CONTRIBUTION - Le président Macky SALL a encore, comme à l’accoutumée, entrepris une tournée économique qui va le mener au centre et au sud du pays à partir du samedi 29 mai 2021. Le Président SALL va inaugurer le centre hospitalier régional de Kaffrine et la route le reliant Kaffrine à Ngandé. Il va aussi inaugurer lundi 31 mai 2021, l’hôpital régional Amath Dansokho de Kédougou et il procédera à la mise en service d’un système d’alimentation en eau potable.
Rappelons que de 2012 à 2015 le Président Macky SALL a tenu dans la quasi-totalité des régions du Sénégal des Conseils des Ministres décentralisés à l’occasion desquels il avait promis de mobiliser 2500 milliards FCFA. Il avait annoncé, entre autres projets, des investissements de 255 milliards à Kaolack, 127 milliards à Matam, 250 milliards à Louga, 201,9 milliards à Tambacounda, 447 milliards à Thiès, 360 milliards à Ziguinchor, 204 milliards à Kolda.
Ces tournées présidentielles s’inscrivent dans le fonctionnement normal d’un Etat et elles ont été régulièrement pratiquées par les présidents sénégalais depuis Léopold Senghor. Toutefois, leur périodicité obéit généralement à une logique politicienne, puisqu’elles sont souvent déroulées à l’approche d’échéances électorales. Mais pour les Conseils des Ministres décentralisés, il faut reconnaître qu’il s’agissait d’une stratégie appropriée pour rassurer les populations de chaque localité où le candidat Macky SALL s’était rendu et avait formulé des promesses avant son élection en 2012. A défaut d’un approfondissement concret de la décentralisation qui n’a finalement pas été le cas avec l’Acte 3, le Président Macky SALL a inventé des outils d’actions comme le Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC), le Programme d’Urgence de Modernisation des Axes et Territoires frontaliers (PUMA) ou le Programme de modernisation des villes (PROMOVILLE). Ces programmes redondants et présidentialistes, conjugués avec les bourses de sécurité familiale ont, tout de même, généré quelques résultats ayant bien contribué à sa réélection en 2019.
La connotation politicienne de cette démarche, à elle seule, explique le caractère très limité des incidences et des impacts de ces programmes sur l’économie du pays. A part cela, il existe d’autres facteurs explicatifs de la situation économique désastreuse du pays, de la persistance de la pauvreté et de cette grande vulnérabilité de l’économie sénégalaise face aux chocs externes comme cette pandémie de la Covid-19. Si elle ne recule, l’économie du Sénégal stagne depuis les années 80. En 2012, l’incidence de pauvreté était en moyenne de 47% de la population, soit 26% à Dakar, 43,3% dans les autres villes du pays et 57,3% en milieu rural. Les dernières enquêtes montrent que la pauvreté perçue est encore plus importante avec 69% des ménages ruraux se déclarant comme pauvres dont 53,2% qui se considèrent comme très pauvres (ANSD, 2015).
Le constat unanimement partagé est que, les importants projets lancés à Dakar depuis l’Agence nationale pour l’organisation de la Conférence Islamique (ANOCI, 2006) ont eu un effet d’éviction inhibiteur sur les importants autres investissements qui auraient dû être effectués dans les autres localités du Sénégal. De 2006 à 2009, l’ANOCI a mobilisé plus de 400 milliards FCFA à Dakar et 466 milliards FCFA ont été dépensés pour l’Autoroute Dakar/AIBD à partir de 2008. Il faut y ajouter les 738 milliards requis pour le Train express régional (TER), les 32 milliards utilisés pour construire l’Arène nationale, les 66 milliards dépensés pour Dakar ARENA, les 21 milliards déboursés pour la Cité de l’émergence, les 39 milliards pour la réfection du building administratif, les 56 milliards dépensés pour les Sphères ministérielles de Diamniadio, les 65 milliards mobilisés pour le Centre de conférence Abdou DIOUF, les 422 milliards finalement consacrés à l’Aéroport international Blaise DIAGNE (AIBD), les 100 milliards mobilisés pour la Gare des gros porteurs et Dakar Expo Center, les 296 milliards nécessaires à la réalisation en cours du projet Bus Rapid Transit (BRT), les 100 milliards prévus pour le palais présidentiel secondaire et les 100 000 milles logements sociaux dont la majeure partie est programmée pour Dakar et ses environs. La liste n’est pas exhaustive, et si on y ajoute tous les échangeurs construits dans la région de Dakar depuis 2012, on se rend compte qu’en un peu plus de 12 années la capitale sénégalaise a englouti plus de 3000 milliards FCFA d’investissements publics, soit à peu près toute la croissance économique engrangée durant la phase 1 du PSE.
Le paradoxe est que ces faramineux investissements réalisés à Dakar depuis l’ANOCI en 2006, n’a pas changé la situation économique réelle du pays. L’enquête sur la pauvreté de 2014 indique qu’à Dakar 38,2 % de la population se considèrent comme pauvres, soit 12% de plus que les 26,2% d’incidence de pauvreté calculée en 2011. Les investissements effectués à Dakar à partir de 2013 n’ont pas eu un meilleur impact puisqu’en 2019, les nouveaux chiffres officiels montrent que la pauvreté globale dans le pays est encore montée à 37%, alors qu’elle s’était établie à 34% en 2017 (ANSD, 2018, 2020). Et, même si ces projets réalisés à Dakar sont utiles, ils doivent être abordés dans une limite et suivant un arbitrage qui puissent permettre, à la fois, de freiner cette macrocéphalie économiquement stérile de Dakar et de résorber les disparités économiques territoriales. Dakar ne peut pas perpétuellement continuer à engloutir à ce point les fonds publics du pays pour la gestion de ses congestions multiples et incessantes. L’idéal est de financer des villes émergentes et investir dans les autres localités afin de freiner l’exode rural et retenir les populations dans leurs terroirs.
Dans le cadre de ses tournés économiques, le Président Macky SALL est tenu dorénavant de se consacrer résolument à la concrétisation de la philosophie intrinsèque de la phase 2 de l’Acte 3 de la décentralisation. Il s’agit d’aller beaucoup plus loin dans les transferts de fonds qui doivent accompagner les transferts de compétences aux collectivités territoriales et de songer à l’érection de véritables pôles territoriaux de développement. Le Plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT) validé en 2020 contient des propositions très pertinentes en termes de polarisation de l’économie sénégalaise. Dans le court terme, et en attendant de creuser davantage dans le volet économique de la décentralisation, l’Etat doit réviser en profondeur les prérogatives et les moyens des programmes (PUMA, PUDC, Promo-villes, PACASEN) dont les budgets cumulés ne font pas plus de 800 milliards FCFA sur les 5 années à venir, alors qu’une bonne partie de ces budgets ne sort pas de Dakar.
Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste (ehmndiaye@univ-thies.sn)