NETTALI.COM - Ça y est, la campagne en vue des élections locales du 23 janvier 2022, a été officiellement lancée, ce samedi 8 décembre à 00 heures. 3112 listes sont ainsi en compétition pour tenter de séduire les 6,8 millions d’électeurs, avec des enjeux différents d’une localité à une autre. Mais de quelle utilité peuvent bien se prévaloir au regard de l’expérience de gestion de ces départements et communes pour les populations ?
Difficile de répondre à priori à cette question. Mais ce qui est certain, est que dans leur globalité, ces départements et communes n’ont pas apporté, en termes de gestion de proximité, la preuve de leur efficacité et de leur utilité pour les populations. Il semble même que leurs administrateurs n’aient eu, à vrai dire, de l’utilité que pour eux-mêmes et les salariés.
Mais toujours est-il que les joutes ont en réalité débuté depuis plusieurs semaines pour certains candidats, sans doute effrayés par l'enjeu. Des promenades pour ne pas dire « doxantu » et visites de proximité ont été organisées avant l'heure par Abdoulaye Diouf Sarr, candidat de la coalition au pouvoir, alors que Barthélémy Dias avait lui, pour des raisons à peu près similaires, été embarqué dans un panier à salade pour avoir commis le crime d’avoir fait du porte-à-porte ou plus exactement de la visite de proximité.
Ces élections augurent en tout cas d’un affrontement sans merci entre ces trois grandes coalitions qui se feront face : la coalition au pouvoir, « Benno Bokk Yakaar », « Yewwi askan wi » qui regroupe des forces telles que le Pastef d’Ousmane Sonko, « Taxawu Senegaal » de Khalifa Ababacar Sall, le Pur de Serigne Moustapha Sy, et Wallu Sénégal avec le Parti démocratique sénégalais (Pds) et ses alliés. A ces grandes coalitions, il faut ajouter « Gueum Sa Bopp » de l’homme d’affaires Bougane Guèye Dany, « Gox yu bess » qui regroupe de jeunes partis politiques, des mouvements citoyens et des personnalités indépendantes. Sans compter les listes parallèles nées des flancs de Benno Bokk Yakaar. Bref des affrontements qui risquent d’être bien âpres.
Il convient de souligner qu’elles comportent plusieurs enjeux. Dakar est naturellement la première ville à surveiller. La capitale du Sénégal est en effet très convoitée. Et c’est le Président Macky Sall et le candidat qu’il a choisi pour Benno, qui jouent gros. Abdoulaye Diouf Sarr n’a pas le droit de perdre. Mais son principal concurrent dispose de forces non-négligeables. Barthélemy Dias, candidat de « Yewwi askan wi », part avec de réelles chances de victoire. Lui qui bénéficiera certainement du vote jeune, mais aussi des partisans d’Ousmane Sonko ou encore du Pur de Serigne Moustapha Sy. Mais Abdoulaye Diouf Sarr pourra aussi compter sur le soutien de la communauté léboue, en plus des forces de Benno qui semblent encore unies en dépit de la candidature de Mame Mbaye Niang. Le duel Barthélemy-Diouf Sarr sera sans doute arbitré par Pape Diop de Bokk Gis Gis et Doudou Wade, candidat de Wallu Sénégal. Mais aussi Soham Wardini, le maire sortant. Les enjeux sont presque les mêmes dans les 19 autres communes de la capitale.
Autre zone à fort enjeu : Ziguinchor. Dans la capitale du Sud, c’est la candidature du leader de Pastef qui rend l’élection particulièrement intéressante. Ousmane Sonko va briguer le fauteuil de maire. Toutefois, s’il part favori, rien n’est joué à Ziguinchor dont le maire sortant, Abdoulaye Baldé, est candidat à sa propre succession. Sans oublier Benoît Sambou qui défendra les couleurs de la mouvance présidentielle aux côtés de Seydou Sané.
Thiès, Saint-Louis, Kaolack, Louga, Fatick… sont aussi des zones à surveiller. Dans la capitale du rail, c’est la page Idrissa Seck qui risque de se tourner si jamais les candidats issus de son parti ne l’emportent pas. C’est le cas notamment de Yankhoba Diattara qui brigue le fauteuil de maire de ville. Un fauteuil que veulent également Babacar Diop de « Yewwi askan wi » et Talla Sylla, candidat à sa succession. A Saint-Louis, le gendre du chef de l’Etat voudra garder son fauteuil. Pour ce faire, il lui faudra se débarrasser d’Abba Mbaye de « Yewwi askan wi », Mary Teuw Niane…
Beaucoup voient en effet derrière cette élection, un premier tour de la présidentielle de 2024. Pour ces derniers, une défaite dans les grandes villes va définitivement convaincre Macky Sall du risque qu’il y a de tenter un troisième mandat.
