NETTALI.COM - Dakar et sa banlieue, Thiès, Saint-Louis, Diourbel, Kaolack, Sédhiou etc. Aucune localité du Sénégal n’est pratiquement pas épargnée par les eaux de pluie de ce week-end du 5 et 6 septembre. Et c'est la presse qui s'est frottée les mains, elle qui a fait de ces inondations nationales, ses choux gras. Elle s’est vraiment éclatée et ses titres du lundi 7 septembre sur le sujet innondations, l'attestent fortement.
« Pluies de morts sur le pays », a titré l’Obs en dénombrant 6 vies perdues dans les eaux ; Enquête lui a parlé d’« un Mal incurable » ; Walf Quotidien, de « Dakar qui patauge » ; L’As a de son côté évoqué « une pluie de désolation dans le pays » ; Source A abordé la question sous un angle différent et barre à sa une « Sall débandade du capitaine » pour mettre en lumière le voyage de Macky Sall alors que le Sénégal est plongé dans les eaux ; même tonalité du côté de « Sud Quotidien » et de "Vox Pop" qui indiquent respectivement : « le Sénégal patauge, Macky s’envole » ; « le Sénégal se noie, Macky s’envole vers le sommet ». Bref des titres similaires dans bon nombre de cas. Les reportages ont également montré des familles entières, des automobilistes et des commerçants dans les marchés, dans une complète galère et c'est partout des signes de désolation. Même les cimetières y sont passés, envahis qu’ils sont par les eaux et l’on n’ose même pas s’épancher sur ces tombes déterrées. Les inondations de la profanation, devrait-on dire. Ce sont des risques sanitaires importants qui s’annoncent entre ces eaux infestées de microbes, de champignons et ces eaux de fosses septiques mélangées aux eaux de pluie. Un sacré gros bordel en somme ! Quelle honte !
Difficile dès lors de ne pas s’inquiéter et de ne pas se poser des questions. Invité de l’émission « Jakarloo » sur la TFM, ce vendredi 4 septembre, Lassana Gagny Sakho, le Directeur général de l’Office national d’assainissement (ONAS) a livré sa part de vérité sur l’équation des inondations. Avait-il toute sa tête lorsqu’il a sorti qu’il faudrait faire comme la Chine en limitant les naissances pour un pays dont la population double tous les 25 ans ? Où est le rapport avec la question des inondations ? Cherchait-il à établir la relation entre le nombre de Sénégalais et l’équation de l’assainissement ? Propos en tout cas bien choquants et en même temps totalement irréfléchis. Lassana est passé à côté de la plaque. Ça c’est sûr. On lui demande pourtant simplement d’assumer ses responsabilités en tant qu’acteur-clé de l’assainissement du Sénégal. En débitant ces phrases, le patron de l'Onas était zen, parfaitement zen et même trop tranquille. Il n’était ni stressé, ni inquiet de la situation. Tout au plus, était-il en train de dénoncer des situations qui, selon lui, sont la cause de tout cela. Il nous a par exemple sorti qu’ « il y a un problème de cohérence puisque l’Agetip, l’Apix, l’Onas, etc font tous de l’assainissement ( …). « Faire un réseau d’assainissement et des routes, ce n’est pas le rôle d’un promoteur immobilier (...). On a laissé chacun bâtir à sa convenance dans les quartiers (…) On ne doit pas laisser les gens habiter dans des zones non edificandi, je ne dis pas qu’on n’est pas responsables puisque c’est nous qui donnons les autorisations (….). L’assainissement n’est pas une compétence décentralisée (…) Ils ont construit sur le collecteur », accuse-t-il. Mais une fois qu’il a dit tout cela, où est la responsabilité des populations ? Il a semblé inconsciemment accabler l’Etat puisqu’il est indéniable que sa responsabilité est fortement engagée.
Mais Sakho est en réalité un récidiviste. Il ne se passe pas une année sans qu’il nous fasse un discours sur le changement impératif de comportement des sénégalais, comme si les choses allaient se faire d'elles-mêmes. Gouverner impose quand même de la responsabilité et demande beaucoup de courage pour prendre des décisions même considérées impopulaires. Pourvu que ceux qui gouvernent y croient et pensent qu’en prenant de telles décisions, ils le font au nom de l’intérêt général. S’ils ne sont pas capables de prendre des décisions justes et réfléchies, ont-ils des raisons d’être élus, ces gouvernants ? Il existe bien sûr des cadres plus appropriés pour discuter des questions de société, de certaines décisions difficiles puisque l’exécutif n’est pas le seul pouvoir consacré. La question dès lors qui se pose, est de savoir s’il ne faut pas définitivement désespérer du DG de l’Onas car, avec lui, c’est toujours la même rengaine et les mêmes prétextes.
