NETTALI.COM - Les Sénégalais se sont-ils faits flouer sur la question du nombre de mandats ? Ou plus exactement sur la rédaction des articles liés au mandat dans la Constitution ? Une question que l’on est raisonnablement en droit de se poser et qui est aussi de savoir où nous mènera finalement le droit ? Peut-être tout droit dans le mur, même si l’on a l’habitude de dire que "le droit mène à tout...". Sous nos cieux en tout cas, les sciences juridiques et le droit constitutionnel en particulier nous en ont fait voir de toutes les couleurs. De toutes les acrobaties. Beaucoup d'intervenants sur le sujet, surtout les hommes politiques, le font en général, dans le sens de leurs intérêts du moment.
La question du 3ème mandat ou de la troisième candidature du Président Macky Sall fait en tout cas l’objet de toutes sortes de fantasmes, d’interprétations, les unes aussi passionnées que les autres. Même les profanes en la matière s’y aventurent en n’en ayant qu’une lecture littérale.
Une sortie datant du week-end du 9-10 janvier qui est venue allonger la longue liste des intervenants sur le sujet, c’est celle de Me Doudou Ndoye, avocat expérimenté, mais également homme politique furtif et peut-être même épisodique, tant son activité dans ce domaine est quasi inexistante. Qu’est-ce qui a donc bien pu motiver sa sortie alors qu’il s’était éclipsé du monde politique, au point même que beaucoup aient cru à sa retraite ? Son intérêt pour le droit ? Une volonté de résurrection politique ? Personne ne sait. Mais ce qui est sûr, c’est que Me Doudou Ndoye, l’invité de "Jury du Dimanche" de ce 10 juin 2020, a donné son avis sur la question du 3ème mandat. Il pense purement et simplement que Macky Sall peut bien prétendre à un nouveau mandat.
Entre autres arguments, l’avocat nous fait savoir qu’"aucune loi, aucune Constitution ne lui (Macky Sall, ndlr) interdit d’être candidat. Tant que cette Constitution existe, personne ne pourra l’empêcher d’être candidat". Poursuivant son argumentaire, celui-ci a souligné que "le code électoral dit : “Peut être candidat, telle personne qui remplit de telle condition mais le Code électoral n’a pas dit, “ne peut pas être candidat celui qui est le président de la République".
Quid de l’article 27 de la Constitution qui stipule que "nul ne peut faire deux mandats consécutifs" ? L’ancien garde des Sceaux précise que "l’article qui suit, ne parle pas de candidature". Par conséquent, il a estimé que "maintenant si Macky Sall est candidat, aucun Conseil constitutionnel n’aura le droit de lui dire : ''vous ne pouvez pas le faire." "Ceux qui sont contre lui (Macky Sall) doivent travailler pour avoir l’électorat qu’il faut et le vaincre. Car, s’il gagne, le droit constitutionnel fera de lui notre Président", a conseillé Me Ndoye à ceux qui garderaient l’espoir d’une invalidation de la candidature de l’actuel président. Une sortie sur I-Radio relayée par quelques titres de la presse écrite, ce lundi11 janvier ; et aussi par des sites d’informations en ligne, le même jour.
Un sujet qui passionne en tout cas beaucoup les Sénégalais qui attendaient d'ailleurs de nouvelles réponses du président Sall, lors de sa conférence de presse de fin d'année. Déception, d’aucuns sont restés sur leur faim et n’en démordent toujours pas d’avoir des assurances. Surtout au regard de la posture clair-obscur du président de l'Apr. Une question sur laquelle, il sera en tout cas bien difficile de dégager une unanimité chez nos amis juristes, experts en la matière. Chez les politiques également, il sera tout aussi compliqué d’accorder les violons.
Vaste débat que ce sujet ô combien difficile à trancher, si ce n’est par Macky Sall lui-même qui devra donner sa position qui sera de toute façon critiquée ; mais surtout par la justice. Le hic dans l'affaire, c’est que beaucoup de Sénégalais ont des appréhensions quant à l’avis du Conseil constitutionnel, si d’aventure son arbitrage venait à être requis. Echaudés, ils le sont par certaines décisions rendues dans le passé. Depuis la réélection effective de Macky Sall pour un mandat de 5 ans, si l’on se rappelle bien, ce dernier avait promis de faire un mandat de la même durée avant de se raviser pour faire un de 7 ans, s’attachant ainsi à l’avis du Conseil constitutionnel qui, selon lui, le liait fortement.
