NETTALI.COM - La grève du transport des voyageurs, voici un sujet qui a occupé l’actualité, la semaine dernière. Et c’est une grosse galère qu’ont vécue les Sénégalais deux jours durant et l’économie, une grosse perte en raison de l’arrêt de la plupart des activités. Une situation qui n’a pas échappé aux médias. Une actualité qui a d'ailleurs éclipsé toutes les autres.
De deux jours, la grève était passée au stade de la radicalisation. Ou plus exactement à une grève illimitée. La presse écrite s'était faite l'écho de l'impasse des négociations avant que les radios et autres sites d'informations ne s'emparent du sujet. Une situation qui a sans doute poussé le gouvernement à vite désamorcer la bombe avant qu'elle n'explose. Beaucoup de supports de la presse avait ainsi relevé un vent d'apaisement avec la reprise des négociations et guetté par la suite, la levée du mot d’ordre de grève des transports. Au finish, la plupart des titres de la presse écrite qui donne le ton, a raté l'info dans les journaux du samedi matin, en raison de l’issue tardive des accords. Seuls quelques sites d’informations avaient évoqué les 10 points d’accord.
Mais pour une grève, il faut le souligner, les positions étaient assez claires et largement partagées sur les plateaux télés et dans les médias en général, quant au désastre qu'est le transport privé au Sénégal.
A l'émission « Jakarloo » de ce vendredi 3 décembre sur la TFM, c’est un réquisitoire sans concession qui a été dressé sur le système de transport. Un système décrit comme englué dans ses incohérences, son archaïsme, son côté informel, son anarchie, la cupidité de ses acteurs, mais un secteur surtout miné par l’irresponsabilité des gouvernants et des acteurs, qu’ils soient patrons ou employés. Bref, un secteur qui gagnerait à être revu dans son organisation et qui devrait surtout orienter ses efforts vers le renouvellement du parc automobile, sa modernisation et un vrai service aux voyageurs.
Gora Khouma, le plus médiatisé des syndicalistes, décrit par Abdoulaye Der comme un personnage à la propension à «parasiter les plateaux», aura ainsi fait le tour comme à l'accoutumée pour dire tout le mal qu’il pense de l’irrespect des droits des transporteurs. Mais l’on a surtout noté un discours qui sonne comme une ritournelle. Une impression du déjà entendu, tant les complaintes sont connues, pour ne pas dire récurrentes. Le grand public qui utilise ces transports en connait déjà un bon bout. Les mêmes maux, les mêmes problèmes et cette envie de respect du droit des employés et employeurs, sans que l’on ne note toutefois la question de la responsabilité de ces derniers. Mais qu'est-ce qui empêche dès lors de trouver des solutions pérennes ?
Si ce n'est la faillite des gouvernants qui traînent les pieds pour organiser un secteur aussi informel qu’inadapté, difficile de savoir ce que c'est. Sur le plateau de la TFM, il a été beaucoup question de la responsabilité de l'Etat qui a donné l’impression d’avoir scellé un accord, juste pour voir se réaliser une levée du mot d’ordre de grève. C’est du moins ce qu’a laissé entendre « Fou Malade » qui a, à cet effet, relevé que les accords en question, n’ont pas beaucoup d’intérêt, puisqu’a-t-il estimé, le président peut signer des décrets à la pelle, mais le problème de l’application de ces décrets va toujours demeurer.
Les tracasseries : piliers des revendications
Dans cette actualité en réalité, ce sont les tracasseries dont sont victimes les transporteurs qui ont été mises en avant. La question de la concurrence déloyale aussi. Mais en fait de tracasseries, « Fou Malade » nous a par exemple appris qu’il y a une différence entre « tracasseries » et ce dont les transporteurs se plaignent : « La tracasserie, c’est un mot français qu’on utilise. Ce n’est pas ce qu’ils ont dit. Ce que les gens disent, c’est qu’il y a la corruption sur la route. Il y a une différence entre tracasseries et corruption. Il faut utiliser les bons mots pour que les populations accèdent à la bonne information. La bonne information, c’est qu’ils ont dit que les 500 f et autres 1000 F qu’on leur demande sur la route, ne leur plait pas. On leur demande plusieurs 1000 F parfois, parfois 1500 F, 2000 F. J’ai un ami taximan, il se nomme Mor Taximan. Il me faire part de ces situations. Nous-mêmes les voyageurs, on tombe parfois sur des scènes où on glisse de l’argent dans les permis ». Mais « Fou Malade» n’a pas dit que cela puisqu’il ajouté qu’il y a un policier dénommé Amoul Yaakaar qui a été félicité pour sa rigueur.
