NETTALI.COM - Que peuvent encore espérer les Africains francophones de leurs rapports avec la France ? Difficile de savoir. Le temps en tout cas passe et ce qui ressemble à un mariage forcé, emprunte des formes variées, mais les unes plus subtiles que les autres. Question de montrer que l’étau se desserre et que l’étreinte est de moins en moins forte. Radioscopie d’une relation historique, inégalitaire, mais surtout injuste.
Qui encore pour croire aux vertus de la relation franco-africaine ? Le rapport qu’entretient l’ancienne puissance colonisatrice avec l’Afrique francophone agit comme une sorte d’injection en vue de calmer la douleur, à chaque fois que des vagues de protestations s’élèvent. Mais le mal n’en est pas pour autant soigné, tant il persiste. La preuve par les récentes critiques sur le FCfa initiées par un certain nombre d’intellectuels, d’activistes et d’économistes africains. Le résultat a été le changement de dénomination, passant de celui de franc CFA à Eco, en plus de quelques ajustements mineurs, mais avec toujours la même garantie et la même convertibilité. Ce qui signifie que les fondements de cette relation reste encore plus insidieuse et plus paternaliste.
L’histoire de cette relation foisonne d’épisodes malheureux et d’anecdotes qui montrent le peu de considération des présidents français vis-à-vis de leurs pairs africains. Telle l’attitude de Nicolas Sarkozy à l’Université de Dakar en juillet 2007, à un moment où, semble-t-il, il voulait inciter l’Afrique à faire un sursaut d’orgueil pour «entrer dans l’histoire». Ironie de l’histoire, le discours est le révélateur d’une méconnaissance totale de l’Afrique. En même temps d’une preuve de la condescendance par son côté très moralisateur, voire même raciste, au regard des thèses hégeliennes empruntées pour l’occasion.
L’on se souvient également de cette fameuse visite du président français au Burkina Faso en novembre 2017. Ce jour-là, le président Kaboré avait quitté la salle au moment où Macron s’adressait aux étudiants, alors que l’électricité venait de partir. « Vous me parlez comme si j'étais le président du Burkina Faso! Mais je ne veux pas m'occuper de l'électricité dans les universités au Burkina Faso, c'est le travail du président », avait-t-il lancé auparavant comme s’il le jetait en pâture dans le but de le ridiculiser, en désignant Roch Marc Christian Kaboré, avant que celui-ci ne s’éclipse discrètement. « Il va réparer la clim », avait ajouté Macron sur un ton ironique. Méconnaissance de l’humour africain ? Ou moquerie ? Kaboré avait aussi sa responsabilité dans l’affaire. Il aurait dû faire veiller à ce que pareille situation ne se produise même dans un contexte d’insuffisance de la fourniture d’électricité dans le pays.
Un incident pas mal commentée à l’époque pour le paternalisme jugé excessif du Français qui, semble-t-il, avait fort embarrassé Marc Roch Kaboré. « Nous plaisantons ! Cela l'a fait rire, tout ça est ridicule ! Le rire est une relation d'égal à égal », avait-il expliqué sur France 24 / RFI, comme pour calmer le jeu et atténuer la polémique. Lors d'un point de presse à Abidjan, en marge d’un sommet Europe-Afrique, Emmanuel Macron était même revenu sur le sujet sans doute embarrassé : « considérer qu'on ne peut pas faire de l'humour avec un dirigeant africain, ce serait étrange. J'en fais avec des dirigeants européens, je considère le président Kaboré de la même façon. Le président burkinabé était très heureux de l'échange que nous avons eu avec les étudiants, très heureux de la relation que nous avons, et je peux vous dire, choqué par rien ». Sur Twitter, Thierry Hot, le conseiller du président Kaboré, avait ainsi indiqué : « pour ceux qui n'ont pas eu la bonne information, pendant le discours d'Emmanuel Macron, le président Kaboré s'était éclipsé juste pour une petite pause technique avant de revenir dans l'amphi ».
Ainsi vont les relations franco-africaines. En atteste la très récente, incendiaire et violente charge de Macron contre Choguel Maïga. Figurez-vous qu'il est allé jusqu’à qualifier de « honte », les accusations d' « abandon » du Mali par la France portées par le Premier ministre de transition, à la tribune de l'ONU. « J'ai été choqué. Ces propos sont inacceptables (...) Alors que nous avons présidé à l'hommage national au sergent Maxime Blasco (tué au combat au Mali, ndlr), c'est inadmissible. C'est une honte et ça déshonore ce qui n'est même pas un gouvernement », avait-il déclaré. Ajoutant : « Je sais que les Maliens ne pensent pas ça ».
