NETTALI.COM - Macky Sall, a-t-il plafonné ? Son récent revirement ou plus exactement son rétropédalage, prouve qu’il tourne en rond avec une gouvernance qui semble faire machine arrière, après nous avoir promis le « fast track » (accélération des chantiers et programmes ) en faveur de la suppression du poste de Premier ministre. Difficile en effet de comprendre où il mène le bateau Sénégal qui tangue et semble même avoir perdu la boussole.
A l’«Edition spéciale» de la TFM, ce mercredi 24 novembre, Mounirou Sy, constitutionnaliste et ancien conseiller technique auprès du Premier ministre Boun Abdallah Dionne, a reconnu que le président Macky Sall s’est trompé dans la suppression du poste de Premier ministre et a fait preuve d'humilité en faisant revenir le poste. Il nous a expliqué que le projet de loi en vue du rétablissement du poste de Premier ministre a été introduit en vue de la redynamisation de la coordination de l’action gouvernementale. Bref, que nous a-t-il appris qu’on ne savait déjà.
Interpellé ce jeudi 25 novembre à l'Assemblée nationale, sur le rétablissement annoncé du poste de Premier ministre, le ministre de la Gouvernance territoriale, du Développement et de l’Aménagement du territoire, par ailleurs porte-parole du gouvernement, pense que ce n’est pas une nouveauté. "Si vous interrogez l’histoire politique du Sénégal, ce n’est pas la première fois que le poste de Premier ministre est supprimé et rétabli ; c’est la bonne marche des choses. C’est le président de la République qui définit la politique de la nation et qui, face à certaines situations, décide de comment il doit organiser l’architecture de son gouvernement. C’est la raison pour laquelle le président Macky Sall a décidé de ramener le poste de Premier ministre après une suppression", explique Oumar Guèye. Il refuse même d’assimiler cette décision à un échec du "Fast track" annoncé par le chef de l’Etat, lors de la suppression du poste, après la Présidentielle de 2019.
D'aucuns ont eux pensé que cette décision avait été prise par le président Sall dans le seul but de faire le vide autour de lui. Surtout vis-à-vis de ceux-là qui avaient été accusés à tort ou à raison, de lorgner son fauteuil.
Mais toujours est-il que quelque avocat du diable qu'ils puissent être, ceux-là qui avaient trouvé la mesure de suppression du poste, bonne, ont à nouveau trouvé des vertus à son rétablissement. Sacrés politiciens, la vitesse à laquelle, ils changent de discours, est incroyable ! Que l'on ne s'y trompe point, malgré toutes ces contorsions pour justifier l'injustifiable, l'affaire était motivée par une volonté d'accélérer la cadence, pour paraphraser Mimi Touré. D’ailleurs, lors de son discours d'investiture du 2 avril 2019, le président nouvellement réélu s’inscrivait déjà dans cette logique de booster la machine Sénégal, estimant qu’ il y avait « trop de routine, trop de lenteur, trop de procédures et de formalités indues qui continuent d'altérer l'efficacité de l'Administration publique. J'ai la ferme intention d'inscrire toutes les actions de l'Etat en mode Fast- Track ».
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et les grands projets de l’Etat. Le Train Express régional (TER), le Bus Transit Rapid (BRT), le port de Ndayane, entre autres chantiers, n’ont pas brillé par leur achèvement. Beaucoup savaient que c'était une mauvaise décision que supprimer ce poste, mais dans son camp, personne n'osait piper mot. Un PM aurait pu par exemple être d’un grand secours dans ces oppositions entre le ministre de la santé et les professeurs de médecine, Seydi par exemple, en coordonnant et tranchant dans le cadre des différends notés dans la gestion de la pandémie. Le pire est que le président était tout le temps obligé de monter au créneau voire d’être en première ligne.
Que Macky Sall se soit fourvoyé en prenant cette décision de suppression du poste de PM, c’était prévisible. Arriver à réaliser le « fast-track » dans un gouvernement aussi pléthorique et de "bras cassés", c’était et c'est toujours une mission quasi impossible. La majorité des Sénégalais se rend évidemment compte que l’administration sénégalaise, dans sa globalité, gouvernement compris, n’est pas réputée pour son efficacité. Elle l’est plutôt pour ses lourdeurs, ses goulots d’étranglement et ses fonctionnaires aux pouvoirs immenses.
