir. Enfin, ils ont décidé d’organiser de façon unilatérale la rencontre. Cela ressemblait à une convocation », ajoute-t-il.

Pour un diplomate africain, l’attitude de la junte traduit leur méfiance envers les hommes politiques. « Le CNSP a expliqué être là pour réformer le pays, et certains de ses membres ne veulent pas avoir à composer avec des hommes politiques qui ont occupé des fonctions dans de précédents gouvernements », explique-t-il sous couvert de l’anonymat.

La rencontre de samedi a-t-elle réussi à réconcilier le M5-RFP et le CNSP ? En tout cas, le contact est renoué. « Nous avons échangé et leur avons remis un document qui détaille notre vision de la transition. Nous allons nous revoir pour échanger. Je dirais que le malentendu a été dissipé et nous allons avancer dans l’intérêt du peuple malien, en essayant d’avoir des concertations, de montrer que c’est l’armée du peuple, qu’elle a un caractère inclusif », a déclaré Issa Kaou Djim à l’issue de la rencontre.

« Les militaires nous ont surtout écouté et nous ont dit qu’ils allaient examiner notre document. C’est à l’issue d’échanges avec le CNSP que nous pourrons définir l’articulation et le rôle de chacun dans la transition, a ajouté Choguel Maïga. Il ne faut pas qu’on se trompe d’alliés, de combat, ni de sens à donner à l’action des uns et des autres. Je pense que nous nous sommes bien compris. »

Jeune Afrique