NETTALI.COM - Le « ni oui, ni non » a fêté son premier anniversaire le 31 décembre 2020. Et l’on s’achemine vers le second, dans exactement deux mois. Une chevauchée infernale pour maintenir le suspens en direction de 2024. Un acte qui sera de toute façon de plus en plus difficile au fur et à mesure que l’on avance. Mais malheureusement pour Macky Sall, Mahmoud Saleh, son directeur de cabinet politique, a rompu le cycle de l’omerta, créant ainsi un malaise. Yaxam Mbaye, le DG du « Soleil » est obligé de monter au créneau pour tenter de dissiper ce qu’il considère comme un acte commis à l’insu de son patron de président.
Difficile en effet d’enterrer le débat sur le 3ème mandat ou de créer l’omerta sur le sujet car la question finit toujours par remonter à la surface. Mahmouth Saleh aura en tout cas réussi avec sa sortie à relancer le débat à travers des déclarations qui risquent d’enfoncer un peu plus le chef de l’Etat, cassant du coup le rythme de son jeu de cache-cache. Quelques quotidiens de ce mercredi 27 octobre se sont ainsi faits l’écho de cette sortie du directeur de cabinet politique.
Une affirmation de Saleh qu’il ne sera pas aisé de démonter et à placer sur le terrain de l’ « indiscipline », l’alerte venant d’un personnage clef dans le dispositif de la présidence. « Les élections locales à venir ne seront locales que de nom. Ce sont des élections politiques, ce sont des élections nationales… Les résultats seront déterminants pour les élections législatives qui se tiendront cinq mois après. Nos résultats vont trancher le débat sur la candidature de Macky Sall à la Présidentielle de 2024’ », a déclaré Saleh à Mbour au cours d’une réunion publique.
Une réaction aussi rapide que cinglante, elle est signée Yaxam Mbaye, le directeur général du quotidien national « Le Soleil ». Celui-ci s’est ainsi voulu catégorique sur le site d’informations « Dakaractu ». Macky Sall, selon lui, n’a rien à voir avec ce qu’il considère comme des « bavardages et vagabondages » de responsables indisciplinés. « La posture du président Macky Sall, fulmine le tonitruant responsable de l’Alliance pour la République, reste inchangée. Ce sont les uns et les autres qui, à force de bavardages intempestifs, font œuvre de girouette. Et, reconnaissons-le, ça fait gravement désordre et nous cause des torts énormes. Non seulement ces déclarations n’ont aucun lien avec le président de la République, mais elles l’ont surpris et outré ». D’ailleurs, a-t-il tenu à le souligner pour montrer que le président n’en est nullement commanditaire puisque c’est lui-même qui l’a informé.
Sauf que sur la question du 3e mandat, Macky Sall «récompense » toujours ses partisans qui accréditent la thèse de la possibilité de son 3e mandat et «vire» ses détracteurs. Qui peut nous dire la logique qui se cache derrière cette posture présidentielle ?
C’est en tout cas un fait récurrent pour ne pas être remarqué que le DG du « Soleil » joue désormais le rôle d’alors de Mambaye Niang. Celui de l’homme qui monte au créneau à chaque fois que le chef de l’Etat est attaqué voire critiqué. Comme récemment avec cette histoire de trafic de passeports diplomatiques impliquant des députés. Invité de « Face to Face » sur la TFM, il avait taclé la ministre des Affaires étrangères en ces termes : « Un gouvernement a une charge politique ( …) Le président n’y a rien à voir. Cela relève du ministère des Affaires étrangères. Quand un problème se pose, c’est politique, il faut monter au créneau et défendre celui qu’on doit défendre et s’expliquer. Mais ce mutisme est intolérable et c’est injustifiable. Absolument rien ne le justifie (…) ». Comment peut-on dédouaner le président de sa responsabilité en tant que patron d’Aïssata Tall Sall. Il n'a certainement pas d’action directe dans ce qui peut être qualifié de scandale. Mais lorsqu’un tel fait se produit, la logique ne voudrait pas qu’on défendît Macky Sall, mais de diligenter une enquête interne puisque c’est la crédibilité des institutions qui est en jeu et le président est l’un des premiers gardiens. Dans ces sorties, comme on le relève, le seul but n’est en fait que de protéger le président.
