NETTALI.COM - Six ans après la disparition tragique du 6V-AIM de Senegalair ayant coûté la vie à sept passagers, l’enquête reste au point mort, malgré les conclusions accablantes du Bureau d’enquête et d’analyse. Par devoir de mémoire, des spécialistes ont saisi ‘’EnQuête’’ pour réclamer justice.
Cela fait déjà six ans. Aucune responsabilité située, malgré des conclusions accablantes du Bureau d’enquête et d’analyse (BEA). Aujourd’hui encore, les présumés responsables continuent de vaquer tranquillement à leurs occupations. Pourtant, selon certains experts comme Al Hassan Hane, ancien chef de maintenance de Senegalair, les manquements de certaines autorités et structures ont été manifestes dans cet accident. Il se désole de l’inertie des autorités judiciaires : ‘’C’est vrai que des accidents, il y en a toujours eu et on continuera d’en avoir. Mais ce qui s’est passé dans ce cas de figure, c’est inédit et extrêmement grave. Les autorités ont été alertées des manquements de la compagnie et sur ce même vol, bien avant cet accident tragique. Il y a eu des rapports, des inspections qui ont eu à clouer les avions de la compagnie pendant deux ans. Pire, il y a même eu des accidents avec le même avion. L’Asecna avait alerté l’Anacim pour le même problème d’altimètre qui a conduit à l’accident tragique… Mais je me demande si quelque chose a été fait.’’ Ainsi, commente le spécialiste, ce drame avait un caractère un peu inédit et a affecté gravement l’image de marque de l’aviation sénégalaise.
De plus, analyse l’expert, les circonstances de l’accident étaient tout aussi exceptionnelles. Il explique : ‘’Le fait que ce soit un accident qui commence par un abordage en l’air avant de se terminer par une disparition, c’est rarissime, pour ne pas dire inédite au niveau de l’aéronautique mondiale. Il fallait vraiment aller jusqu’au bout et faire montre d’une rigueur sans faille. C’est important pour l’image de notre pays et pour la sécurité des voyageurs.’’
Bouclées depuis 2017, les enquêtes avaient permis d’inculper un certain nombre de personnalités dont l’ancien directeur général de l’Anacim, placé par la suite sous liberté provisoire par les autorités judiciaires avec ses coinculpés. Depuis, c’est le statuquo. Rien n’a bougé dans ce dossier qui a pourtant coûté la vie à sept passagers dans des circonstances encore pas totalement élucidées. Parmi eux : trois membres de l’équipage (deux Algériens et un Congolais), la patiente française et trois Sénégalais : un médecin et deux infirmiers. Courroucé par le sort qui s’en est suivi, M. Hane peste : ‘’C’est extraordinaire cette légèreté. Juste avant l’accident, il y a eu un autre incident avec le même vol de Senegalair. Alerté, l’Asecna avait fait un rapport et saisi l’Anacim. C’était à cette dernière de mener une inspection. Cela a-t-il été fait ? On ne saurait le dire. Toujours est-il que cet appareil a quitté son niveau de vol pour venir retrouver le vol de Ceiba, la compagnie équato-guinéenne. L’outil qui était responsable de cette donnée était défectueux et devait faire l’objet d’une inspection. Et cela a été signalé bien avant.’’
En plus de l’Anacim et de la compagnie Senegalair, la tour de contrôle de l’aéroport n’est pas non plus exempte de reproche, selon Al Hassane Hane, qui espère que l’Asecna a pris les mesures qu’il faut pour parer à de tels drames à l’avenir. C’est tout l’enjeu de la procédure judiciaire qui aurait permis, selon lui, de déterminer les responsabilités des uns et des autres. ‘’Il s’agit d’une catastrophe aérienne extrêmement préjudiciable à l’image de marque de l’aviation sénégalaise. Il y a eu des manquements et négligences manifestes. Il fallait prendre des mesures pour éviter que cela ne se reproduise’’. Selon lui, cet accident a montré que le Sénégal n’est pas à l’abri de nouveaux drames, même évitables. ‘’Tant que l’enquête n’aboutit pas, tant que les coupables ne sont pas jugés, il ne faut pas croire que le Sénégal soit à l’abri de telles menaces. Tout le monde doit être sensibilisé pour que pareille chose ne se produise plus’’, souligne-t-il.
Quoique très explicites sur les responsabilités de Senegalair et de l’Anacim, les enquêteurs semblent avoir carrément éludé les responsabilités de Ceiba. Selon certains acteurs de l’aviation, le Boeing de la compagnie équato-guinéenne serait coupable au moins du délit de fuite.
Après l’accident, en effet, au lieu d’atterrir dans l’aéroport le plus proche, l’avion a filé vers sa base. ‘’Concernant la compagnie aérienne équato-guinéenne Ceiba Intercontinental, il n’y a rien à signaler. Tout est parfait. Le BEA Sénégal a certainement oublié de signaler que la compagnie aérienne Ceiba est interdite de vol dans toute l’Europe et aux Etats-Unis, depuis le 11 avril 2008’’, constatait l’ancien responsable du contentieux à l’Asecna, Djibril Ba, dans une tribune publiée dans ‘’EnQuête’’. Ce n’est pas tout. D’après le spécialiste à la retraite, le BEA Sénégal a surtout omis de signaler, dans son rapport final, tout ce que la compagnie aérienne Ceiba et ses pilotes ont fait et qu’ils ne devaient pas faire. ‘’Qu’il s’agisse du délit de fuite ou des manœuvres ayant abouti à l’effacement des enregistrements de bord… Tout semble avoir été fait pour empêcher la manifestation de la vérité’’, dénonce-t-il. Le jeudi 17 septembre 2015, soit une dizaine de jours après l’accident, rappelait-il dans sa tribune, deux enquêteurs français, déployés par Paris, se sont rendus à Malabo pour inspecter le Boeing 737 de la Ceiba, avant d’entendre l’équipage de l’avion, notamment.
La réaction des autorités équato-guinéennes n’avait pas tardé deux jours plus tard… A la place de ‘’fuite’’, elles ont préféré parler d’un "sang-froid" du CDB, avant de préciser : "Le pilote n’a pas fui. Il a fait le meilleur choix, en retournant à Malabo pour nous éviter des dépenses supplémentaires. S’il avait continué vers Cotonou, l’avion y serait immobilisé et nous serions obligés de payer des droits de stationnement. D’ailleurs, le pilote sera décoré prochainement par les autorités équato-guinéennes." Ainsi, lance-t-il, pour éviter de payer de l’argent, ce commandant n’a pas hésité à mettre en danger la vie de ses passagers, en se dirigeant vers Malabo et non vers l’aéroport le plus proche. Le spécialiste trouve curieux le fait que la compagnie n’ait pas du tout été épinglée par les enquêteurs.