NETTALI.COM - C’est un bien curieux procédé que celui qui a été utilisé par le président Sall pour s'adresser aux Sénégalais, en cette fin d'année. Une opération de communication dénommée "Grand entretien". C’est en effet du grand jeu qui a été sorti pour ne pas tomber dans les turpitudes du grand oral de l’année dernière. L'expérience aidant, le palais s’était certainement promis de ne pas tomber dans les mêmes difficultés, cette année. Et cela a porté ses fruits puisque le Président a été comme un poisson dans l’eau.
Ce sont ainsi au total 8 journalistes qui ont fait face au président de la République pour son allocution. Il y avait certes des expérimentés dans le lot, mais aussi des inexpérimentés qui n’avaient d’ailleurs rien à faire là-bas. Le choix de ces derniers a-t-il été fait à dessein ? Les emmerdeurs habituels ont été écartés dans le cadre de ce qu’on peut appeler un casting pour, par la même occasion, réduire le nombre d’intervenants.
Mais en réalité, même si Macky Sall avait été challengé l’année dernière, malgré un nombre de journalistes plus important, l’expérience a montré qu’en comparaison à d’autres cieux, ce type de débat pouvait même être mené par un seul ou deux journalistes, expérimentés, libres et maîtrisant les techniques de l’interview, tout en permettant de produire des questions-réponses mieux articulées, plus cohérentes, plus homogènes et ainsi garder un fil conducteur, sans toutefois réduire à néant, les possibilités de relance.
Mais ce qui s’est passé le 31 décembre 2020 est tout simplement dangereux pour la crédibilité de la presse sénégalaise. La pluralité médiatique a pris un sacré coup dans la soirée de jeudi. Il n'y en avait en effet que pour Macky Sall. Après son traditionnel discours de nouvel an, le chef de l'Etat s'est imposé dans les foyers sénégalais. Son "Grand entretien" avec une partie de la presse nationale a été ainsi retransmise par près d'une dizaine de chaînes de télévision. Et la présidence la République a dû mettre la main à la poche pour acheter des temps d'antenne presque partout. 2Stv, Walf Tv, Tfm, Sen Tv, 7Tv, Itv... Elles ont toutes été obligées de chambouler leurs programmes du dernier jour de l'an pour éviter de voir les "sous" de Macky Sall leur filer entre les doigts. Et le danger, c'est qu'il n'y avait pas de voix discordantes ce 31 décembre. Enfin presque. Puisque si des chaînes comme Walf Tv ont dû annuler tout bonnement le débat qui devait suivre l'adresse à la nation du chef de l'Etat pour éviter de frustrer leurs invités, d'autres comme la Tfm et la Sen Tv ont certes maintenu leurs débats, mais ont dû l'écourter dès que Macky Sall a démarré son "Grand entretien". Seule la 2Stv a eu l'intelligence d'anticiper en démarrant son programme dès 18 heures. Pour le reste, le président de la République a fait des chaînes de télévision sa zone de stationnement réservée.
Mais l’on a bien noté que ces débats d’avant discours ne consistaient au fond qu’à se prononcer sur les intentions du Président et à dégager des perspectives. Or, l'intérêt résidait dans le fait de commenter, d’éclairer l’opinion voire de critiquer positivement comme négativement le contenu et la forme du discours.
Avec "Grand entretien" l'on a plutôt eu droit à un face-à-face entre un homme politique qui avait un message à délivrer et des journalistes pour le moins timorés. Certains d'entre eux ont perdu du temps à formuler des prières pour le chef de l'Etat plutôt que de gagner du temps en lui posant les bonnes questions. "Yalla na yen bi oyof" (je souhaite que l’exercice du pouvoir soit aisé pour vous), a-t-on par exemple pu entendre de la bouche d'un journaliste. Brrrrr.
Etait-ce une manière de dérouler le tapis rouge à notre cher Président ? La seule politesse admissible en de pareilles circonstances est de souhaiter une bonne année aux Sénégalais et au Président, de manière aussi brève que possible et ne pas se lancer dans ce qui ressemble à de la flagornerie pure et simple. Ce n’est nullement le rôle du journaliste que de tomber dans ce genre de travers. Il doit pouvoir garder une distance critique voire froide avec l’interviewé. C’est en effet courant sur les plateaux d’avoir affaire à un mélange des genres incroyable, avec l’incursion de la sociabilité version sénégalaise excessive et proscrite par la déontologie journalistique. Les journalistes ne sont pas là pour se prosterner. L’objectif est clairement, pour eux, de tenter d'arracher de l’information, de challenger le président pour en avoir. Etant entendu que l’info, c’est du neuf.
