NETTALI.COM – Dans un entretien avec Enquête, diffusé ce mercredi, le philosophe Souleymane Bachir Diagne analyse les contrecoups néfastes du Coronavirus. Il étudie les aspects de la pandémie liés au sort de la jeunesse et se prononce sur les théories négationnistes.
A la question de savoir s’il faut juste donner du pain aux jeunes pour les calmer, chaque fois qu’il y a des violences, le philosophe pense qu’il y a nécessité à recentrer la stratégie ou les stratégies pour donner une direction beaucoup plus innovante et intelligente par rapport à l’avenir. « Saupoudrer les problèmes d’un peu d’argent, ici ou là, pour calmer les choses, ne sert à rien. C’est la raison pour laquelle, si je reviens à ce que je disais sur la capacité d’anticipation, aujourd’hui, nous sommes arrivés au moment où nous avons besoin de politiques visionnaires sur le long terme, de politiques de jeunesse qui soient des politiques d’anticipation et de vision sur le long terme », conseille ce grand intellectuel, non sans préciser : « Revenant à un aspect de notre discussion sur le tribalisme et la fragmentation politique aujourd’hui, s’il y a un secteur sur lequel des consensus doivent pouvoir se bâtir, c’est celui de l’éducation et de la formation. L’idée est qu’on doit partager une même philosophie générale de l’éducation et de la formation, quelles que soient les différences, les nuances que tel ou tel parti politique va apporter. D’ailleurs, ce serait une excellente chose qu’il y ait, en la matière, une compétition démocratique sur la meilleure manière de remplir le contrat que commande cette vision. Mais il est clair qu’il faut avoir une politique de jeunesse dans une direction déterminée ainsi qu’une politique de formation. Il faut, par exemple, reconnaître que nos systèmes éducatifs sont au fond du gouffre. Il faut quand même dire les choses telles qu’elles sont. Il faut voir les manières de redresser cela, parce que la fabrique de l’avenir se trouve là. Cela commande une vision à long terme. Peut-être que les compétitions démocratiques qui visent toujours le court terme, la prochaine victoire à remporter, etc., ne sont pas toujours le cadre idéal pour prendre le temps de réfléchir, d’être d’accord sur tout, de construire un consensus pour les directions qu’il faut faire prendre à notre politique de formation et d’éducation ».
Souleymane Bachir Diagne qu’il faut s’y atteler, car c’est « l’urgence même ». « Ce sont des questions à long terme, au sens où les réformes qu’on peut introduire dans un système d’éducation sont des réformes qui, par définition, vont commencer à donner véritablement leurs fruits au bout d’une génération. Mais le fait que les fruits vont être cueillis plus tard ne signifie pas que l’action, elle, n’est pas urgente. Elle est urgente et d’autant plus à prendre aujourd’hui que les fruits vont se manifester plus tard », dira-t-il.
Au sujet des théories du complot portées sur le Coronavirus, et qui épousent des aspects négationnistes, le professeur explique : « La pandémie nous découvre beaucoup de choses, comme je l’ai déjà dit. Elle nous découvre malheureusement le degré d’irrationalité qui peut être le nôtre, lorsqu’il s’agit de faire face à des défis sans précédent comme celui-là. Quand on constate ce que les gens peuvent croire, le genre de discours complotistes qui circulent, on se dit comment des êtres rationnels peuvent croire des choses pareilles ? Justement, au nom du complot, l’idée selon laquelle il y a toujours des puissances mystérieuses, sombres, cachées qui nous veulent du mal, a favorisé l’idée absurde selon laquelle c’est un complot des Européens pour nous supprimer, nous autres Africains, et venir prendre l’Afrique à notre place. C’est insensé, mais on se dit que si ça continue à circuler, c’est que ça marche. Il y a des gens qui peuvent se mettre à penser ainsi. Il faut donc sérier les choses et voir dans quels cas l’irrationalité est telle qu’on se demande quel discours pourrait lui être opposé et d’autres cas, au contraire, où l’on a des formes de réticences, par exemple devant la vaccination. Ce sont, malgré tout, des formes rationnelles ».