Quoi qu’il en soit, c’est cette équation de la non rétroactivité de la loi qui ne prendrait pas en compte le premier mandat de 7 ans de Macky Sall qui fonde le raisonnement du juriste quant à la possibilité d’un second mandat et qui sera le deuxième et non le 3ème comme certains veulent bien le croire. Le spécialiste du droit Me Ndoye a ainsi précisé que si la Constitution règle le problème du troisième mandat, c’est pour les successeurs de l’actuel chef de l’Etat. En ce qui concerne Macky Sall, l’ambiguïté reste entière et n’a certainement pas été dissipée par la mention : "Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs." Ce qui signifie que de l’avis du juriste, c’est un problème d’écriture qui subsiste en soi. Cela a-t-il été fait exprès si on se fie à sa dernière remarque sur l’ambiguïté ?
Un débat sur le 3ème mandat qui n’augure en tout cas rien de bon parce que des pros 3ème mandat, il y en a, même si on ne peut pas tous les citer. Des opposants au 3ème mandat pour lesquels nous nous contenterons de lister les plus actuels, d'autant plus qu'ils sont encore dans le camp de Macky Sall pour certains.
Des pros 3ème mandat et des revirements
Jacques Mariel Nzouankeu, ancien Professeur à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, soutenait en 2017 que " le mandat en cours du président de la République n’est pas concerné par la révision constitutionnelle de 2016. Il est de 7 ans ; le président de la République, M. Macky Sall, l’exercera jusqu’à son terme en 2019. Si le Président Macky Sall est élu président de la République en 2019 en application de l’article 27 de la Constitution, il lui sera conféré un premier mandat de 5 ans. En 2024, s’il décide de se présenter à l’élection présidentielle, sa candidature sera recevable. S’il est élu, il briguera un deuxième mandat consécutif de 5 ans."
Récemment, c’est un autre avocat Me Babou, disparu des radars un temps, qui a fait une sortie pour attester de la possibilité de ce 3ème mandat, se fondant lui aussi sur des arguments juridiques. Sous le titre "Me Babou valide le 3e mandat de Macky", la robe noire déclarait récemment, de but en blanc, dans les colonnes du quotidien L’As, que d’un point de vue purement juridique, le chef de l’Etat peut encore se présenter à la présidentielle prochaine. Selon Me Babou, la constitution en son article 27, règle deux problèmes : à savoir la durée du mandat présidentiel qui est de cinq ans et qui dit clairement que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Ceci est donc simple à appliquer. Le Président Macky Sall a fait un premier mandat de cinq ans qui s’achève en 2024. Et à partir de là, juridiquement il a le droit de se présenter en 2024 pour un second mandat de cinq ans". "Je le dis et je le répète : la Constitution n’a jamais parlé de troisième mandat. La loi ne parle pas des sept ans avant la réforme et il n’y a pas de mesures transitoires. On ne peut changer la Constitution que pour viser la seule personne du Président Macky Sall", a souligné encore Babou.
Suprême paradoxe ! Interrogé par la Rfm le 29 septembre 2019, l’avocat avait dit tout-à-fait autre chose : "Ce problème du 3e mandat a été réglé depuis le temps avec Abdoulaye Wade. Et la dernière réforme avec l’actuel président clôt le débat. Le président Wade voulait un 3e mandat à cause de l’ambiguïté de l’article 27". Mieux, précisait-il, "Au Sénégal, la forme républicaine ne peut pas être changée. C’est fini, personne ne peut y toucher. Personne ne peut plus faire plus de deux mandats consécutifs. Sous l’empire de cette nouvelle constitution, le président Macky Sall a déjà fait un mandat et un 2e mandat. Donc, ça ne se discute pas." A quel Babou finalement se fier ?
Le journaliste Madiambal Diagne l’avait, à son tour rejoint, utilisant un argument contre la limitation des mandats. De l’avis de ce dernier, Macky Sall peut bel et bien se lancer dans la course pour la présidentielle de 2024. Récemment, face à Maïmouna Ndour Faye, il précisait sa pensée en ces termes : "Je ne crois pas en la limitation des mandats. C’est un principe que j’ai assumé partout, depuis toujours. Il faut me lire. Je n’ai jamais préconisé la limitation des mandats. Dès lors que les élections se déroulent normalement et que les élections ne sont pas truquées, il appartient aux citoyens d’élire qui ils veulent."