Pis, la formule du débat ne donnait aux journalistes aucune possibilité de relance. Au moins l'année dernière, cette possibilité était offerte et c’est ce qui avait d’ailleurs emmené le Président Macky Sall dans les cordes. Mais cette année, le format a non seulement montré ses limites, mais il était juste inopérant. Comment arriver à mettre 8 journalistes face à un seul homme, les enfermer dans des thématiques et des découpages de question et ne leur offrir la possibilité de relancer que 100 ans après. C’est ce qu’on appelle tout simplement amoindrir l'impact de la relance si d'aventure cela venait à l'esprit d’un d’entre eux. La conséquence est qu’ils ont tous préféré poser d’autres questions.
Aux Etats-Unis, en France comme dans d’autres pays, les chefs d’Etat font face aux journalistes sans préparation préalable, sans questionnaires envoyés avant le face-à-face et sans langue de bois. Ce qui donne à la rencontre un cachet crédible, un cachet sérieux au grand bonheur des lecteurs, téléspectateurs et internautes.
Le 31 décembre, tout indiquait que la rencontre entre les journalistes et Macky Sall était une sorte de dictée préparée. Et que même un certain journaliste dans le groupe semblait être au courant de ce qu'un autre confrère allait dire. On en a par exemple entendu un, en posant sa question, dire qu’un autre journaliste allait revenir sur un point précis. Les deux ne sont pourtant pas du même groupe de presse, l’un travaille dans le privé, l’autre dans le public. Comment l’un pouvait-il alors deviner la question qui serait posée par l’autre ?
Que dire de la posture de la journaliste de la Rts, Arame Ndao, si ce n’est qu’elle ne devait point servir de modératrice ? Cela ne peut-être la vocation d'un journaliste. Elle aura passé tout son temps à gérer des problèmes de temps. Ahurissant. Y avait-il un tel besoin de maîtrise du temps et de la parole des journalistes ? L’émission n'avait pas en réalité besoin de modération. La parole pouvait être distribuée librement. Les journalistes pouvaient lever la main et la parole distribuée au fur et à mesure. Les réponses en auraient eu plus de crédibilité du fait de l'enchainement des questions et de leur caractère inattendu.
Résultat des courses, le chef de l'Etat répondait aux questions avec sérénité même quand ses réponses étaient tout-à-fait contestables. C'est le cas à propos du mandat présidentiel. Macky Sall semble oublier la Constitution qu'il a, lui-même, fait rédiger en prenant le soin de... verrouiller les dispositions sur la durée et le nombre de mandat. Désormais, le chef de l'Etat veut faire croire aux Sénégalais que se présenter ou non à la prochaine présidentielle ne dépend que de son bon vouloir. Pourtant, c'est bien le même Macky Sall qui écrit à la page 165 de son livre "Le Sénégal au coeur" s'adressant à ses compatriotes : "Me voici de nouveau devant vous en vue de solliciter votre confiance pour un second et dernier mandat."
Pratiquement sur le même registre, le président de la République déclare qu'on n'a pas besoin de changer nos institutions parce qu'elles fonctionnent bien. Pourtant, au début de son premier mandat, c'est le même Macky Sall qui avait créé la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) qu'il avait confiée à Amadou Mactar Mbow. Si ces institutions sont bonnes, si elles marchent parfaitement comme il veut le faire croire, la question est alors de savoir pourquoi avoir alloué un budget de 700 millions de francs à la Cnri pour réformer ces mêmes institutions? De plus le président de la République a vendu la rupture aux Sénégalais alors qu’il demandait leur confiance. A-t-il oublié cela depuis qu’ils ont décidé de lui faire confiance ?
