CONTRIBUTION - «Nous avons besoin de phares pour éclairer nos routes et orienter nos destins » ! Comme tel, nous apparaît encore et encore la figure de Léopold Sédar Senghor. La question n’est pas quelle trace laisser, mais quelle durabilité aura cette trace dans l’histoire. Ce qui fait la marque de Sédar, c’est qu’il appartient désormais à « tous les continents, à toutes les époques, à toutes les cultures ». On a eu tort de le prendre pour un « toubab », un Blanc.
Pour ceux qui savent, introduits dans son intimité, Senghor n’a jamais été un « toubab » au sens moqueur et méchamment critique. Le zèbre comme le tigre ne peuvent se débarrasser de leurs zébrures. Sédar ne s’en est jamais débarrassé. Il y a plutôt ajouté les zébrures des autres races et cultures pour être une mosaïque, une synthèse.
Sa soif de métissage et d’universalité en attestent. Quand nous pensons à lui, comme aujourd’hui que nous célébrons les 19 ans de son grand sommeil -2001- 2020-, nous ne pouvons pas ne pas également penser à tous ses merveilleux êtres que l’histoire n’a pas inscrite à son fronton : « des paysans au savoir magnifique, des ouvriers durs à l’effort, des fonctionnaires intègres, des artisans de génie, des instituteurs passionnés, des médecins et des infirmières prêts à tous les sacrifices, des journalistes courageux, des héros oubliés ayant sacrifié leur vie pour notre liberté et notre confort ». Ce pays doit des tombes à nombre de ses enfants ! Senghor n’était pas un homme. C’était un poète.
Les hommes sont mortels. Voilà comment il a échappé à la mort. Lui-même et de haute voix, nous disait, je le cite de mémoire : « Si on devait garder de moi quelque chose, que ce soit alors mes poèmes ». Il est bon de rappeler que c’est bien un poète qui a bâti le Sénégal moderne. Ce n’est pas peu quand on sait combien les poètes sont raillés.
Au poète se sont ajoutés le soldat, le professeur, le philosophe, le penseur, l’homme d’État et l’homme politique. Senghor était une totalité. Il est un modèle. Le plus difficile est d’être un modèle. Le modèle est un phare. Il est « source de jubilation ». Il est « grandeur de l’esprit ». Avec le temps et le recul, tous ceux qui le critiquaient sans le lire, sont devenus des rossignols. Mon cher poète bien-aimé, que te raconter de l’année 2020 qui s’achève ?
Ton pays le Sénégal continue sa marche forcée vers le développement. Abdou Diouf, Abdoulaye Wade sont passés. Ils n’ont pas refermé la porte. Ils l’ont laissé ouverte. Macky Sall est entré. Que dire de lui, sinon qu’il est au champ. Il laboure. Attendons qu’il sorte du scanner. Attendons les résultats. Puisse Dieu exaucer nos prières pour lui. Qu’IL l’inspire et le guide ! Mon cher poète, il avait tenu à venir personnellement avec son épouse boréale, saluer Colette Senghor qui te rejoignait à Bel-air. A ton seul nom, Moustapha Niasse l’assoiffé de Senghor peut en témoigner, le Président Sall loue et honore tout ce qui te grandit et perpétue ta pensée.
Que personne ne nous empêche de le dire et d’en témoigner. Mon cher poète, pour te porter des nouvelles de la République et du monde, notre espace politique est en perpétuelle mutation. La majorité présidentielle rassemble large pour dégarnir les fourreaux. L’opposition, ou ce qui en reste, résiste. Il le faut. Elle est utile en démocratie. Il ne faut pas taillader la démocratie. La taillader, c’est taillader l’image glorieuse de notre pays. Senghor était habile pour avaler son opposition. Abdou Diouf avait fait de son traumatisant et bien futé opposant Abdoulaye Wade, un allié intermittent, pour respirer un peu. Macky Sall tisse sa toile, ouvre sa ruche pour que le miel enivre. Sa main ne tremble pas. Les jeux sont ouverts. Il est dans son rôle.
Le 3ème mandat du Président fait débat. Qui de la Cour Constitutionnelle ou du peuple saisi par référendum, donnera un 3ème mandat à un Président qui est en train de mettre la table pour tous ses opposants ? Qui rassemble, unit et qui unit fédère et qui fédère gagne les coeurs. Allons nous assister à un miracle jamais réalisé dans l’histoire politique du Sénégal, où majorité et opposition voteraient le « rabiot » pour le Président sortant, c’est à dire lui donneraient un mandat de plus ? Mais en échange de quoi et comment ?
Et quelle sera la posture du peuple sénégalais ? La fiction est ouverte, le rêve à la fois permis et interdit. Nous vous tiendrons informé mon cher poète de la suite des jeux de cartes du « sorcier » Macky Sall et du tranquille, imprévisible et redoutable peuple sénégalais. Qui disait que l’eau et la soif se complètent ?
Rien n’est figé en politique ! Au Sénégal, les combinaisons et les alliances politiques sont désormais inséparables d’une accession au pouvoir. Macky Sall en a pris acte mais il n’en est pas prisonnier. Pourquoi n’a-t-il pas choisi un successeur ou un héritier politique, comme vous, vous l’aviez fait, mon cher poète, pourrait-on se demander ? Jacques Attali invoquant François Mitterrand Président en exercice, nous donne une esquisse de réponse : « S’il avait refusé de se choisir un successeur ou un héritier, c’est parce que tout héritier, qu’il le veuille ou non, incarne la mort. Mais cette « mort » n’est finalement rien d’autre que « le sourire de la liberté ».
Que l’essentiel pour nous restent la paix et l’honneur du Sénégal ! Mon cher poète, l’actualité nationale et mondiale est plombée par un terrifiant virus nommé Covid19. Il a arrêté tous les cadrans, déréglé les horloges, cloitré les peuples, donné des béquilles à l’économie, mis en insomnie les gouvernants, accéléré la science, perturbé la sérénité de la recherche, creusé à outrance des tombes et embouteillé les cimetières. Le monde va mal. Très mal. Nous avons appris cher poète et si cher maître, qu’il s’agit, dans toutes civilisations, de construction culturelle d’abord, pour mieux s’armer contre l’- hégémonisme, la déculturation, la déperdition, le doute, la peur, la démission. « Tout est culture. Le reste n’est qu’économie ».
Voilà ce que vous nous avez appris cher poète. Alors, face à ce monstre invisible de Covid19 qui terrorise l’humanité, riches et pauvres, nous devons nous réfugier dans ce que nous avons de plus puissant, de ce qui nous fait prosterner devant la nature. Oui, la nature est notre avenir. Mon cher poète, 114 ans vous auriez eu sur terre en cette année 2020 ! Mais vous ne nous avez jamais quitté. Vous ne nous quitterez jamais. Le soleil se lève avec vous dans nos cœurs et ne se couche jamais en nous. Ceux qui prononcent votre nom ou s’attardent sur vos œuvres et la cave d’or de vos pensées, ne voient jamais le soleil se coucher. Il y a longtemps que votre nom apaise nos cœurs et porte notre pays bien loin. Que Dieu pare votre séjour en Son Paradis ! Dors Sédar. Dors. Nous veillons en attendant nous aussi l’horaire du songe. Un jour.
Amadou LAMINE SALL
LAUREAT DES GRANDS PRIX DE L’ACADEMIE