CONTRIBUTION - La dernière rencontre de Paris qui s’est tenue le 18 mai 2021 est juste un sommet de plus, du même acabit que les sommets précédents qui ont jonché les 61 années de coopération néocoloniale depuis les indépendances des années 60. Et cela malgré les nouvelles donnes de l’économie mondiale, érigées en thématique pour l’occasion, à savoir les diverses conséquences économiques de la pandémie de la Covid-19.
Il est vrai que l’Afrique est le continent le moins touché par cette pandémie sur le plan sanitaire mais elle en paie le plus lourd tribut sur le plan économique. Mais il faut que les dirigeants africains, surtout francophones, le retiennent pour de bon : la Françafrique n’a été et ne sera qu’un cadre de sauvegarde et d’assouvissement des intérêts économiques voraces de la France en Afrique. Le slogan a été clairement formulé par le Président Charles Degaule : « la France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts ».
Les matières premières africaines sont le principal ingrédient de la cuisine industrielle occidentale. La mainmise sur ces matières premières, c’est une question de vie ou de mort économique chez ces puissances occidentales. Les enjeux en valent chez ces occidentaux cette fermeté et cette opiniâtreté, souvent morbide, à vouloir maintenir ces liens défavorables de coopération avec l’Afrique. Un récent Rapport du Sénat français érige l’Afrique comme l’avenir de la France et d’autres rapports similaires parlent justement de l’Afrique comme étant l’avenir du monde. Le cocktail de l’exploitation de l’Afrique devient ainsi plus explosif à mesure que d’autres puissances, d’autant plus voraces, comme la Chine en font de plus en plus leur réservoir de matières premières et leur déversoir de produits finis. C’est pourquoi, un certain pessimiste est entretenu sur le potentiel d’industrialisation de l’Afrique.
Les africains doivent perpétuellement se poser la question des malheureux sorts infligés à des leaders résistants comme Patrice Lumumba, Thomas Sankara et Khadaffi, pour comprendre que la situation ne changera jamais sans luttes acharnées et sans stratégies. De même que les populations de la zone Franc doivent justement se demander ce qu’il est advenu du projet de monnaie CEDEAO (l’ECO). Oui, comme l’a si bien démontré le Nobel d’économie en 2010 Paul Krugman, la coopération internationale peut être mutuellement avantageuse, puisque chaque Etat a certainement un avantage comparatif à faire valoir quelque part. Le modèle Heckscher-Ohlin-Samuelson introduit le rôle des dotations en facteurs de production, sur lesquelles l’Afrique peut faire valoir des avantages incomparables du fait de ses immenses dotations en matières premières. Mais la pensée dominante chez les leaders occidentaux considère l’échange international comme un jeu à somme nulle, à savoir que ce que gagne l’autre provient forcément de ce qu’on a perdu. Cette conception repose sur des croyances abordées dans la théorie des jeux, suivant la philosophie que le système économique mondial est une jungle où doit régner la loi du plus fort.
L’équilibre du système d’échange international doit être managé de la même manière qu’il faut une régulation sociale à l’intérieur de chaque pays pour combattre les inégalités. Mais même l’Organisation mondiale du commerce (OMC), censée faire cette régulation internationale, se retrouve supplantée et fragilisée par le comportement égoïste des grandes puissances. Le jeu coopératif entre les Etats est donc biaisé par la croyance réciproque, ou unilatérale, qu’une partie sera perdante comme dans un jeu de sport. Loin d’être configuré sous forme de jeu coopératif, l’échange international est abordé selon une dimension de compétition. En théorie des jeux, le dilemme du prisonnier, développé par Tucker (1950), incarne l’idée selon laquelle l’agrégation des préférences individuelles ne débouche pas nécessairement sur un optimum collectif. John Nash, contemporain de Tucker, a théorisé un équilibre dans lequel aucun acteur ne regrette son choix quel que soit le choix de son concurrent.