Quid du mobile de son combat contre le régime du pape du Sopi ? Le fondateur du groupe "Avenir Communication" déclarait ainsi que cela n’avait aucun lien avec la question de la 3e candidature. "J’ai combattu ouvertement Abdoulaye Wade. Un jour, j’ai réuni ma rédaction pour dire ceci aux journalistes : 'Je mène un combat de survie, tout sauf Abdoulaye Wade, il faut qu’il dégage. Celui qui n’est pas d’accord peut évoquer la clause de conscience pour s’en aller'. Karim Wade avait déclaré urbi et orbi qu’il allait me mener la guerre et qu’il allait m’éradiquer. Le régime de Abdoulaye Wade m’a porté tous les coups. J’ai combattu Abdoulaye Wade parce qu’il fallait qu’il dégage", ajoutait Madiambal. Comment faut-il considérer cet argument ?
En direction de 2024, le journaliste mentionnait toujours : "Une loi autre qu’une loi pénale plus douce ne peut être rétroactive. Qu’elle soit une loi ordinaire ou une loi constitutionnelle. Mon intime conviction est que la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2012 peut prévaloir encore. Si Macky Sall demanderait un 3e mandat, le Conseil constitutionnel ne pourrait pas se dédire. C’est ce qu’a fait le Conseil constitutionnel, en France, en Guinée Conakry et en Côte d’Ivoire."
Sauf que dans son argumentaire, Madiambal Diagne a oublié qu'en l'occurrence, Me Wade en bon juriste avait tellement bien compris l'enjeu derrière qu'il avait mis une disposition transitoire en disant que "le président termine son mandat en cours". Ce qui avait pour conséquence que le 1er mandat n'était pas décompté dans les 2 mandats prévus par la constitution de 2001.
Des détracteurs du 3ème mandat chez Macky
Mais sur la question du 3ème mandat, Macky Sall a aussi ses détracteurs qui ne viennent de nulle part ailleurs que de ses propres rangs. Me Moussa Diop, avocat comme Me Doudou Ndoye, s’est récemment insurgé contre le "ni oui, ni non" de Macky Sall au "Grand Jury" de la Rfm. Et c’est pour dire : "Macky Sall avait dit clairement qu’il allait faire deux mandats et partir. Alors pourquoi le ni oui ni non ?..."
Après Moustapha Diakhaté, Sory Kaba et Me Moussa Diop, c’est Aminata Touré l’ancienne Premier ministre de Macky Sall qui s’était activement prononcé contre le 3ème mandat. Lors d’une récente conférence virtuelle sur le sujet, organisée par le NDI (National Democratic Institute), elle avait estimé que la limitation des mandats présidentiels est une donnée essentielle de la démocratie, en même temps qu'il est un moyen important de faciliter l’alternance au pouvoir sur le continent. Le respect de la Constitution, elle le voit comme un gage de stabilité.
Se prononçant sur le cas spécifique du Sénégal, Aminata Touré, de but en blanc, déclare : "Le Président Macky Sall réélu le 24 février 2019 a affirmé à de nombreuses reprises qu’il effectuerait son second et dernier mandat notamment le 31 décembre 2018. Donc, au Sénégal, la question est derrière nous comme je l’ai déjà dit à diverses occasions." Précisant sa pensée, elle soulignera que "le Sénégal a modifié sa Constitution limitant les mandats présidentiels à 2 consécutifs, et précisant en son article premier que : 'La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs."
Autre personnage contre le 3ème mandat, Aliou Sow, quoique Haut conseiller territorial au Hcct, a invité Macky Sall à ne pas encourager une démarche propre à « rééditer une tragi-comédie dans notre pays ». « En vérité, c’est gênant, je suis même choqué que le Sénégal qui est une sorte de vitrine démocratique, de modèle en Afrique (…) qu’on puisse imaginer nous mettre dans le lot de ces pays où la parole donnée n’est pas sacrée », a déploré l'ancien ministre invité à l’émission « La Bibliothèque de », sur la 7 Tv. A l’appui de son argumentaire et citant Hamadou Hampaté Ba, il a fait savoir : « nous sommes dans une société d’oralité, la parole est sacrée. En Afrique on signait par la parole d’abord. Quand un chef dit publiquement des choses, prend parole publiquement et les réitère, il est tenu par ses prises de position ».