Bref, un phénomène décrié par le rappeur sans langue de bois. Mais ce qu’il convient de souligner, c’est que parmi ces forces de sécurité pointées du doigt par les transporteurs, il y a beaucoup d’agents rigoureux et intègres. Ce qui veut dire qu’il ne faut point généraliser en jetant le bébé avec l’eau du bain. Ce policier dénommé « Amoul Yaakar », cité par le rappeur et félicité de partout pour son intégrité, avait par exemple fait l’objet d’une Une du journal Enquête. Un article sous forme d’un portrait élogieux qui relevait son exemplarité, témoignages à l’appui. L’on peut aussi citer l’exemple de ce policier qui avait fait l'actualité en conduisant au commissariat, un chauffeur qui avait tenté de le corrompre. Des faits divers de policiers ou gendarmes qui refusent la corruption, on en voit souvent et le grand public ne s'en rend pas forcément compte, du fait d’une non médiatisation de ces affaires. Feu Diakhou Camara, un policier hélas décédé, était également connu pour son exemplarité et son intégrité, à tel point que les chauffeurs de la gare routière du Port, avaient à l’époque où cette gare existait encore, demandé à ce qu’il soit préposé à la circulation sur ce lieu.
Une autre question que l'on peut valablement poser, est celle du traitement des policiers et gendarmes. Et l'on peut s'interroger sur la raison pour laquelle, ces derniers qui font rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat par le biais des contraventions, ne bénéficient pas du même traitement que les agents des régies financières qui reçoivent des parts des fonds communs ? Une situation difficile à comprendre. Et Charles Faye n’est pas loin de relever une discrimination qui ne contribue point au respect de la dignité due au policier et au gendarme, lorsqu’il fait part l’indigence de la prime de risque du gendarme qui est de 12 300 F mensuelle et une indemnité d’entretien de l’uniforme de 360 F depuis 1960, alors que ceux-là établissent des amendes forfaitaires allant de 500 F à 6000 F qui vont dans les caisses de l’Etat.
Le journaliste ne s’en est pas arrêté là. Il s’est aussi interrogé sur la décision d’instituer des brigades mixtes composées de gendarmes, de policiers, de douaniers et d’agents des eaux et forêts. Celui-ci s’est en effet demandé si l’on n’est pas en train d’affaiblir nos forces de sécurité en procédant de la sorte. Ou plus exactement en ôtant une parcelle de pouvoir à la gendarmerie, à la police, etc. Une bonne question, mais qui prouve à quel point les autorités ne veulent pas faire face aux problèmes en se précipitant pour signer des accords. Celles-ci savent qu’ils vont de toute façon, remonter à la surface.
Entre vétusté du parc automobile, contrôle technique complaisant, cupidité des transporteurs et autorité étatique défaillante
Mais au-delà de la question du comportement des forces de l'ordre et de leur traitement, c'est la vétusté du parc automobile qui est à interroger. En effet, difficile de savoir comment une voiture âgée de 30 voire 40 ans, peut continuer à bénéficier d’un visa du contrôle technique. C’est là toute l’incohérence de ce système qui refuse d’être intransigeant et de se moderniser, face à une incurie de l’Etat et de l'administration chargée des visites techniques.
C'est aussi la cohérence et la logique des chauffeurs et transporteurs (patrons) qui est à questionner. La vérité est que le transport sénégalais est dans une telle indigence que ces chauffeurs et employeurs n’ont plus le droit de se plaindre, au regard des conditions déplorables qu’ils offrent aux voyageurs. Entre ces voitures déglinguées, crasseuses, à la carrosserie maintes fois retouchées, l’absence de confort et de climatisation et les dizaines d’années d’âge cumulées, difficile de savoir pourquoi elles roulent encore. Pourquoi devrait-on observer une certaine tolérance dans le passage du contrôle technique d’ailleurs à deux vitesses : celui de Dakar bien plus contraignant et celui des régions moins regardants sur certains aspects ; celui du chauffeur particulier beaucoup plus exigeant que celui du chauffeur de transport public qui transport plusieurs dizaines de passagers. Un contrôle technique pourtant récemment modernisé avec l'argent du contribuable !
C’est aussi une grande incohérence qui est notée dans ces plaintes de « tracasseries ». Comment un taxi qui ne détient pas de licence, voudrait-il échapper au contrôle et aux sanctions ? Par quel miracle un car rapide, a -t-il pu passer le contrôle technique, alors que des voitures de particuliers plus récentes n'y arrivent pas ? C’est en réalité les services techniques qui ne jouent pas leur rôle. Faut-il dès lors que les forces de sécurité ferment les yeux ? Assurément non. Les chauffeurs doivent-ils faire l’objet de tracasseries ? Evidemment que non ! Mais ils doivent toutefois être contrôlés. Ce qui veut dire qu’on a en réalité affaire à des rapports pernicieux entre des chauffeurs qui dénoncent un système dont ils ont longtemps profité et dont ils continuent à profiter.
