NETTALI.COM – Nos gouvernants se préoccupent-ils assez de l’image du Sénégal ? Entre ces histoires de trafic de faux billets et de passeports diplomatiques ainsi que de carnets de vaccination et de faux médicaments dénoncés ça et là, difficile de répondre par l’affirmative. Le pire, c’est lorsqu’est perçue, une sorte d’impunité ou de punition pas assez contraignante.
La diffusion d’une vidéo montrant le député Seydina Fall Bougazelli en train de dire : « je suis foutu… comment on va gérer la situation… » a quelque chose d’inquiétant, même si ce dernier a tenté à son tour d’accabler les gendarmes, nous disant que ce sont eux qui lui auraient proposé le « règlement à l’amiable ». La vidéo diffusée aurait été coupée. Evidemment qu’on peut imaginer qu’il y ait des passages avant. Mais à voir le député avec la peur au ventre, difficile d’imaginer que ce qu’il a dit, corresponde à la réalité. Toujours est-il qu’il avait été placé sous mandat de dépôt dans le cadre de cette affaire.
Suite à «fuite», la hiérarchie de la gendarmerie n’avait pas tardé à réagir. Elle a ainsi ouvert une enquête interne confiée au Colonel Cheikh Sarr, commandant de la Légion Centre-Ouest basée à Thiès. Mais déjà, dans la Maréchaussée, on soutient que les hommes de tenue qui ont procédé à l’arrestation de l’ex-député n'ont rien fait d'illégal. Ils ont fait leur travail en décidant de filmer Bougazelli qui tentait de les corrompre. Un enregistrement qui a été mis dans une clé USB et versé dans le dossier transmis au procureur de la République.
Effectivement, dans le cadre d’une enquête, les officiers de police judiciaires ont le droit de procéder à tout acte susceptible de les aider à recueillir des indices de nature à motiver l’inculpation d’un mis en cause. Que ce soit en recueillant des éléments matériels, des enregistrements, des photos, des témoignages… Mais tout cela, en réalité, devrait rester secret, le Procureur de la République, maître des poursuites et leur patron en matière de procédure judiciaire, devrait être le seul destinataire de tout ce qui a été recueilli dans le cadre d’une enquête et qui ne valent qu’à simple titre de renseignement, comme en dispose le Code de procédure pénale sénégalais.
D’ailleurs, l’article 11 du Code de procédure pénale dispose que «la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction, est secrète». Et que «toute personne qui concourt à cette procédure, est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines de l'article «363» du Code pénal».
C’est pourquoi, dans le cadre de l’affaire Bougazelli, la question n'est pas finalement de savoir pourquoi les gendarmes ont filmé l'ex-député, mais plutôt de savoir qui a fait fuiter cet enregistrement pris dans le cadre d'une enquête. En effet, suivant les dispositions de l’article 363 du Code pénal, toute personne qui révèle un secret professionnel, sera puni «d'un emprisonnement d'un an à six mois et d'une amende de 50.000 à 300.000 francs».
Autrement dit, même si l’ex-député devrait répondre des faits de trafic de faux billets qui lui sont reprochés et devrait être sanctionné si sa culpabilité est avéré, le gendarme (ou parquetier) qui a fait fuiter la vidéo de son arrestation, devrait également être sanctionné sur la base des dispositions de l’article 363 du Code pénal.
Rappelons que Seydina Fall Bougazelli, a été emprisonné dans le cadre d’une affaire de trafic de faux billets pour laquelle, il a obtenu une liberté provisoire.
Mais une chose est claire. Si l’affaire Bougazelli n’a pas ému une certaine opinion qui ne l’a pas vu comme une victime, mais plutôt comme un privilégié, c’est parce qu’il n’a pas duré en prison, malgré les lourdes charges retenues contre lui. Il faut savoir que le trafic de faux billets était considéré comme un délit jusqu’au 13 février 2018, le jour où les députés ont voté à l’Assemblée nationale une nouvelle loi qui criminalise la détention de faux billets. La peine prévue est de 5 à 20 ans de travaux forcés. Ironie de l’histoire, Bougazelli, en tant que député, avait voté cette loi criminalisant le trafic de faux billets.
En effet, en comparaison avec les cas Thione Seck et Ngaka Blindé, il est difficile de ne pas ressentir cela. Placé sous mandat de dépôt le 22 novembre 2019 pour association de malfaiteurs, corruption et trafic de faux billets de banque, Bougazelli avait obtenu une liberté provisoire le 3 juin 2020, soit après moins de 7 mois d’incarcération, là où les chanteurs Thione Seck et Ngaka Blindé avaient passé, respectivement, plus de 8 mois et un an de prison pour la même incrimination.
La publication de la vidéo mettant Bougazelli en scène lors de son arrestation, a suivi celles montrant Kilifa et Simon filmés dans le cadre d’une transaction liée à une histoire de passeports qui leur ont valu un mandat de dépôt.
Ce qui a certainement obligé le ministre de la Justice, Me Malick Sall, à faire une sortie pour dire que Bougazeli n’a pas encore été lavé de tous soupçons, il a juste, a-t-il soutenu, obtenu une liberté provisoire. «Sans interférer dans la procédure judiciaire suivie contre le sieur Seydina Fall, surnommé Bougazelli qui est toujours entre les mains du magistrat instructeur, le ministère de la Justice rappelle que la liberté provisoire lui a été octroyée suite à sa demande, comme le prévoit la procédure. Les investigations suivent leur cours, à charge et à décharge, à la fin desquelles, la décision sera prise ou non, de le traduire devant la juridiction de jugement le cas échéant », a noté le ministre de la Justice dans un communiqué.