Dans ce qui s'apparente à un naufrage collectif et dans lequel l’on a précipité les Sénégalais dont ce n'est pas de la responsabilité de s'occuper d’un plan d’urbanisme et d’assainissement (qui tienne compte des zones inondables ou non, du curage des canaux, des investissements à consentir, de la stratégie à mettre en place, de la planification, du suivi et de l'évaluation des projets), il y a eu beaucoup de manipulations. Comment par exemple le fait de parler de fatalité en évoquant la volonté divine, de changements climatiques, de l’imprévisibilité des pluies et les quantités record que le réseau ne peut absorber pour justifier ce qui est arrivé. Des images importées d’inondations, il y en a eues sous d’autres cieux. Telle cette vidéo importée du Mexique, utilisée pour corser l’addition et noircir le tableau. De même des vidéos faisaient état d’une supposée visite de Macky Sall aux populations à son retour de voyage.
Mais enfin peu importe, nos autorités doivent garder à l'esprit que ce sont elles les responsables. Et pour agir, ils ont besoin de se renseigner, d’anticiper les faits à venir. Et pour cela, il y a des services dédiés. A elles de surveiller les canaux à ciel ouvert en sensibilisant les populations et en infligeant de fortes amendes au besoin comme cela a été le cas avec les réfractaires au port du masque. N’est-ce pas à elles de refuser l’implantation d’habitations sauvages et dans les zones inondables ou d’éviter de les laisser prospérer ? N’est-ce pas à elles d'assainir les quartiers ? L’exemple patent est celui du très populiste ministre Karim Fofana qui se donne à fond pour mobiliser les caméras et les deniers des Sénégalais dans des opérations de désencombrement bien éphémères. Allez faire un tour du côté du Rond-Point de Liberté 6, vous vous rendrez compte que les trottoirs sont à nouveau occupés. Idem pour l’entrée de Pikine où les cantines sauvages sont à nouveau visibles.
Lorsqu’on a suivi « Jakarloo », l’on peut raisonnablement se demander pourquoi se poser autant de questions puisqu’un certain monsieur qui se fait appeler professeur Khadimou Rassoul Thiam détient la solution aux problèmes des inondations. Il l’a tellement simplement déclaré qu’il fallait le conduire directement au Niger où se trouvait Macky Sall dans le cadre du sommet de la CEDEAO afin qu’il lui expose sa solution. « Je suis habitué à apporter des solutions quand on me pose une problématique », a dit tout de go l’invité de l’émission qui semble venu des Iles d’Amérique pour ne pas dire de la Martinique. Ce qui importait, c’était certainement de glisser le mot « Amérique » dans son discours. Celui-ci nous a expliqué que « depuis une dizaine d’années, les inondations causent du souci aux Sénégalais. Dans la capitale, il y a aucun point bleu distant de 8 km de la mer. « Le linéaire de la tuyauterie ne coûte les milliards dont on parle. La solution la plus rapide est de cocher les zones bleues et de construire des bassins de rétention en sachant le volume de pluviométries et à partir de là, quand il pleut , on sait en une heure, en 30 minutes quelle est le volume et on oriente les canalisations vers la mer. C’est la solution. Je ne suis pas là pour dire que le Président Sall n’a pas travaillé et que le maire n’a pas travaillé. Je la connais, la solution est là. », rassure-t-il encore.
Un argument qui a d’ailleurs permis à Papis Diaw de rebondir sur l’affirmation du professeur. « J’ai un problème car depuis 10 ans, on est sur ce programme et personne n’a pu comprendre que c’est ça la solution », fait-il remarquer. Pour une solution, avouons que cela ne peut-être aussi simple que ce cher professeur l’a résumé. Une interrogation qui n’est pas bien loin de rejoindre celle posée par Cheikh Tidiane Gomis de Walf TV au cours de la matinale du lundi 7 septembre. Celui-ci s’est en effet demandé s’il y a des techniciens et des experts à l’Onas, capables de trouver une solution. Une bonne question. Mais il aurait dû aussi se demander si les 750 milliards annoncés dans le cadre d’un Programme décennal de lutte contre les inondations (PDLI) sur la période 2012-2022, en tranches annuelles de 75 milliards de francs, ont été injectés.
En tout cas, à suivre ce cher professeur - si tant est qu’il en est un dans le domaine où on se pose tant de questions - dans son raisonnement et ses développements empruntant le fétichisme des chiffres, l’on a vite compris qu’il faisait un clin d'oeil à Macky Sall. Avec M. Thiam, la volonté d’impressionner était manifeste. La frime n’était pas non plus bien loin puisqu’il nous a, dans la foulée expliqué qu’il a deux enfants dont l’une est anesthésiste et l’autre ingénieur, en plus de posséder des immeubles. En gros, il ne serait pas dans le besoin. Les Sénégalais sont bien dans la merde car même en période d'inondations, les vaniteux trouvent le moyen de faire étalage de leurs richesses. Quelle indécence ! Beaucoup sont dans la désarroi, des familles entières dorment à la belle étoile, des populations peinent à se rendre au travail, des automobilistes se retrouvent avec des véhicules endommagés et des tombes profanées par les eaux, etc. Un peu de décence voyons !
