"Être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses
chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce
la liberté des autres." – Nelson Mandela
NETTALI.COM - Toute cette furie pour si peu. Lorsqu’on ferme les dernières pages du chef-d’œuvre de Mohamed Mbougar Sarr, l’on ne peut que s’étonner du décalage entre la furie qui a accompagné le Goncourt décerné à notre compatriote et l’histoire fictive aux allures d’odyssée racontée dans ce livre.
Le Serer qu’il est, va à la recherche de ses racines, de soi-même, comme le fit Cheikh Hamidou Kane dans son “Aventure ambiguë’’. Il se vautre dans son personnage central, l’énigmatique Elimane Madag Diouf alias T. C. Elimane, jeune talent littéraire d’avant la Seconde Guerre mondiale, esprit brillant qui a quitté son pays natal pour étudier en France. T. C. Elimane est accusé de plagiat. “La plus secrète mémoire des hommes’’ est un livre sur un autre livre, imaginaire, “Le Labyrinthe de l’Inhumain’’ qui, pour plagiaire qu’il soit, a le don de happer toute personne qui l’ouvre.
Le livre connaît un succès fulgurant, il “foudroie’’ jusqu’à la mort tous les critiques littéraires et journalistes qui mal en pensent. Elimane est en réalité le vecteur de forces vitales ancestrales. Son “père’’, aveugle comme Homère, est dépositaire de pouvoirs qu’il lui a légués avant de mourir... Le livre est un voyage dans le temps (de 1938 à aujourd’hui) et l’espace (pays serer, Dakar, la France, Amsterdam, etc.). Il confond espace et temps dans une beauté littéraire rare, qui renseigne sur la puissance créatrice de son auteur, Mbougar, nom d’un célèbre saltigué bien connu en pays serer.
Le reste de l’histoire, ce sont des aventures amoureuses, des rencontres fertiles ou en cul-de-sac, de couchers de soleil, de nuits d’amour, d’ivresse, etc. Des prétextes pour pénétrer dans l’imaginaire éclaté des personnages, dans le labyrinthe de leur vie tout court. On pourra repro- cher à Mbougar de se perdre par
moments dans son labyrinthe au point de confondre son lecteur. Certains passages paraissent bien hermétiques. Mais toujours, il parvient à ressaisir son fil... d’Ariane.
Comment ne pas s’étonner de tout ce bruit, ce tintamarre autour du Goncourt 2021 que ses pourfendeurs attaquent sans même l’avoir lu ? Pourquoi tant de malveillance pour un jeune compatriote de 30 ans qui peut encore porter son étoile plus haut ? Pourquoi tant de venin lorsqu’il peut simplement dire : bravo ? Pourquoi Dieu, est-on aujourd’hui incapable de dire bravo dans ce pays ? De quelle légitimité se prévalent ces nouveaux censeurs que la presse locale a engraissés à coups de pub’ sur les plateaux et à longueur de colonnes de journaux pour qu’ils distribuent des quitus de lecture et des fatwas de façon insidieuse ? Enfin, où étaient-ils lorsque “De purs hommes’’, objet de leur dépressive colère, fut publié en... 2018 ? Pourquoi attendre le Goncourt pour charger ? Et où étaient-ils encore lorsque le sculpteur Ousmane Sow érigeait ses belles statues païennes à l’allure guerrière partout en Europe ?
Le problème reste entier à Ndoumbélane, pour utiliser une métaphore chère à feu Babacar Touré. Il s’agit du protocole de la distribution de la parole qui est
devenu anarchique dans ce pays. N’importe qui peut donner son opinion sur n’importe quoi, y compris sur le programme de la Nasa sur la planète Mars. Les filtres qui empêchaient jadis de se cacher derrière des masques ont bien malheureusement disparu par le fait de l’insouciance, de la légèreté et de la carence intellectuelle érigées en dogmes. Et du fait aussi du manque de courage de certaines élites qui préfèrent bercer tranquillement leurs familles en attendant
le dernier souffle.
Même dans la matière religieuse, ce ne sont plus les plus doctes qui occupent la première place, mais les plus sexy ; médiatiquement parlant. Cela pose un gros problème. Nous voilà bien à la croisée des chemins. Ou presque. Il ne s’agit pas de priver la parole à qui que ce soit. A notre époque, c’est devenu presque impossible. Mais si tout le monde a le droit d’émettre un avis, celui-ci doit passer par le filtre de la connaissance, de la raison, de la bienveillance et des valeurs qui fon- dent notre “contrat’’ de vivre ensemble dans nos différences, dans l’acceptation de l’autre comme différent, mais pleinement humain. Si on sort de ce paradigme, cela signifie que nous validons le principe que les êtres humains ne sont pas d’égale dignité. Et si nous poussons le bouchon plus loin, nous pourrions très facilement cautionner le racisme. Voyez-vous, cela peut ouvrir une bien vilaine fenêtre