Une des applications de ce dilemme est la course à l’armement qui oppose les grandes puissances mondiales. L’optimum collectif serait de consacrer les dépenses militaires à autre chose. Mais le désarmement n’est pas une situation équilibrée. Donc pour asseoir sa suprématie, chacun ayant intérêt à s’armer si l’autre pays se désarme. Et si chacun surenchérit dans l’armement, les dépenses et le risque de guerre augmentent. Autrement dit, la stratégie équilibrée (surarmement de tous) n’est pas satisfaisante ; mais la stratégie satisfaisante (désarmement de tous) n’est pas équilibrée. Donc à défaut de favoriser de manière altruiste un minimum de gain pour tous, la recherche du gain maximum par une partie mène à une situation défavorable pour l’autre partie.
La plupart des travaux que le politologue Axelrod a réalisés à partir des années 80 ont porté sur la théorie du comportement coopératif et ils ont largement statué sur la problématique de la réussite dans un monde d’égoïstes. Les expériences effectuées dans ce qui est désigné en théorie des jeux par la Bataille des Nageurs mettent en avant un équilibre de Nash et un équilibre d’Axelrod. L’équilibre d’Axelrod est satisfaisant mais pas équilibré. L’équilibre de Nash est équilibré même s’il n’est pas satisfaisant. Ces expériences ont corroboré le fait que dans un dilemme de prisonnier répété en action motrice, l’agressivité est la clé de la réussite. Dès lors, c’est suivant l’objectif implacable de maximisation des profits dicté par le capitalisme, que le gain égoïste est systématiquement préféré au gain limité altruiste et mutuel pouvant mener à l’équilibre (de Nash). Le monde est ainsi régi par ce modèle d’accumulation du capital, agressif à la fois à l’égard de la nature, des plus faibles et des valeurs morales.
En attendant une formule de gouvernance internationale des échanges pouvant permettre de déjouer ces tendances capitalistes foulant au pied le vrai jeu coopératif, les dirigeants africains doivent ardument combattre deux situations incapacitantes.
1. °) La faiblesse du capital et du secteur privé africains. Il est temps que le secteur privé africain atteigne la masse critique pouvant lui permettre d’assurer l’exécution de l’essentiel des marchés publics et de s’engager dans des exploitations industrielles d’une envergure suffisante pour relever les défis de la compétitivité à travers les rendements d’échelle. Du fait de la faiblesse du secteur privé africain, la logistique commerciale africaine est également un maillon faible (bateaux et compagnies aériennes, notamment) dont l’insuffisance est un point de chantage non négligeable utilisé par les multinationales pour dominer le marché de tous les intrants, dont le maintien de la mainmise sur les matières premières.
2. °) L’absence d’un réseau bancaire et financier à la fois autonome et performant, surtout en Afrique subsaharienne et plus particulièrement dans la zone franc. Les grands marchés publics requièrent des contraintes de capacité qui disqualifient généralement les privés nationaux. En effet, il fait souvent disposer d’une capacité et d’une force de frappe financière suffisante pour contribuer à la célérité des travaux publics. C’est pourquoi, les marchés à centaines de milliards FCFA sont souvent raflés par des multinationales étrangères (françaises, chinoises, turques, etc.) qui, à défaut d’autofinancements, peuvent compter sur un réseau financier approprié. C’est le cas des français qui détiennent la plupart des centres de décision des connexions bancaires dans la zone franc. Les turcs sont accompagnés par des fonds spécifiques, les marocains par la BMCE et les chinois par Exim Bank. Au Sénégal le FONSIS, le FONGIP et la BNDE doivent être renforcés et habilités dans l’accompagnement des entreprises sénégalaises pour l’accès aux marchés publics au Sénégal et ailleurs.
Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste, Consultant international
Enseignant-chercheur à l’Université Iba Der THIAM de Thiès
(elhadjimounirou@gmail.com)