Emmanuel Macron ne s’en était pas arrêté là, il s’était dans la foulée permis des comparaisons avec d’autres présidents africains, estimant que l’instabilité politique malienne "n'est pas une fatalité", citant l'exemple du Niger, pays voisin du Mali, où il y a « un président courageux, le président Bazoum, après un autre président courageux, le président Issoufou, qui font le maximum, se battent pour leur peuple, l'éducation, la santé... », précisant qu’ « ils font un travail admirable ».
Paris répondait ainsi aux propos du Chef du gouvernement malien Choguel Kokalla Maiga qui avait ainsi déclaré : « l’annonce unilatérale du retrait de Barkhane et sa transformation n’ont pas tenu compte du lien tripartite qui nous lie, c’est-à-dire l’ONU et le Mali en tant que partenaires engagés avec la France sur le front de la lutte contre les facteurs de déstabilisation (…) Aussi, la nouvelle situation née de la fin de l’opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et les moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autre partenaires, de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer par la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le Nord de notre pays ».
En outre, le gouvernement malien avait déclaré dans un communiqué, en invoquant que dans l’exercice de sa « souveraineté » et « le souci de préserver son intégrité territoriale », qu’il « ne permettra à aucun Etat de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il peut solliciter ou pas ».
Pour sa part, la ministre des Forces armées françaises, Florence Parly, avait indiqué que le Mali perdrait le « soutien de la communauté internationale » et abandonnerait des « pans entiers de sa souveraineté » s'il fait recours aux mercenaires de la société privée russe Wagner.
Des attaques par presse interposée qui ont surtout conduit à une escalade verbale, à tel point que Bamako avait été obligé de convoquer l'ambassadeur de France après les propos jugés « regrettables » du président Emmanuel Macron à l'encontre de la junte militaire. Au Sahel, où elle intervient militairement depuis 2013 contre les groupes jihadistes, la France a entrepris en juin de réorganiser son dispositif militaire avec une réduction de ses effectifs d'ici à 2023 à 2.500-3.000 hommes, contre plus de 5.000 aujourd'hui.
Des échanges verbaux qui interviennent dans un contexte où les Français voient leur influence contestée au Mali, notamment par la Russie. Après, la diplomatie s’était mise en oeuvre pour calmer le jeu après les intimidations de la France et l’appel adressé aux dirigeants de la junte afin "qu'ils respectent leurs engagements : qu'en février, il y ait des élections, qu'ils arrêtent de mettre en prison les opposants politiques, qu'ils fassent leur travail, c'est-à dire le retour de l'Etat, ce qu'ils ne font pas depuis des mois".
Sommet France-Afrique de Montpellier : la rencontre inédite
Mais comment décrypter ce nouveau sommet Afrique-France qui s’est ouvert, ce vendredi 8 octobre à Montpellier pour s’achever le samedi 9 octobre ? Ils étaient autour de 3 000 personnes, dont 700 en provenance d’Afrique, à y participer. L’Elysée avait choisi de repenser l’exercice, jugeant l’ancien format « obsolète ».
Les médias internationaux français (France 24, RFI et TV5 Monde) ont largement couvert le sujet. Sur TV5 Monde, il est fait état d’un sommet où n’ont pas été invités les chefs d’Etat. A la place, avance-t-on, la France a invité ce qu’elle appelle « les acteurs du changement que sont la jeunesse, la diaspora, des entrepreneurs et la société civile », ajoutant que « des tables rondes, des ateliers, seront menées à travers 6 grands thèmes : engagement citoyen et démocratie, entreprendre et innover, enseignement supérieur et recherche, culture et patrimoine, industrie culturelle et créativité, sport et développement. »
La chaîne française renseigne dans la foulée que « le temps fort sera la séance plénière, le moment d’échange entre la jeunesse africaine et le président Macron. » avec le commentaire selon lequel des critiques n’ont pas manqué. De celles qui sont recueillies, Dominique Tchimbakala, envoyée spéciale de la chaîne à Montpellier, a renseigné qu’elles ont été de plusieurs ordres : entre un sommet vu par certains comme une manière de délégitimer les états pour raisons de mauvaise gouvernance de certains dirigeants dans certains pays ; le fait que les mouvements les plus importants de la société civile, tels que Y en a marre au Sénégal ou Loutcha au Cameroun, n’aient pas été conviés ; et un nouveau sommet vu comme le signe d’une Françafrique pas encore finie, mais plutôt son renouvellement porté par le monde de l’entreprise et par une forme de néocolonialisme libéral.