Autre réponse intrigante du chef de l'Etat sur laquelle les journalistes auraient pu faire des relances, c'est celle liée à l'introduction de l'éducation sexuelle dans le programme scolaire. Macky Sall s'est montré ferme avec un ton presque menaçant à l'endroit de l'Unesco. "Personne ne peut imposer au Sénégal un programme qui ne respecte pas ses valeurs traditionnelles et culturelles", a dit le chef de l'Etat ajoutant que l'Unesco pouvait garder son argent. Une réponse apparemment destinée à la consommation locale. Car Macky Sall ne peut en aucun cas ignorer que c'est son ministre de l'Education, donc son gouvernement, qui a organisé l'atelier où cette question de l'éducation sexuelle a été abordée. L'Unesco oserait-elle organiser un tel atelier sans le gouvernement de Macky Sall n'en soit informé ? Évidemment que non. Le président de la République aurait donc dû dire toute la vérité et demander à son gouvernement d'assumer sa part de responsabilité dans cette affaire de "sexe à l'école".
Daouda Mine rappelle les promesses de Macky Sall
Commentant la sortie de Macky Sall, le chroniqueur judiciaire Daouda Mine, très sensible à la question des organes de contrôle et au fonctionnement de la justice, a dressé un sévère réquisitoire. C’est pour nous rappeler aux souvenirs des promesses de Macky Sall, alors qu’il était chef du desk «Société» du quotidien «L’Observateur», désigné pour la circonstance, pour couvrir la campagne électorale du candidat Macky Sall à la présidentielle de 2012. Le journaliste nous apprend qu’il avait sillonné le pays avec celui qui allait devenir président de la République quelques semaines plus tard. Témoin de toutes les promesses de Macky Sall consignées dans son fameux programme «Yoonu Yokkute» (le chemin du véritable développement), Daouda Mine raconte : "Sur le volet judiciaire, par exemple, le candidat Macky Sall soutenait : «mis sous tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté en ressources humaines et matérielles, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions dans l’impartialité et l’indépendance»". Le candidat Macky Sall, renseigne celui-ci, avait alors promis de "mettre fin à cet état de fait" en "renforçant l’indépendance du Conseil Supérieur de la Magistrature par sa composition, son organisation et par son fonctionnement"(...).
De manière concrète, il avait promis le renforcement des organismes et corps de contrôle et de régulation (comme l’Inspection générale de l’État (Ige), la Cour des Comptes ou l’Agence de Régulation des Marchés Publics (Armp) et leur donner une autonomie budgétaire. Il avait également promis de doter la Cour des Comptes d'un droit de saisine de la justice en cas de carence du parquet.
Il avait aussi promis de réformer la procédure pénale en introduisant une plus grande automaticité des poursuites face au principe de l’opportunité de la poursuite.
Macky Sall avait tout aussi promis une indépendance budgétaire de la Cour des comptes et l’élargissement de ses compétences aux comptes de la Présidence de la République et de l’Assemblée nationale. Ses constats suite à la conférence de presse, sont les suivants : « le Macky Sall que j’ai écouté le 31 décembre 2020, est très loin de ce Macky Sall de 2012. (...) Il a osé dire hier aux Sénégalais : «Que voulez-vous, c’est ce qui se passe depuis Senghor. Qui veut faire changer les choses n’a qu’à briguer le pouvoir ! ».
Il a osé nous avouer qu’il y a des intouchables dans ce pays, des gens dont l’emprisonnement est susceptible de «brûler» le pays, selon ses propres mots. Il a osé nous dire que c’est lui l’élu, il peut faire tout ce qu’il veut, il décide de tout, il apprécie tout, peut se permettre de mettre des dossiers sous le coude et peut demander au Procureur de ne pas transmettre à la justice quelques rapports qui n’arrangent pas son camp.
Pour justifier ses dires, Macky Sall nous sert qu’il est le président de la République «clé de voûte des institutions, garant du fonctionnement de la République». Je ne sais pas ce qu’il a compris à travers cela. (...) Il ignore que c’est la Constitution qui lui donne le pouvoir de gracier des détenus, mais c’est cette même constitution qui lui impose de faire respecter la loi en cas de prévarication des deniers publics. Aussi, faut-il le lui rappeler, ce n’est pas à lui de décider qui a volé et qui ne l’a pas fait. C’est à la justice de le faire.