Dans ce naufrage collectif, les journaux n’ont pas été tendres avec Macky Sall surtout par rapport à son voyage lié au sommet de la Cedeao. Certains sont même allés jusqu’à se demander si le sort du Mali était plus important que celui de son peuple qui patauge dans les eaux ? D'aucuns vous diront que le ministre de l’Intérieur peut gérer la situation. Macky Sall n’aurait quand même pas pris le risque de se déplacer dans ces zones sinistrées, retiennent certains observateurs. Sur ce plan, sa posture est bien différente de celle de Me Wade, qui n’avait pas hésité au retour d’un voyage, à filer tout droit dans des zones inondées et à foncer dans les eaux de la banlieue avec sa 4 x 4. Les archives de la Rts1 sont là pour en témoigner. Il est certain que cette mise en scène avait été préparée à l’époque. Mais il avait au moins réussi à apaiser certains cœurs, bénéficiant au passage d’ovations même s’il avait aussi des détracteurs dans la foule.
Macky Sall nous aura quand même gratifié d’un tweet, en lieu et place, d'une visite de terrain, tel Donald Trump. C’est bien à la mode les tweets et cela devient bien contagieux.
Dans cette hécatombe hydrique, c’est surtout la question des 750 milliards alloués au plan décennal lié à la lutte contre les inondations qui est revenue en surface. Cela, après l’indignation sur l’incurie et le laxisme de nos autorités. 750 milliards, c’est quand même une sacrée fortune pour nos Etats, et il serait bien surprenant que les autorités les aient dépensés ! Les auraient-ils mal utilisés suivant une gestion mal pensée, ce d’autant plus que le résultat semble attester du contraire ? Et pourtant, l’exécution de ce plan devait vaincre des obstacles institutionnels identifiés depuis 2009 dans le document titré « Rapport d’évaluation des besoins post-catastrophes : inondations urbaines à Dakar 2009 ». Il y était déjà mentionné que le cadre institutionnel de la gestion des inondations apparaît complexe et peu fonctionnel. Une multiplicité d’acteurs, mais pas de coordonnateur veillant à la cohérence globale, était signalée tout en citant au passage les principaux acteurs : l’Office national d’assainissement (Onas), les collectivités locales, l’Agence autonome des travaux routiers (AATR), le plan Jaxaay, le Projet de construction et de réhabilitation du patrimoine de l’Etat (PCRPE), l’Agence nationale chargée de la promotion de l’investissement des grands travaux (Apix), la Direction de la protection civile (DPC) et le Groupement national des sapeurs-pompiers (GNSP).
Lansana Gagny Sakho aura en tout cas tenté par tous les moyens d'expliquer qu’il y a eu du progrès, mais rien n’y fait. Difficile d’y croire, même nous n’irions pas jusqu’à dire que rien n’a été fait. On a beau évoquer le Projet de gestion des eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (Progep, 2012- 2019) par l’Agence de développement municipal (ADM) et ayant occasionné la visite de terrain du ministre de la Gouvernance locale de l’époque, Abdoulaye Diouf Sarr (projet de 55 milliards), le lundi 12 octobre 2015, à l’effet de constater les infrastructures construites dans le cadre de ce programme ; la visite en novembre dernier, du ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des territoires, Oumar Guèye, se réjouissant que le Progep ait “impacté positivement 800 000 personnes dans la banlieue de Dakar (Pikine, Guédiawaye, Dalifort et cité Soleil) et même au Pôle urbain de Diamniadio et Saint-Louis et sa périphérie’’ ; la réception officielle de la station de pompage des eaux usées et pluviales de la cité Soleil d’un coût estimé à 11,9 milliards de francs CFA par le ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam, il y a trois semaines à peine. On a beau informer que l’ouvrage devrait impacter positivement la vie de centaines de ménages qui résident dans les communes de Dalifort et de Hann- Bel Air. Mais les faits restent têtus et le résultat désastreux est palpable. Allez demander aux populations dakaroises, de la banlieue, celles de Kaolack, de Thiès, de Saint Louis, de Sédhiou. Celles de Guinaw Rail ont en tout cas fini de se plaindre du DG de l’Apix sur Walf. Elles auront sans doute une appréciation bien différente de la réalité. Ces dernières ont purement et simplement demandé sa démission, suite à la construction d’un tunnel sous les rails du Ter et qui leur vaut aujourd’hui des inondations qui ont coupé Guinaw Rail en deux.
En attendant le rapport détaillé sur l’état de mise en œuvre du Programme décennal de lutte contre les inondations 2012-2022 demandé par le président de la République, un cumul des montants prévus dans le cadre de ces projets fait état de 290,9 milliards de francs CFA.
Qu’on n’essaie surtout pas de leurrer les sénégalais. Macky Sall aura beau demandé un rapport, lors du dernier Conseil des ministres. La demande arrive bien tard, le mal étant déjà fait. Un tel projet méritait toutefois un suivi et des évaluations d'étapes. On ne serait pas dans cette galère si les choses avaient été faites correctement et en parfaite cohérence. Le Plan Orsec déclenché récemment, soulagera peut-être les populations mais ne résoudra pas le problème qui requière une cohérence des intervenants, de la planification, du suivi, de l’évaluation et surtout du courage de la part des gouvernants à prendre des décisions appropriées à la réussite de la politique d’assainissement.