Monsieur Seydina Oumar TOURE, ex capitaine.
CONTRIBUTION - Mon général,
Le 30 septembre 2021 marquait le jour de votre départ à la retraite, en tant que Haut Commandant de la Gendarmerie Nationale et Directeur de la Justice Militaire, et pour l’occasion, devrait être organisée pour vous une cérémonie d’adieux à la gendarmerie nationale et à la République du Sénégal. Au cours de cette cérémonie solennelle, vous auriez livré un discours et effectué une dernière revue des troupes afin de remercier le personnel après plus de 30 années de servitude de la part de vos subordonnés, de collaboration avec vos collègues officiers et de loyaux services pour la République.
Cette cérémonie aurait également marqué la reconnaissance de la Gendarmerie et de la République pour toutes ces années où vous avez donné de vous-même, au service de l’honneur et de la patrie.
Mais à ce cérémonial, vous avez préféré l’honneur et la dignité dans la sollicitude que le faste d’une grandeur illusoire dans une cérémonie militaire.
Je ne suis nullement animé par le propos d’Aimé CESAIRE qui écrivait «ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche… Ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir», mais d’un devoir de reconnaissance.
Je vous dois cette lettre d’adieux mon général, à défaut d’une cérémonie et je sais que la modestie et le sens de l’honneur dont vous avez fait montre jusque-là, m’aurait interdit d’écrire sur vous, si je vous avais saisi à ce propos. Malheureusement l’occasion ne s’est plus présentée pour que j’en fasse la demande.
Mon général,
Je ne vous connais pas en personne, mais par la force du destin, nos chemins se sont croisés le 12 mars 2021 à 15 heures 20 minutes, suite à des événements malheureux qui ont conduit ultérieurement à ma radiation des cadres de la gendarmerie nationale.
Pourtant, un mois avant cette date, le 15 février 2021 exactement, vous adressiez une lettre de félicitation où vous me qualifiiez «d’officier subalterne persévérant, très engagé et doté d’un sens élevé du devoir………….Voir pièce jointe». Ce fut la deuxième du genre en deux années consécutives. C’est ainsi que je me suis comporté pendant les 8 années, passées sous les drapeaux sans le moindre reproche.
Mais à la première faute, j’ai été directement proposé à un conseil d’enquête et radié des cadres.
A mon avis, la graduation de la sanction prévue par le décret numéro 90-1159 du 12 octobre 1990, portant règlement de discipline générale dans les forces armées sénégalaises, n’a pas été respectée. Et durant mes 60 jours d’arrêt, je fus isolé tel un bagnard. Mon téléphone et mon ordinateur confisqués, ainsi que tout matériel électronique à ma disposition. Toute visite m’a été interdite, hormis celle de mes deux enfants que je rencontrais 02 heures chaque dimanche. J’ai trouvé cette sanction exceptionnellement sévère mais je l’ai accepté et appréhendé comme l’illustration de la rigueur militaire et de votre droiture, connue de tous au sein de la gendarmerie depuis plus de 30 ans.
Cette sanction, il est vrai qu’elle fût extrême, ce ne fut pourtant pas cet aspect qui m’a le plus marqué en vous, car la décision finale sur mon sort ne vous appartenez pas mon général.
Ainsi en témoigne l’avis défavorable du conseil d’enquête qui a rejeté mon exclusion de la gendarmerie à l’unanimité.
J’ai été plutôt marqué à jamais par votre sens élevé du devoir et votre sens de la responsabilité du chef militaire. Je me rappelle encore notre rencontre après mon retour suite à 05 jours d’absence au service au mois de mars 2021. Lorsque vous m’avez prêté une oreille ce jour, vous avez courtoisement rétorqué que quel que soit mon mobile, mon comportement est à réprimer vigoureusement du point de vue de la discipline militaire. Et que pour cela vous ne serez pas complaisant avec moi. Dans votre tentative de désamorcer ma colère, vous m’avez déclaré en outre qu’un officier en activité ou hors cadre ou quelle que soit sa position, doit garder en tête que les personnes avec qui il a servi, verront toujours en lui l’officier qu’ils ont connu en service, donc un exemple.
Pour me rassurer de votre impartialité, ce jour, vous avez déclaré qu’une enquête indépendante serait diligentée. Mais vous avez persisté sur le fait que je ne dois pas être dépassé par une colère qui ne profite ni à moi ni à la République. Aussi, vous avez indiqué que peu importe la véracité de mes déclarations, je dois comprendre que je serai seul, jugé sur mes agissements. Autrement dit qu’en aucun cas, le comportement des autres ne devra dicter ma conduite future. Ce passage m’a rappelé la sagesse du Dalai Lama qui nous enseigne qu’il ne faut pas laisser le comportement des autres venir détruire notre paix intérieure.