Difficile en tout cas de ne pas accorder du crédit à Mahmouth Saleh, directeur de cabinet du président. Connu en plus pour être un manœuvrier, ou plus exactement un homme qui agit souvent en tapinois, comment émettre un doute sur les propos d’un personnage aussi réfléchi et censé, au regard du poste stratégique qu’il occupe, surtout lorsqu’il se permet de faire une déclaration en public, sur un sujet de surcroît aussi sensible ? L’on n’ose quand même pas croire qu’il s’agit là d’une action commando ? Voire un raid solitaire ? Surtout au regard du nombre de ses partisans que Macky Sall a mis hors circuit pour avoir osé braver l’interdiction de s’épancher sur le sujet 3ème mandat. Après Moustapha Diakhaté, Sory Kaba, Me Moussa Diop, Aminata Touré l’ancienne Premier ministre de Macky Sall, passés à la trappe, on imagine mal que Saleh soit aussi suicidaire et capable de mener une échappée solitaire. Sauf que les autres ont dit qu’il n’a pas droit à un 3e mandat et lui le contraire.
Entre revirements sur le 3ème mandat et les thèses sur la non limitation des mandats
Au regard de la rédaction des textes de la constitution, et avec un peu plus de recul, difficile de ne pas se demander si les Sénégalais ne se sont pas faits flouer sur la question du nombre de mandats ? Une question que l’on est raisonnablement en droit de se poser, c’est où nous mènera finalement le droit, si ce n’est encore et encore, droit dans le mur. Ismaël Madior Fall, désormais dénommé « tailleur constitutionnel», avait par exemple cherché à nuancer sa sortie sur le 3ème mandat avec un « en principe » dans une interview avec le journal « Enquête ». Me Doudou Ndoye avait aussi nié la possibilité de candidature de Macky Sall avant de rétropédaler. Me Babou également. Interrogé par la Rfm le 29 septembre 2019, l’avocat avait dit tout-à-fait autre chose : « Ce problème du 3e mandat a été réglé depuis le temps avec Abdoulaye Wade. Et la dernière réforme avec l’actuel président clôt le débat. Le président Wade voulait un 3e mandat à cause de l’ambiguïté de l’article 27 ». Mieux, précisait-il, « Au Sénégal, la forme républicaine ne peut pas être changée. C’est fini, personne ne peut y toucher. Personne ne peut plus faire plus de deux mandats consécutifs. Sous l’empire de cette nouvelle constitution, le président Macky Sall a déjà fait un mandat et un 2e mandat. Donc, ça ne se discute pas. »
Récemment, dans les colonnes du quotidien L’As, Me Babou déclarait, de but en blanc, que d’un point de vue purement juridique, le chef de l’Etat peut encore se présenter à la présidentielle prochaine. Selon Me Babou, la constitution, en son article 27, règle deux problèmes : à savoir la durée du mandat présidentiel qui est de cinq ans et qui dit clairement que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Ceci est donc simple à appliquer. Le Président Macky Sall a fait un premier mandat de cinq ans qui s’achève en 2024. Et à partir de là, juridiquement il a le droit de se présenter en 2024 pour un second mandat de cinq ans”. “Je le dis et je le répète : la Constitution n’a jamais parlé de troisième mandat. La loi ne parle pas des sept ans avant la réforme et il n’y a pas de mesures transitoires. On ne peut changer la Constitution que pour viser la seule personne du Président Macky Sall”, avait souligné Babou.
Les tergiversations sont en tout cas nombreuses du côté du pouvoir pour laisser croire que Macky ne veut pas d’un 3ème mandat. Et pire que la question de la limitation des mandats, certains de ses partisans et pas des moindres, ont défendu la thèse de la non limitation des mandats. En attestent leurs différentes sorties. Comme par exemple, l’ex Premier ministre qui utilisait d’ailleurs, dans son argumentaire, le fait qu’il n’y aurait qu’une minorité de pays dans le monde où la limitation des mandats est une réalité. « C’est une question qui parait difficile, mais elle l’est parce qu’elle n’est pas tranchée au plan international, de la doctrine, par les juristes, s’est défendu Boun Abdallah Dionne. Regardez le droit constitutionnel, ce qu’il en dit. Faisons un benchmark au plan mondial : les pays où il n’y a pas de limitations sont beaucoup plus nombreux que les pays où au niveau de l’exécutif il y a une limitation... » Une thèse de l’ancien chef du Gouvernement qui ne tient pas du tout puisqu’un fact Checking (nouveau genre rédactionnel basé sur la vérification des faits) du mardi 25 février 2020 sur iRadio, apprenait que sur les « 194 pays consultés, au moins 120 exercent une limitation de mandats pour l’Exécutif. Pour le reste, il s’agit de monarchies, de quelques régimes parlementaires pour lesquels je n’ai pas pu vérifier s’il y a une limitation du mandat, où encore de pays où les mandats de l’exécutif sont illimités », détaille notre confrère.