Au cas où il l’aurait oublié, je le renvoie à l’article 37 de la Constitution, qui lui rappelle les termes de son serment en tant que chef de l’Etat. “Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de Président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, ....”. Cela implique qu’il ne peut pas y avoir de deux poids deux mesures au Sénégal. Qui transgresse la loi doit répondre de ses actes. Qui qu’il soit ! »
Macky Sall en cette fin d’année aura en tout cas fait son grand show au grand dam de la presse. La presse écrite du samedi/dimanche 2 et 3 janvier s’en est ainsi faite l’écho avec des titres qui attestent du fait : « Macky fait le show » (Sud Quotidien), « Macky, entre déni et autoglorification » (Walf Quotidien), « Macky Sall, le discours et la méthode » (l’Observateur), « Ce que vœux Macky » (Le Quotidien), «La Grand offensive de Macky » (Tribune), « 3ème mandat - Macky impose le black-out » (Kritik), « Macky, bon répétiteur » (Source A), « le chef de l’Etat dans tous ses éclats » (Les Echos).
L’on a aussi noté cette tendance pour le président Sall à vouloir se faire menaçant. Comme lorsqu’il dit que personne ne « peut lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire » ; ou encore, « ceux qui veulent le pouvoir n’ont qu’à aller le chercher là où ça se cherche ». Des réponses bien sèches et acerbes. Non Macky, un président de la république ne devrait pas parler ainsi. Avait-il par exemple besoin de dire qu'il ne voit pas les brassards rouges ? Il devrait pourvoir écouter les complaintes des Sénégalais, bon sang. Il avait affaire à des questions qui n'exigeaient pourtant que des réponses simples et sans passion. Ne devrait-il pas adopter la même posture d’humilité que comme quand il allait requérir le suffrage des Sénégalais dans le passé ? Facile de deviner les états d'âme de Macky Sall, l’expression de son visage, ses mimiques ou sa posture lorsqu'une question est en train de lui être posée, le trahissent bien bien souvent en révélant son embarras.
Et Karim Wade réapparut….
Macky Sall était en tout cas à la fête, déroulant sans obstacles. Une fête que Karim Wade a voulu gâcher en l’attaquant sur certains sujets. Une irruption aussi soudaine qu’inattendue de la part de l’opposant le plus absent du Sénégal, au moment où un vent de décrispation a semblé souffler entre Macky Sall et les Wade. L’équation de l’amnistie était même posée. S’est-il agi pour Wade fils de mettre la pression sur le maquis ? Karim, a encore depuis son exil à Doha, décoché des flèches acerbes en direction du jardin présidentiel. Flèches qui n’ont d’ailleurs pas manqué d’échos dans la presse du week-end d’après fin d’année : « cadeau salé de Karim Wade », « Karim Wade largue des missiles », « Karim Wade pilonne le Maquis », « Karim Wade solde ses comptes avec Macky ».
Il a notamment attaqué sur « la vingtaine de dossiers de corruption transmis par l’OFNAC au procureur de la République », dénigré la Cour de répression de l’enrichissement illicite, déclarant « que cette juridiction d’exception a été réactivée en 2012 exclusivement pour tenter de l’anéantir politiquement ». Il en veut pour preuve, « les magistrats qui la composent qui ont perdu tout sens de l’impartialité et n’ont instruit aucun autre dossier depuis ». Il a également fustigé l’intention prêtée au pouvoir de vouloir supprimer des villes, notamment Dakar. A cet égard, il a milité pour « l’unité de tous les démocrates » qui « s’imposera comme une évidence ». « Dans la bataille pour la restauration de l’État de droit, le PDS doit être en première ligne. C’est dans l’union que nous ferons reculer Macky Sall et son clan pour que le Sénégal redevienne un modèle de démocratie et de respect des droits de l’homme en Afrique ».
Réponse du berger à la bergère, Birame Faye de la task force républicaine a répondu sur I-radio face à Mamoudou Ibra Kane pour dire « s’il (ndlr : Karim Wade) veut être un homme politique d’envergure, je pense qu’il doit rentrer au Sénégal et se battre comme tout le monde au lieu de rester à l’étranger. Il doit avoir une démarche cohérente ». Il a aussi ajouté que personne n’a interdit à Karim Wade de rentrer au Sénégal même si la contrainte par corps plane toujours sur sa tête. Genre, tu peux venir, mais ce sera à tes risques et périls !
Une réponse bien équivoque. Difficile en effet de comprendre les politiques et leurs contradictions.