Entre clandos, "thiak thiak" et transport urbain clandestin
L’hérésie du système, c’est aussi lorsque des voitures dénommées "clandos" ou un système de transport interurbain clandestin, est autorisé, alors que le taxi non détenteur d'une licence écope d'une contravention ou d'une mise en fourrière. Que les gouvernants ferment les yeux, est le signe de leur incurie qui montre par là qu’ils cautionnent un système de transport illégal qui concurrence un système légal. Une situation évidemment vécue comme une injustice par les transporteurs, propriétaires de taxis et détenteurs de licences qui ne comprennent pas le fondement d’une telle discrimination.
Cette nouvelle forme de transport dénommée « thiak-thiak » qui a vu le jour, est tout aussi mal vu par les conducteurs de taxis qui voient là une autre concurrence déloyale, surtout avec les embouteillages incessant dans la capitale. Elle est d'autant mal vue par les automobilistes qui considèrent qu'ils aggravent l'indiscipline sur les routes. Ces motos qui roulent dans la plupart des cas sans plaque et sans papier, sont contrôlés tous les jours pour les mêmes raisons. Ces moyens de transport sont en effet la cause de beaucoup d’accidents et prennent tout simplement la fuite dans ces situations, bénéficiant de ce défaut de plaque d’immatriculation qui aurait pu permettre de les identifier.
Ainsi va l'Etat. C'est comme avec les population installées dans certaines zones inondées, il laisse un système de transport clandestin s'installer pendant plusieurs années et veut du jour au lendemain l'interdire. Ce qui n'est pas sans soulever des contestations.
Au-delà, la responsabilité des employeurs ne peut être nullement occultée. Entre un parc automobile moyenâgeux jamais renouvelé, un traitement inapproprié et autoritaire imposé au chauffeur qui ne détient pas le moindre contrat de travail et la cupidité érigée en règle de fonctionnement qui enferme le voyageur dans un inconfort et des désagréments continus, impossible de savoir où nous mène ce système.
A la vérité, le système de transport ne peut plus continuer à fonctionner de cette manière-là, surtout au moment où le chantier des infrastructures du transport est en marche. Une connexion entre le Train Express régional (Ter), le Bus Rapid Transit (Brt) et le transport classique public Dakar Dem Dikk qui laisse entrevoir une modernisation du transport, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt du désastre du transport privé entre les mains de chauffeurs indisciplinés qui méprisent toutes les règles du code de la route et les voyageurs, sans oublier l’inconfort et l’insécurité dans lesquels, ils les installent. A la vérité, certains d'entre eux sont bien mal habillés et ont un comportement indigne d'un métier de service. Comment peut-être par exemple conduire un taxi avec un sous vêtement ?
Ce qui est surtout déplorable à constater, c’est ce transport privé entre les mains de l’informel et fondé sur la perpétuation des pratiques en total déphasage avec la modernité. Les chauffeurs ne sont pas pour la plupart instruits et méconnaissent les codes du monde moderne : le GPS, Google pour la localisation, la notion de service et d’accueil du voyageur. Imaginez une seconde, l’étranger qui arrive à l’aéroport et qui se retrouve face à un chauffeur de taxi qui ne sait pas communiquer avec lui. Non seulement le taximan de l’aéroport représente la vitrine du Sénégal, mais son comportement va en dire long sur le pays où ce touriste ou homme d'affaires a atterri. On est en effet loin du taxi New Yorkais, au pays de l'oncle Sam où ce sont des compagnies qui gèrent les taxis et peuvent contrôler la qualité de service, sans oublier le confort, la propreté, l’accueil et la sécurité. C’est vers un modèle similaire qu'il faut sans doute se s'orienter. C'est là le vrai challenge et non cette fuite en avant des autorités, au regard du contexte.
Il s'agit de s'orienter vers le renouvellement du parc de taxi, de mini cars en songeant à la mise en fourrière des Ndiaga Ndiaye et cars rapides. Une option qui peut progressivement se faire et suivant une périodicité raisonnable, avec des véhicules dotés du confort adéquat. Mais un renouvellement du parc qui ne peut fonctionner sans des chauffeurs formés à adopter les codes d’une société moderne, en vue de meilleures prestations de service. Il ne servira à rien de moderniser le système de transport si le gouvernement prend pour option de faire cohabiter des transports publics modernes avec un système de transport privé archaïque, inorganisé et au parc vétuste. A moins peut-être que le système de transport public soit moderne au point de phagocyter voire de faire disparaître le système privé classique de transport.