Et celui-ci de rappeler par la suite, les évènements de 2012, avec la candidature contestée de son ancien mentor Me Abdoulaye Wade. Il a ainsi tenu à faire remarquer que Macky Sall faisait partie des leaders de l’opposition qui contestaient cette candidature. « En un moment donné, il ne s’agit pas de questions de droit, de lois ou d’interprétation de la loi, il s’agit de sacralité de la parole donnée, de bon sens, de morale, d’autant plus que Macky Sall peut encore valoir au Sénégal l’occupation de fonctions prestigieuses sur la scène internationale. Il est jeune, il a occupé toutes les fonctions imaginables et je pense qu’il reste encore quelqu’un qui a le sens de l’Histoire pour ne pas tomber dans certains pièges ».
Mais à la vérité, les détracteurs du 3ème qui invoquent la parole donnée et l'éthique (et c'est tout à fait à leur honneur) doivent apprendre à être moins naïfs en évitant de brandir des arguments relatifs à une certaine parole donnée de Macky Sall. Pour rappel lors de la polémique sur la réduction du mandat de 7 à 5 ans (cité ci-haut), le Conseil constitutionnel avait annoncé que les dispositions de la constitution priment sur les déclarations d'un candidat. Par conséquent , le mandat ne pouvait dès lors être réduit de 7 à 5 ans. La parole donnée n'aurait pas de valeur juridique. Elle a plus trait à l'éthique. Pour certains observateurs, le Président Sall ne se fiera qu’à une base légale ou plus exactement à l’avis du Conseil constitutionnel et non céder à une quelconque sagesse liée à une promesse tenue. A moins qu'il décide lui-même de ne pas présenter une nouvelle candidature.
Un débat finalement sans fin sur la question du 3ème mandat et dont on se demande quelle va être l’issue. La difficulté est que Macky Sall est pris dans l’étau d’une histoire de parole donnée, de juridisme et de l’avis du Conseil constitutionnel auquel beaucoup d’acteurs politiques ne semblent pas trop accorder de la confiance. Mais au-delà, l’on a affaire à une sorte de paniers à crabes dans lequel sont logées plusieurs autres équations connexes, notamment l’éternel problème du fichier électoral, l’équation de la personne du ministre de l’intérieur, la question de la transparence du processus électoral, l’équation du parrainage, etc.
Si le débat sur le 3e mandat est encore agité, c’est que la rédaction de la Constitution de 2016 que le chef de l'Etat a proposé au peuple, est assez floue. Aucune disposition de cette Constitution ne règlemente la dévolution des mandats du président de la République. C’est-à-dire la manière dont les présidents doivent se succéder. La Constitution ne dit pas si le nouvel article 27 entre en vigueur à l’expiration du mandat en cours du président de la République. Nulle part, il n’est écrit que le mandat de 7 ans est, ou n’est pas compris dans le décompte des deux mandats consécutifs du nouvel article 27, pour éviter toute interprétation tendancieuse. Habituellement, ces questions sont traitées dans les dispositions transitoires ; mais dans la Constitution ainsi révisée, les dispositions transitoires ont été supprimées.
Malgré tout, le droit reste le droit et les principes intacts.
D’ailleurs, le 23 juin 1993, le Conseil constitutionnel du Sénégal, dans un de ses arrêtés avait bien dit que "la règle de la non rétroactivité de la loi n’a de valeur constitutionnelle qu’en matière pénale". C’est-à-dire que le principe de "l’effet immédiat de la Loi nouvelle d’ordre public" est la règle. En langage clair, dès que la constitution de 2016 a été votée, la disposition qui dit que "nul ne peut faire plus de 2 mandat consécutives s’applique". Peu importe que ce soit un mandat de 7 ans ou 5 ans. Ce qui fait qu’en 2019, Macky Sall, comme il l’a écrit dans plusieurs passage de son livre publié à la veille de la présidentielle, a entamé son second et dernier mandat.
Reste à savoir quelle sera la position du Conseil constitutionnel qui devra à l’occasion voir s’il va ou non renier sa jurisprudence de 1993 ? Et quelles seront les motivations d'une future décision car sa consultation est de toute façon inévitable dans le cas où Macky revenait sur sa parole et déposait sa candidature en 2024.
Notons juste que dans le cas de Me Doudou Ndoye, il avait eu à rappeler en 2012 cette même jurisprudence de 1993 ? De plus soulignons que l'esprit de ce changement constitutionnel est d’éviter ce qui s’était passé avec Abdoulaye Wade en 2012 et le cortège de morts que cela avait engendré. Et dans le cas présent, la principale motivation était de limiter les mandats à deux. Affaire à suivre.