Ne pas avoir de fusible, coordonner l’action gouvernementale, recevoir tous les assauts et attaques en pleine figure, assurer l’arbitrage de dossiers à cheval sur différents ministères, gérer un agenda diplomatique trop chargé en assistant aux conférences et sommets internationaux, assurer les audiences et surtout se mêler d’activités politiciennes voire échafauder des plans politiques, présenter des condoléances, faire les tournées politiques et économiques, etc Voilà la mission ardue à laquelle s’acquittait, tel Zorro, Macky Sall, sans toutefois partager la moindre parcelle de pouvoir ! Conséquence, le « fast track » tant chanté, n’accouchera que d’un « slow track ». Macky s’est rendu à l’évidence que cet excès de centralisation du pouvoir pour cette gouvernance qui s’en allait a-vau-l ’eau, n’allait pouvoir produire ni efficacité, ni résultat et encore moins ce taux de croissance, fruit de toutes les projections les plus surréalistes. La seule solution est dès lors de restaurer ce poste en partageant cette mission devenue finalement si large pour ses épaules.
A la vérité, le contexte a vraiment changé. Il faut désormais composer avec la pandémie, relancer l’économie. Au niveau politique, il faut aussi un Premier ministre pour seconder le président, au lieu qu’il fasse face à tous les problèmes politiques, sociaux, économiques, etc dans un contexte où il doit également se charger des affaires africaines, après avoir été élu par ses pairs africains président de l’Union africaine.
La question qui est désormais sur toutes les lèvres est celle de l’identité du Premier ministre, son profil, etc. Et depuis lors, les observateurs de la scène politique ne cessent d’épiloguer sur un profil politique, technocratique voire les deux combinés en vue de prémunir le président contre les assauts de l’opposition et y compris à l’intérieur de sa propre mouvance ; et également pour coordonner l’action gouvernementale. Ce que l’on appelle faire du deux en un.
Toujours est-il que l’une des conséquences devra être la dissolution du gouvernement. Mais avant cela, il faudra passer par l’étape du dépôt du texte à l’Assemblée nationale, son adoption aux 3/5e de ses membres, la promulgation par le chef de l’Etat. Ce qui va prendre quelques semaines. Après, ce sera l’étape de la publication dans le journal officiel pour que ça soit applicable et opposable à tous. Ce qui consacrera l’existence du poste de premier ministre à laquelle suivra naturellement la formation d’un gouvernement.
De quoi se rendre compte à quel point certaines mauvaises décisions peuvent engendrer du retard et entacher l’action de celui qui a en charge, la lourde tâche de gestion du pays.
Grincements de dents dans la justice
C’est aussi le temps du changement dans la magistrature avec son cortège de grincements de dents, notamment avec la récente tenue de la réunion du conseil supérieur de la magistrature. L’une des mesures qui a été beaucoup contestée, c’est l’affectation du juge Souleymane Téliko et ancien président de l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums). Ainsi que l’a confirmé, dans une interview avec la RFM, l’ancien procureur de la Cour de Répression de l’enrichissement illicite, Alioune Ndaw, relevé en plein procès Karim Wade : « Tout le monde sait qu’entre M. Téliko et l’actuel ministre de la Justice, le torchon brûlait depuis longtemps. Le fait de l’avoir affecté à Tamba, pour moi, est une affectation sanction. Il était président de chambre à la Cour d’appel de Thiès. On l’a affecté à Tamba comme président de chambre à la Cour d’appel de Tamba qui n’est pas encore fonctionnelle. Pour moi, c’est une sanction déguisée en affectation ». Alioune Ndao reconnait toutefois que « l’Etat a le droit d’affecter son agent où il veut ». « Il y a même des choses qu’on m’a dites que je ne pourrais révéler. Pour moi, c’est une affectation – sanction. Ce n’est pas une promotion. J’estime que c’est le conflit qui l’opposait au ministre de la Justice qui explique l’affectation. Il y a des règlements de comptes dans les affectations, ça, tous les juges le savent. C’est ce qui a engendré le dossier Ngor Diop », révèle-t-il.
Ndao ne s’en arrête pas là. Pour lui, dans la réalité, « le pouvoir exécutif tient le pouvoir judiciaire, il le nourrit et lui fournit les moyens de son fonctionnement. Le pouvoir législatif a ses moyens propres. Il ne dépend pas de l’exécutif, alors que le budget des magistrats des tribunaux est inséré dans celui du ministère de la Justice ». Donc comment peut-on parler d’indépendance dans ce cas ? », s’interroge-t-il.