Et pour couper court aux spéculations, il a en effet ajouté que «toutes autres informations et interprétations sur la décision de mise en liberté et sur la suite qui sera donnée à l’affaire, relèvent d’une spéculation gratuite ».
Toujours est-il que même si on peut trouver beaucoup de choses à redire sur la manière dont Bougazelli a été libéré, en aucun cas, ses droits ne doivent être bafoués, la vidéo de son arrestation ne doit pas se retrouver sur la place public. Bougazelli a d’ailleurs annoncé une plainte contre le gendarme qui l’a filmé.
Idem pour celui qui a filmé Kilifeu et Simon avant de faire fuiter les vidéos. Lui aussi, au-delà des incriminations retenues contre lui et qui lui valent une arrestation au même titre que les rappeurs, pourrait voir son dossier corsé.
En effet, la loi 2016-29 du 08 novembre 2016 a ajouté un article 363 bis dans le code pénal Sénégal. Et ce texte punit «d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 500.000 francs à 5.000.000 de francs celui qui au moyen d’un procédé quelconque, porte volontairement atteinte à l’intimité́ de la vie privée d’autrui en captant, enregistrant, transmettant ou diffusant sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, en fixant, enregistrant, transmettant ou diffusant, sans le consentement de celle- ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé».
Vraisemblablement, Kilifeu et Simon ont été piégés et peuvent valablement, sur la base des dispositions de l’article 363 bis du Code pénal, se retourner contre celui qui a monté ce traquenard. Malgré tout, personne ne peut reprocher au procureur de la République de se baser sur une vidéo montrant les deux rappeurs commettre une infraction à la loi. Le Procureur, en tant que «maître des poursuites» peut, en effet, s’autosaisir et enclencher des poursuites, suivant les dispositions du Code de procédure pénale, lorsqu’il a connaissance, par tout moyen, d’un fait délictuel ou criminel. Il n’a pas besoin de preuves, des indices lui suffisent. C’est au niveau de la juridiction de jugement que des preuves sont exigées pour condamner un inculpé.
Une chose est donc pour Kilifeu, Simon et Bougazelli de répondre des faits qui lui sont reprochés, une autre chose est de faire respecter leurs droits.
Une affaire dévastatrice pour l'image du Sénégal
Mais il n y a pas que ces deux affaires là, puisque beaucoup tentent d’établir des liens entre l’affaire Simon/Kilifa et l’affaire des passeports des députés dans laquelle Condé a été placé sous mandat de dépôt. Or, rien ne lie les deux dossiers. Seulement, c’est le rythme que prend la gestion du dossier des députés qui interpelle une certaine opinion qui voit une tentative de ralentir la procédure au sein de l’hémicycle et une manière de l’étouffer. Et pourtant dans l’affaire Ousmane Sonko, l’Assemblée nationale avait fait preuve d’une certaine diligence pour lever l’immunité parlementaire du député.
C’est sans doute pour lever toute équivoque que Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale a cru devoir publier un communiqué pour faire comprendre que les lenteurs ne se situent pas à son niveau. «La levée de l’immunité parlementaire obéit à une procédure définie, avec précision, par la Loi organique tenant lieu de Règlement intérieur de l’Assemblée nationale», lit-on dans un communiqué.
En clair, notent les services de Moustapha Niasse, l’Assemblée nationale doit être saisie par «une lettre du Garde des sceaux, ministre de la Justice, transmettant une demande du Procureur général près la Cour d’appel de Dakar, lui-même saisi par le procureur de la République» pour demander la levée de l’immunité parlementaire d’un ou plusieurs députés. Une manière de dire que que si Me Malick Sall avait fait montre de la même célérité que dans l’affaire Sonko, cette affaire des députés impliqués dans une affaire de trafic de passeport serait pliée depuis belle lurette.
En tout cas, assure Moustapha Niasse, «l’Assemblée nationale remplira toutes ses missions, en la matière, en temps opportun, lorsque toutes les conditions prévues par la Loi seront réunies. Dans trois semaines, la Session ordinaire unique 2021-2022 sera ouverte. Si entre-temps le Garde des sceaux, ministre de la Justice, saisit le président de l’Assemblée nationale pour la levée de l’Immunité parlementaire de députés, le Bureau se réunira immédiatement et la procédure appropriée sera engagée».
Une affaire dénoncée par Seybani Sougou, juriste sénégalais établi en France qui, dans un courrier adressé au Quai d’Orsay, révèle que “la délivrance frauduleuse de passeports diplomatiques entache la crédibilité de l’État du Sénégal, nuit à l’image de la diplomatie sénégalaise et crée un climat de suspicion à l’endroit des bénéficiaires de passeports diplomatiques délivrés en bonne et due forme. Les citoyens sénégalais sont les premières victimes des agissements des députés-passeurs."
A sa Une du mardi 28 septembre, Libération" qui a barré : «31 faux mariage "célébrés"», a également fourni quelques détails, notamment "34 copies des passeports diplomatiques de Mamadou Sall, Boubacar Biaye et Sadio Dansokho " et les connexions entre ces présumés faussaires qui dateraient de longtemps, dans une histoire de "dépôts de passeports pour des visa Schengen"... De quoi vraiment s'étrangler.
Au-delà est posée la question de la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Délivre-t-il juste sur la base des demandes ? Exerce-t-il des contrôles avant délivrance ? Autant de questions que les profanes en la matière sont en droit de se poser.
La balle est donc dans le camp qui on sait.