CONTRIBUTION - Un homme bon, pieux et humble s’en est allé. Que Dieu ait pitié de ton âme, mon cher cadet dans la profession.
Tu étais mon aîné par l’âge, et moi, ton ancien dans la profession. Sous ce dernier aspect, tu me témoignais un respect et une considération que je trouvais sincèrement exagérés. En réalité, cela traduisait l’affection qui nous liait et qui trouve sa source dans notre tendre enfance. Mon père servait alors à l’Oncad de Sokone, et dans cette bourgade peu peuplée, tout le monde était parent.
Ton respect pour tes semblables était ta plus grande qualité et n’était pas seulement réservé à ma modeste personne. Tout le monde y avait droit, professionnels comme justiciables.
Ton humilité était si débordante qu’il n’était pas rare de te croiser pieds nus ou parfois avec de modestes sandales courir le long des couloirs pour faire tes ablutions de la « salat ».
Ta courtoisie aussi était connue de tous. Deux appels téléphoniques manqués vaudront des excuses interminables de ta part comme pour me dire que, malgré le prestige de tes charges, tu n’avais point changé.
« Moustaph, tu aimais m’appeler, et moi « Bathie » en souvenir de l’enfance « Bathie », je t’ai suivi de loin ces dernières années exercer ton métier de juge d’instruction, et parfois je trouvais imméritées et injustes les attaques dont tu étais victime.
OUI « Bathie », les magistrats se proposent de faire un métier sublime et surhumain puisque en définitive, seul Dieu peut juger sans se tromper.
Hommes publics par la force des choses, nous sommes journellement victimes d’insultes, de médisances, et de calomnies. Et pourtant, avec le sacerdoce en bandoulière, nous essayons chaque jour de rendre réelle la paix sociale dans la cité. Hommes du silence et de silence, le devoir de réserve nous empêche de réagir, et stoïquement, nous endurons mensonge et mépris.
J’ai l’habitude de dire que le métier de magistrat est le seul métier qui assure chaque jour à son titulaire un nouvel ennemi. Il en est ainsi parce que par sa nature, le procès appelle le juge à trancher entre les prétentions de deux parties adverses. Pour celui qui perd, le juge est seul responsable de sa situation et le perdant en arrive même à oublier sa propre responsabilité dans les faits.
Tenez, pour le voleur pris avec le sac de riz volé entre ses mains, son séjour en prison tient à la seule méchanceté du juge. Personne ne doit dès lors être coupable et le juge est alors coupable de tout, surtout dans une société où l’hypocrisie, la ruse et le mensonge sont érigés en valeurs sociales.
« Bathie » au nom de tous les magistrats, je tiens à te dire que tu n’as pas démérité. Dans le champ de l’action, personne ne peut être parfait. L’important est seulement d’essayer d’être un bon juge, un bon diseur de vérité et de droit. Sous cet angle, tu auras fait de ton mieux. Et, aucun soldat ne peut jurer qu‘il reviendra indemne du front.
Adieu « Bathie »