Un sommet vu finalement comme une action de communication et une opération de charme vis-à-vis de la jeunesse africaine. Pour d’aucun cela est allé au-delà puisqu’il s’agissait d’un show d’Emmanuel Macron, dans une Afrique où une grande cassure est notée entre les dirigeants fortement discrédités et la jeunesse en quête de liberté, de démocratie et de vie meilleure. C’est en effet, connu que le président Macron affectionne les échanges directs dans la communication. La preuve, il a eu des déboires lors d’un bain de foule en France en recevant une gifle. Il y a surtout chez lui, une volonté notée de toujours chercher à créer de l’empathie avec un public avec lequel, il semble s’identifier au regard de sa jeunesse. Mais les Africains ne sont pas si dupes que cela pour croire que la solution à leurs problèmes viendra de ce sommet-là. Elle viendra d’eux-mêmes.
Sa réaction vis-à-vis du Premier ministre malien, montre tout simplement que la France se croit en territoire conquis en Afrique et dès lors qu’elle sent qu’elle perd pied, son côté paternaliste se fait aussitôt ressentir. Imaginez une seconde que Macky Sall ou Ouattara s’adresse à la jeunesse française, au nez et à la barbe de Macron ! Ils n’oseraient même pas, même si on peut arguer qu’il ne s’agit pas du même niveau de puissance financière. Il n’y a, en réalité, pas que l’économie dans la vie, il y a aussi le respect et les égards dus à chaque pays qui a droit à sa dignité et à sa considération. L’un des attributs de tout Etat, d’ailleurs, c’est sa souveraineté.
Difficile tout de même, au-delà de considérations éthiques et d’équilibre, de reprocher à Emmanuel Macron de jouer son rôle de président de la France en défendant les intérêts de son pays. Lors d'une séance plénière sans complaisance, mais avec humour, les onze jeunes – malien, burkinabé, marocain, kényan, camerounais, sénégalais… – invités à dialoguer avec lui, ce dernier aura essuyé beaucoup de critiques. Ils ont notamment fustigé le « néocolonialisme », « l'arrogance » ou le « paternalisme français », le « soutien à des dictatures », « les interventions militaires », le vocable d' « aide au développement ».
Entre autre prise de parole qui a marqué cette rencontre, c’est celle d'Aliou Bah, jeune Guinéen, qui a interpellé le président Macron sur les ambiguïtés de Paris vis-à-vis des troisièmes mandats. A l’interpellation du blogueur sénégalais Cheikh Fall, appelant la France à « demander pardon au continent africain » pour les crimes de la colonisation, Emmanuel Macron répondra qu’il ne croit pas à une politique de pardon mais de reconnaissance, une politique qui doit mettre en place un processus de mémoire et d’histoire commune »
Bref un exercice qui ressemblait plus à une séance d’exorcisme, une séance thérapeutique pour les jeunes Africains, dans une relation malheureusement bilatérale entre la France et les chefs d’Etat d’Afrique francophone. Ils pourront se vanter, ces jeunes d'avoir franchement parlé à Macron, mais tout cela risque de rester au statut de simples faits divers politiques.
Difficile en effet de croire que de vraies solutions sortiront de ce sommet. Toujours est-il que Macron a décidé de créer un Fonds d’Innovation pour la démocratie en Afrique, doté de 30 millions d’euros sur 3 ans, avec une gouvernance indépendante ainsi que plusieurs initiatives culturelles, tout en étant en phase avec le changement du nom de l’Agence Française de Développement (AFD). Il souscrit aussi à l’idée de changer de méthode, ainsi qu’il l’a fait savoir : « Déjà nous avons commencé à changer beaucoup de choses, mais comme je l’ai dit, il y a quelques années à Ouaga, la méthode n’a pas encore changé ; Aujourd’hui l’AFD passe par la société civile et nous comptons aller beaucoup plus dans cette direction ». Il a toutefois mis un bémol à sa déclaration, faisant savoir qu’il ne faut pas surtout pas penser que tout ce que porte un gouvernement comme projet, n’est pas bon, affirmant qu’: « il y a beaucoup de pays où les dirigeants sont démocratiquement élus » et où la France « continuera à apporter nos financements ».
