NETTALI.COM - Retour sur les ruines d’un monument ! On a célébré le 10e anniversaire du 23 juin 2011 sans tirer les bonnes leçons. On a surtout vu ou entendu, à l’occasion des festivités, de nouvelles stars, sorties d’on ne sait où, se tambouriner la poitrine, à longueur de plateaux télé. Pour dire quoi ? Pour rappeler au monde entier que ce fait d’histoire qui, en vérité, a engagé la pente raide vers la chute du régime de Me Abdoulaye Wade, porte leur signature. “Kou nek naan mana’’ !, pour reprendre un refrain de “Pape et Cheikh’’.
Les fausses déclarations d’amour ont gâté la fête. Mais puisque nous sommes au Sénégal, faisons preuve de tolérance, passons l’éponge ! N’est-il pas, en effet, fréquent de constater que même dans les cérémonies de deuil, certains troubadours viennent casser l’ambiance en convoquant des amitiés et relations avec le défunt qui n’existent en réalité que dans l’imaginaire de ces “comédiens’’ professionnels ? Il s’agit là d’une petite ruse de culture, qui consiste à s’octroyer un
statut qu’on n’a pas eu et de jouer donc un faux rôle. L’objectif est, en général, de redorer son blason terni ou de ramasser quelques liasses.
L’histoire du 23 juin 2011 se répète tout en “comédie’’. En tragédie, devrait-on dire. Car, l’espace public s’est “guignolisé’’, comme le prouvent à souhait les scènes qui se sont donné à voir à l’Assemblée nationale, 48 heures seulement après avoir soufflé la 10e bougie de cette date-phare de l’histoire politique de notre jeune nation. Aujourd’hui, la situation est si grotesque qu’on se croirait dans un monde irréel. Et ce que nous avons vu et surtout… entendu (les acteurs auraient facilement pu monter sur le podium mondial de concours d’injures) semblent plutôt relever d’une fiction théâtrale. On a même vu Ousmane Sonko, qui aspire pourtant à la magistrature suprême, se glorifier d’avoir cassé la g… à un député de la majorité qui a osé s’attaquer à lui. Or, pour peu qu’on ait un peu d’intelligence politique, c’est plus le fait de se faire agresser qui donne des dividendes politiques et non l’inverse.
Que dire de cette bien “coquette’’ députée de la majorité, bien plantée sur des “kokettes’’ et habillée comme Diouma Dieng Shalimar, sortir de sa bouche des insanités que seule la pudeur nous empêche de retranscrire ici ?
Ce pays a donc bien changé. Dans le mauvais sens du terme. Les acteurs politiques ont changé. Les méthodes politiques aussi. Et le discours baveux révèle tout cela. On l’a répété à longueur d’éditoriaux, mais la répétition n’est-elle pas pédagogique ? Cette mise en scène des injures, la culture de la haine, ce refus des différences et ce dogmatisme digne des âges les plus sombres, n’a rien à voir avec l’esprit du 23 juin 2011.
C’est l’intelligence qui avait pris la place Soweto. Je me rappelle avoir rencontré beaucoup de cadres dont l’actuel directeur général d’une société nationale – pantalon jean et casquette bien vissée – venu dire non. “EnQuête’’ avait barré sa Une d’un “Non’’ qui avait fini par transformer le journal en… tract pour "Y en a marre".
L’esprit du 23 juin, c’est que ce jour n’est pas tombé du ciel. C’était bien le fruit mûr d’un processus mené avec une très grande finesse par l’opposition d’alors et la société civile. C’est le consensus et l’éthique discursive qui avaient prévalu, loin du bruit. Dans la transpiration à la physique et cérébrale. Les Assises nationales, faut-il le rappeler, avaient fini de produire leurs conclusions au terme d’un travail titanesque de franges entières de la société, dans une approche inclusive.
Ce serait donc une très grosse erreur de créer des passerelles fictives entre la situation d’alors et celle d’aujourd’hui. Le tableau présent est, en réalité, aux antipodes de juin 2011. Les plus valeureux fils de ce pays se terrent. Puisque le “terrorisme’’ est devenu de mode au Sénégal. Le vrai terrorisme, c’est celui-là même qui enfante la censure, casse les langues et les plumes. Il conduit l’intelligence dans une posture dangereuse : la fuite en avant. Plonger la tête dans le noir de la terre, à l’image de l’autruche, pour ne plus voir la réalité. C’est réellement une posture qui s’apparente à une fuite de responsabilité et dont la racine est la peur. Peur de se faire trainer dans la boue des réseaux sociaux. La peur est toujours mauvaise conseillère et ultimement, elle est l’ennemie de la liberté et donc de la démocratie.
Et la peur ne garantit point la survie. Le feu peut couver sans qu’on ne s’en rende compte. Et comme il n’a pas de frontière, il peut tout avaler. Même les plus sages !