Sans aucune confusion entre rigueur et excès de Zèle, ni verser dans le sentimentalisme ou l’émotionnel, vous avez réussi, ce jour, à me raisonner. Cette raison d’hier m’habite et me fortifie encore aujourd’hui.
Vous vous êtes abstenus de vendre un camarade au prix d’une gloire éphémère. Vous avez été juste quand l’injustice était plus avantageuse, me rappelant ainsi cette phrase du général De gaule disant aux français que «nous devons notre liberté à des hommes qui ne se plient pas, ne s’agenouillent pas, ne se soumettent pas ». Vous êtes l’un d’entre eux mon général.
Vous êtes restés debout tout seul en portant la République, lorsque certains rasaient les murs. Vous êtes restés loyal lorsque vos plus proches collaborateurs se faufilaient entre les mailles de la hiérarchie militaire.
Cependant, face au poids énorme d’une République qui vacillait de tout bord, votre rigidité a fini par céder et vous êtes tombés les armes à la main.
On ne tient pas debout tout seul sous un poids aussi robuste mon général. Et votre destin étant entre les mains d’un autre, vous avez finalement été poussés vers une sortie très honorable à mon avis.
L’un de mes crédos, qui me particularise depuis tout jeune, est de sourire quelle que soit la situation en face. La formation militaire, aussi difficile qu’elle fût, ne m’ôtât de ce masque plaisant qui surgit à chaque fois sur mon visage, par la grâce de Dieu.
Comme disent les ivoiriens, pour moi, c’est toujours maïs. Car la vie est très courte et de mon expérience tirée de mon vécu modeste, j’ai cru comprendre que tout semble être un jeu, dont nous sommes acteurs, qui suivent leurs destinés.
Une comédie humaine comme disait Balzac.
Dans ce monde où rien ne s’éternise, je m’étais promis de ne verser une larme que le jour où ma grand-mère me devancerait dans l’au-delà, si tel serait le cas. Mais le jour où j’ai reçu le décret portant votre remplacement à la tête de la Gendarmerie Nationale sénégalaise, je fus inconsolable toute la nuit. Encore, que j’ignore si vous vous êtes retirés ou démis de votre fonction.
Vue votre posture et votre honorabilité dont j’ai été témoin, je peux affirmer que vous êtes meilleurs que moi au sens de l’honneur et du devoir, tels qu’enseignés dans une école d’officiers.
Je me suis mis à votre place, car tous les officiers sont formés sur les mêmes principes de base. Chez nous, ou plutôt dirai je, chez vous, le subordonné ne doit jamais être informé des sanctions encourues par ses supérieurs, parce que le commandement est avant tout un mythe qui a traversé le temps sans être percé. Encore, que j’ignore si vous vous êtes retirés ou démis de votre fonction.
Alors j’ai pu imaginer l’effet d’un remplacement dans ces conditions, pour un général de corps d’armée. Un journal de la place a même osé titrer «le général TINE viré».
Un homme qui sert sa patrie sous les drapeaux, autant d’année, mérite une considération qui devrait dépasser nos appartenances politiques.
Malheureusement mon général nous appartenons à l’armée africaine. Une armée d’hommes et de femmes de valeurs qui, pendant des années se sacrifient pour sécuriser de jeunes pays en abandonnant familles et perspectives.
L’armée est universelle mais celle d’Afrique est particulière même si elle conserve les pratiques de l’occident et de toutes les compartiments militaires du monde. A un pourcentage très élevé, elle reste attachée à la culture africaine qui se transmet, se respecte et se répète de génération en génération militaire, à travers la formation et les traditions propres à l’Afrique. Hélas, la destinée du militaire africain est entre les mains d’hommes qui ne comprennent pas le sens de l’honneur. En Afrique, un homme ayant une formation militaire, n’est pas ordinaire. Si l’homme politique africain semble se caractériser par le mensonge, le dédit et la recherche permanente du profit, les militaires, à quelques exceptions, sont des hommes encore attachés aux valeurs africaines que sont la loyauté, la discipline et le dévouement à la patrie.