Ce qui pourrait ressortir de cette rencontre, c’est que de jeunes entrepreneurs voient leurs business financés voire leurs entreprises phagocytées par des Françaises, juste pour le symbole. De même que les activités de ces bloggeurs et activistes dont on se demande d’ailleurs qui ils représentent et sur quoi repose la légitimité ayant conduit à leur choix. Ce serait en effet tomber dans l’angélisme que de croire que la France changera de sitôt de paradigmes et de comportement. C'est connu que dans ces types de rapports inégalitaires, les Africains ne récoltent que des miettes. C’est en effet dans l'ADN de la France et pour des raisons historiques et de complexe de supériorité, que d’être dominatrice vis-à-vis de l’Afrique francophone. En attestent les réponses sur la question des 3èmes mandats et le remplacement de Déby par son fils, le 3ème mandat de Ouattara ou encore la cas Alpha Condé. Elles étaient tout simplement tirées par les cheveux.
Pour Antoine Glaser, journaliste et écrivain spécialiste de la Françafrique, co-auteur du livre le Piège africain de Macron. Du continent à l’Hexagone (Fayard, 2021), le chef de l’Etat doit aller plus loin pour «abandonner ce paternalisme ambiant» avec le continent africain.
A en croire aussi Boubacar Boris Diop, ce qui caractérise la France, depuis le départ, c’est le refus de décoloniser. « Il est difficile, souligne- t-il, d’envisager ces genres de relations entre la Grande Bretagne et ses anciennes colonies ; même chose pour le Portugal ? De manière aussi flagrante, il n’y a que la France qui est comme ça ». Cela est connu de tous, si l’on en croit le fondateur des éditions Edjo. Même des chancelleries occidentales. « Un ami, ancien ambassadeur de la Grande Bretagne, confie-t-il, m’a dit un jour : «ce que je vois l’ambassadeur de France faire ici au Sénégal avec les hommes d’affaires, les hommes politiques, si moi je le faisais au Nigéria, je n’en sortirais pas vivant. Ce qui veut dire que même les ressortissants européens se rendent compte de cette anormalité dans nos relations avec la France ».
L’écrivain dira d’Achille Mbembé – cheville ouvrière de ce sommet qui rendra compte du travail qu’il a mené depuis janvier, après plus d’une soixantaine de rencontres organisées avec des jeunes et des représentants des sociétés civiles dans 12 pays du continent - : « Cela m’étonne quand je vois certains ruer dans les brancards, parce que surpris de l’attitude de Mbembe. Moi, je n’ai jamais, jamais rien entendu de lui qui me paraissait sincère ou allant dans la profondeur des questions, je ne suis nullement surpris par cette attitude. Nous, nous sommes en train de remplir notre devoir. Je crois que c’est le bon moment. Le fait que nous nous exprimions avec tant de vigueur, c’est que nous sentons que la France n’a plus les moyens de ses prétentions. Et il en est conscient, c’est pourquoi, il essaie de reprendre la main. Il faut continuer la lutte, ne pas se laisser ni impressionner ni intimider ». L’écrivain cité par le journal d’investigation EnQuête, évoquait le contre-sommet virtuel initié par les intellectuels africains, réunis autour du Collectif pour le renouveau africain (CORA) depuis jeudi 7 octobre et pour trois jours, autour d’une série de webinaires. Le premier thème étant consacré au rôle des intellectuels africains et de la société civile.
Dans cette relation, c’est surtout une France qui cherche à redorer son blason face à une jeunesse africaine qui l’a fortement rejetée, sur fond d’une relation directe avec des dirigeants totalement discrédités. Les évènements récents de mars au Sénégal, ont largement prouvé ce fort sentiment anti-français avec les attaques contre les intérêts français. Notamment Auchan, Total, etc. La France en est consciente, elle n’est pas dupe.
C’est aujourd’hui l’image écornée d’une France aux deux visages qui est projetée aux yeux de la jeunesse africaine francophone et incarnée par deux camps : ceux qui veulent virer les Africains de la France en occultant tous les méfaits historiques de la mère patrie, notamment Eric Zemmour avec sa fameuse et illusoire théorie de la « remigration » ; celle de ceux qui montrent de la bienveillance tout en cherchant à accentuer la domination et à continuer à dépouiller les Africains et en qualifiant leurs rapports de coopération fructueuse. A l’image de Nicolas Sarkozy qui avait effectué plusieurs voyages en Guinée et dont l’objectif n’était que de mettre la pression sur Alpha Condé dans ce dossier qui concerne son ami, le milliardaire franco-israëlien, Beny Steinmetz, accusé d’avoir acquis frauduleusement des permis miniers au mont Simandou. Difficile d’ailleurs de faire croire que les putschistes en Guinée n’ont pas été aidés pour réussir leur coup d’Etat.