Dans une contribution, l’ancien juge Ibrahima Dème, démissionnaire, n’y est pas allé par quatre chemins pour appeler de ses vœux, la réforme du conseil supérieur de la magistrature : « La réforme du CSM reste en effet un enjeu crucial, surtout par rapport aux éventuels risques d’immixtion du pouvoir exécutif dans la nomination des magistrats et partant de sa mainmise sur les postes clés du système judiciaire. Comme beaucoup de magistrats mais aussi d’observateurs avertis du milieu judiciaire, nous pensons que le CSM, dans sa composition actuelle par les seuls magistrats et le pouvoir exécutif, n’est pas de nature à lui permettre de s’imposer avec une légitimité et une crédibilité suffisantes pour remplir son rôle de garant de l’indépendance de la justice. Il n’est pas en effet assez représentatif des différents segments de la magistrature, mais aussi du corps social pour remplir sa mission constitutionnelle dans toute sa plénitude. Une réforme en profondeur s’impose, pour la pérennité même de l’institution judiciaire. Chacun doit en être conscient…. »
Le journal Enquête dans sa livraison de ce jeudi 25 novembre, nous signale que les langues ne cessent de se délier, suite à la dernière réunion du Conseil supérieur de la Magistrature. Pour le quotidien d’investigation, alors qu’on n’a pas fini de parler des sanctions infligées à Souleymane Téliko (ancien président de l’UMS) et à Abdoul Khadir Khaoussou Diop (ancien secrétaire général), des sources qu’il cite, relèvent ce qui s’est passé à la Cour d’appel de Kaolack pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une « instrumentalisation » du Conseil supérieur de la magistrature pour solder des comptes aux magistrats jugés rebelles. « D’habitude, informe un interlocuteur du journal, les gens du ministère profitent des vastes mouvements pour faire du n’importe quoi. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé à la Cour d’appel de Kaolack, avec certains magistrats dont Ibrahima Ndiaye qui a été sanctionné de manière très injuste ». En fait, indique la source, dans cette juridiction d’appel, six magistrats ont été renvoyés devant le conseil de disciplinaire pour « concertations en vue d’entraver le fonctionnement de la justice, autrement dit exercice illégal de la grève ».
A l’origine de cette procédure disciplinaire contre M. Ndiaye et d’autres de ses collègues, il y a un conflit avec le chef de cour. « Le fait est que quand il (le premier président) est minorisé, le président rabat le délibéré et change les compositions comme il veut. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est lorsqu’il est venu lire une ordonnance de répartition des services sans assemblée générale… Les magistrats en question avaient alors saisi l’UMS, le premier président de la Cour suprême et le ministre qui a saisi l’IGAJ. Ses collègues ont un droit de regard et de parole à travers l’AG qui est un cadre légal de concertation prévue par le Code pénal », dénonce la source.
Pour lui, la procédure d’affectation est truffée d’illégalités, que c’est le président lui-même qui serait en violation des textes qui régissent le fonctionnement des juridictions. Selon leurs dires, le conseil aurait au moins pu attendre la fin de la procédure avant de prendre une quelconque décision de sanction.
Bref des problèmes de siège du président de la république et du ministre de la justice au Conseil Supérieur de la Magistrature qui ne sont pas prêts d’être réglés pour une meilleure équité dans la gestion des carrières des magistrats et pour un service public de la justice plus transparent.
Ousmane Sonko, dont le dossier est toujours entre les mains de la justice, a sa lecture des nominations aux postes clefs, tels que celui de Doyen des juges, de procureur de la république. Il en a fait part au cours de sa conférence de presse de ce mercredi 24 novembre. Selon lui, « il est attendu du nouveau procureur de la République, Amady Diouf, de sortir les rapports de l’Ofnac qui ont épinglé les responsables au pouvoir pour des détournements de deniers publics. Le nouveau doyen des juges Oumar Maham Diallo, ne peut garantir l’impartialité des dossiers judiciaires car il est du côté du pouvoir».
Des observateurs ont toutefois vu à travers cette sortie de Sonko, une manière d’anticiper sur la gestion de son dossier, alors que beaucoup soulignent la bonne connaissance des dossiers du parquet et d’instruction par ces 3 juges : Ousmane Diagne qui est désormais au niveau du parquet de la cour d’appel et les deux juges Diallo et Diouf précités, réputés en plus être sans état d’âme. Affaire en tout cas à suivre.
Deux ans pour redresser la barque et faire des émules, c’est le gros challenge de Macky Sall avant 2024, année où il sera beaucoup question de trouver une issue à sa très polémique candidature à un 3ème mandat. On imagine mal qu'un nouveau Premier ministre puisse être la solution, si Macky Sall ne change pas de paradigme dans sa gouvernance. Difficile aussi de savoir ce qu'il adviendra de l'indépendance de la justice, tant que le président de la république et le ministre de la justice continueront à siéger aux réunions du Conseil supérieur de la Magistrature. Ce fait tant décrié par l'Union des Magistrats du Sénégal qui réclame évidemment d'autres choses, en dehors de cela.