Chez nous africains, dans ces métiers dits d’uniformes en général, l’homme engagé est un serviteur très mal compris, qui se bat chaque jour contre ses protégés, que sont ses concitoyens. Il est aussi et surtout constamment confronté à l’arrogance de l’homme politique qui se croit tout permis.
Ce comportement est une conséquence de la tradition coloniale qui fut une grande plaie dans l’âme de l’Afrique, qui aujourd’hui encore continue de se blesser à chaque occasion et comme si le mal devait se répéter, il continue à hanter notre être et notre devenir comme disait l’autre.
De cette occupation de jadis, n’acquit des Républiques à l’image de l’occupant qui régnait en maitre et non en serviteur, que doit représentait tout homme d’Etat. Issu de cette tradition, l’homme politique africain pense à tort que les entités de sécurité sont des bras armés usités pour faire taire ou pour encourager uniquement la politique du parti au pouvoir.
Face à cette situation difficile, la marge de manœuvre du chef militaire ou policier africain est très étroite.
Malheureusement il est tiraillé tout au long de sa carrière dans un dilemme complexe. En effet, il est souvent obligé d’être proche de ses hommes, à qui il doit prouver que les principes militaires ne sont pas qu’une utopie, au risque de perdre l’estime de ses subordonnés, qui sont attachés à cette hiérarchie qui nourrit désormais un mythe sous la houlette de la sanction.
Mais la réalité de la politique africaine oblige le militaire quelle que soit sa rigueur, à se plier aux désirs souvent malsains d’un civil ignorant les règles de base de la dignité militaire. Alors le militaire se politise peu à peu, en détruisant l’armée à petit feu. Celui qu’on appelle chef suprême des armées en Afrique, que nos constitutions mettent souvent au rang d’omnipotents, parfois avec un passé tumultueux, décide du destin des hommes d’honneur que sont les militaires. Alors seulement maintenant, je comprends pourquoi tant de révoltes et de coups de force qui, garnissent tristement le palmarès du pouvoir en Afrique.
N’écoutez pas mon général les incultes, car ils ne connaissent pas la réalité militaire, écoutez plutôt ceux qui ont la même formation de base que vous. Ceux-là savent et peuvent apprécier votre vraie valeur.
Pour me consoler, je me rappelle souvent d’une partie importante du dernier discours d’un de mes formateurs à l’école de gendarmerie qui nous disait «Rappelez-vous désormais que sur terre, il existe deux types de personnes, les officiers et les autres. Vous êtes les officiers et cela doit se remarquer dans votre démarche, qui incarnera la fierté. Votre honneur doit se lire sur votre visage quelle que soit la circonstance.
Soyez surs que vous ne serez pas riches dans l’armée mais vous ne serez pas misérables car l’honneur et la dignité seront toujours au rendez-vous. Et lorsque l’on vous reprendra votre dignité et votre honneur partez de l’armée, car vous ne deviendrez plus qu’un salarié, prisonnier d’une solde et d’un sort, dont l’issue ne peut-être que déshonneur». Si un officier subalterne se voit comme tel, un officier général se verra surement comme un Dieu, je n’ai donc aucune crainte pour votre état d’esprit mon général.
Mon général, vous voilà dans la deuxième section des cadres de l’Etat-major général, mais les initiés seront en mesure de comprendre que vous êtes tenus jusqu’à 65 ans. Donc servir encore 05 ans, est une obligation et non un choix.
J’imagine déjà votre amertume, étant obligé de servir avec des hommes dont le mythe que demande une fonction au sommet n’est qu’une illusion. Dans cette situation extrêmement déplorable et sensible, où l’opposant politique est confondu à un ennemi d’Etat et ce dernier qui, pour se défendre confond la patrie au parti du Président, mon général, tournez-vous vers le Seigneur, qui seul peut nous venir en aide et prier pour notre République orpheline, qui vit ses moments les plus sombres de son histoire.
Je prendrai congé de vous mon général en me rappelant de cette célèbre citation d’Abraham LINCOLN qui disait aux américains que la vie ne résume pas aux aiguilles d’une montre mais plutôt à la qualité des actes qu’on pose pendant notre séjour bref et passager sur terre.
En attendant la suite que vous réserve le destin, sachez que votre nom reste à jamais, inscrit au panthéon des immortels de notre chère patrie, le Sénégal.
Que l’éternel soit votre berger et qu’il vous guide mon général.
En espérant avoir le privilège de vous rencontrer dans le futur, Veuillez agréer mon général, l’expression de mon profond respect et de ma plus haute considération.
Votre subordonné et ancien camarade officier, au temps de votre commandement.