Invité du Jury du Dimanche de I-radio, Aymérou Gningue, président du Groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, de se demander : «Pourquoi les regards doivent-ils se tourner vers le Sénégal ?». Puis de seriner : «à titre personnel, je suis contre la limitation des mandats. Je suis contre aussi le fait de les limiter à 5 ans. Je suis contre aussi le fait qu’on limite l’âge des candidats à 75 ans.» Relativement au Président Macky Sall, le chef de file des députés de la Majorité se voudra plus sibyllin : «Ce que le Président (Macky Sall, Ndlr) va faire en 2024, c’est lui qui le sait. Ce que je sais, c’est qu’à bonne date, la Constitution va se prononcer sur la légitimité ou l’illégitimité du Président Sall.»
En décembre 2020 sur la 7 TV, Madiamba Diagne, avait fait savoir que Macky Sall peut bel et bien se lancer dans la course pour la présidentielle de 2024. Il précisait ainsi sa pensée en ces termes : « Je ne crois pas en la limitation des mandats. C’est un principe que j’ai assumé partout, depuis toujours. Il faut me lire. Je n’ai jamais préconisé la limitation des mandats. Dès lors que les élections des déroulent normalement et que les élections ne sont pas truquées, il appartient aux citoyens d’élire qui ils veulent».
Mais lorsqu’on scrute à la loupe le déploiement de Macky Sall sur le terrain, difficile de ne pas accréditer cette thèse de Saleh. D’abord, il fixe par décret, la date du scrutin pour le renouvellement général du mandat des conseillers départementaux et municipaux au dimanche 23 janvier 2022. Ensuite, dans un communiqué, le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Abdoulaye Diome, informe, à son tour, que, conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 2021-24 du 12 avril 2021 portant report des élections territoriales, le président de la République, Macky Sall «a, par décret n° 2021 – 562 du 10 mai 2021, fixé la date du prochain scrutin pour le renouvellement général du mandat des conseillers départementaux et municipaux au dimanche 23 janvier 2022».
Une implication sans bornes dans les élections locales
Aussitôt après, le chef de l’Etat qui n’est pas, à vrai dire concerné par ces élections, renoue avec les tournées économiques. Première étape, pendant la période du 29 mai au 2 juin, il pose ses baluchons dans les régions de Kaffrine et Kédougou. Du 12 au 19 juin, il fait cap sur le Nord du Sénégal (régions de Saint-Louis et de Matam) avant d’y présider un Conseil présidentiel et un Conseil des ministres à Matam.
Mardi 5 juin, Le Soleil dans un «Dossier Exclusif» anticipe déjà sur la visite du Président Sall en faisant un «point sur 10 ans d’investissements énormes» avec comme titre «Comment Macky Sall a changé le Nord» et annonce 400,2 milliards de F CFa investis dans 34 projets majeurs achevés pour «doter les régions de Saint-Louis et de Matam, d’infrastructures routières (routes, ponts, voiries, pistes), scolaires , sanitaires, d’ouvrages d’art et hydrauliques» et «336,7 milliards de F Cfa prévus entre 2021 et 2024 pour achever la modernisation du Fouta et du Walo». Signe que la machine électorale est bien lancée, et Macky Sall en est le directeur de campagne !
Si le chef de l’Etat a agi ainsi, c’est bien parce qu’il ne voulait, en aucun cas, abandonner sa stratégie payante, celle qui l’avait portée au pouvoir en 2012. Mais surtout parce que les tentatives de mobilisation de ses militants, suite aux évènements violents, n’avaient pas produit de bons résultats à part soulever des critiques. Macky Sall connait bien aussi le gain politique que peut lui apporter le contact permanent avec les populations de l’intérieur du pays. C’est pourquoi, avant son accession à la magistrature suprême, il avait sillonné à plusieurs reprises le pays. Lors de la campagne électorale présidentielle de 2012, il avait patiemment et stoïquement visité toutes les régions du pays, de l’Ouest à l’Est, du Nord au Sud pour terminer au centre et enfin revenir à Dakar pour son meeting de clôture.
Sur les 21 jours de la campagne, il n’était en réalité resté à Dakar que trois matinées et trois nuits. Il avait ainsi parcouru plus de 115 localités et tenu 62 meetings au total.
Des élections locales toutefois analysées par des observateurs de la scène politique comme des joutes qui vont préfigurer les résultats de la présidentielle de 2024. C’est en d’autres termes ce qu’a affirmé Saleh. Et dans cette affaire, c’est manifestement de la parole contre parole : celle de Saleh contre celle de Yaxam. Mais si Saleh n’est pas limogé, cela voudra certainement dire qu’on a soit affaire à un ballon de sonde, ou alors que cette sortie de Yaxam n’a eu lieu que dans une logique d’amuser la galerie. Il est bon sang interdit de parler du 3ème mandat dans les prairies marron-beige !