Benno bande ses muscles financiers
Elles sont, quoi qu’il en soit, bien là ces locales avec leurs cortèges de nervis, de suiveurs, de « perdiemisés », de véhicules impressionnants notamment des 8 x 8 (grosses bouffeuses de carburant), leurs nuisances à coups de décibels, leurs affiches, leurs flyers, leurs repas abondants, mais aussi leurs concerts de promesses. Et l'on ne peut manquer de se demander où ils ont bien dû trouver tout cet argent, surtout au moment où l’on parle beaucoup de levées de fonds pour en douter, de détournements et de mauvaise gestion des sociétés d’Etat. Qu'on ne prenne pas les sénégalais pour des demeurés, tout le monde sait qu'il n'est nullement question des salaires de ces DG et ministres qui ont été consacrés à ces élections. A titre d’exemple, la coalition Benno bokk yakaar (Bby) a fini de regrouper un important budget de campagne pour remporter haut la main les élections locales du 23 janvier 2022. Plus de 3,5 milliards FCfa ont ainsi été mobilisés, si on en croit certaines informations ayant circulé.
Le Président Sall et ses alliés de Benno ne comptent laisser aucune chance aux opposants qui cherchent s’imposer dans les 43 départements, les 552 communes et les 5 villes. Conscients des enjeux des Locales du 23 janvier, le Patron de Benno Bokk Yakaar et ses alliés n’ont pas lésiné sur les moyens. Comme à ses habitudes, durant toutes les joutes électorales, la coalition au pouvoir a dégagé au niveau central, une forte somme pour appuyer sur le terrain ses différents candidats aux Locales. Toutes les têtes de listes de Benno bokk yakaar ont, chacune, sa part du trésor de guerre. Sans discrimination, a-t-on assuré. Les soutiens et financements variant entre 6 et 10 millions de francs Cfa, selon les communes, départements et villes et l’enjeu du scrutin dans chaque localité.
En plus de ces financements du niveau central de Bby, il y a eu des appuis spéciaux accordés aux différents candidats de la coalition.
Et l’on a aussi appris que pour rassembler ce budget de plus de 3,5 milliards FCfa, la coalition de Macky Sall avait déjà pris, depuis fort longtemps, les devants pour renflouer ses caisses. Une note interne de la coalition avait imposé la cotisation aux cadres, dont le chef de l’Etat, Macky Sall lui-même, et les présidents et présidentes des institutions membres de Benno bokk Yakaar.
Pour l’heure, il est bien difficile avec ces locales, de voir des idées originales fuser. La vérité est que les candidats sont en panne de programmes originaux et dignes de ce nom à même de faire la différence, si ce n'est de vendre de la nouveauté et de la rupture dans tous les domaines. Comme lors de ce meeting de Diouf Sarr aux Parcelles, où il a déclaré vouloir faire de Dakar « la première capitale du monde», précisant que c’ « est possible si l’on demande via les urnes à ces gens qui sont là depuis 2014 » tout en dévoilant certains axes de son programme comme « l’instauration de la conférence territoriale de Dakar qui va se réunir chaque année pour lister les priorités» et « guider la mise en œuvre des opérations de développement », la « création d’emplois »…
Mais un meeting de lancement de la campagne d’Abdoulaye Diouf Sarr qui s’est toutefois déroulé dans un climat de tensions marqué par la désorganisation et de fortes tensions entre responsables politiques, malgré la foule des en fin d’après-midi, au stade municipal des Parcelles-Assainies. L’accès à la tribune officielle se transforme en ring de boxe. Les services d’ordre des principaux leaders de Benno comme Cheikh Ba (Médina), Alioune Ndoye (Dakar-Plateau) et l’ancien ministre des Affaires étrangères Amadou Ba qui voulaient installer leurs leaders sur la tribune officielle s’écharpent rapidement avec le service d’ordre du meeting. De ce fait, bousculades, échanges de coups, menaces et intimidations prennent rapidement le dessus. Les esprits s’échauffent. Certains leaders comme Aminata Touré et Zator Mbaye, visiblement excédés par cette désorganisation, décident de quitter les lieux avant l’arrivée de la star du jour
Ousmane Sonko précise sa pensée
Ousmane Sonko a, de son côté, lui, apporté la réplique à ceux-là qui ont profité de sa sortie sur la monnaie locale pour « stigmatiser » la région naturelle de la Casamance, tout en le traitant de « fractionniste ». Celui-ci n’est d’ailleurs pas loin de penser que sur le plan des idées, la coalition au pouvoir ne peut compétir. Il a à cet effet fait savoir que « La stigmatisation de la Casamance doit cesser », laissant entendre que Macky Sall est le premier président du Sénégal à jouer sur l’ethnicisme et le régionalisme en faisant valoir cette histoire de titre foncier qu’est le Fouta.
Cette idée de monnaie locale complémentaire, le leader de Pastef la voit comme un moyen de promouvoir l’économie sociale et solidaire afin de lutter contre les fractures sociales. Il a ainsi tenu à la repréciser en présence d’Aïda Mbodji, Khalifa Ababacar Sall, Déthié Fall, El Hadji Malick Gackou, Cheikh Tidiane Dièye, Guy Marius Sagna, Cheikh Tidiane Youm… Les leaders de la coalition Yewwi askan wi étaient presque tous à Ziguinchor. Sa monnaie locale ne serait nullement un remplaçant au franc Cfa. Puisqu’il sera juste question de récupérer le Cfa en circulation pour donner aux populations «un autre instrument d’échange qui sera appelé Eco ou Kodo» et utilisé dans l’espace intégré pour les échanges avec un surplus de Cfa récupéré qui pourra être utilisé pour financer les infrastructures et autres», Tout cela pour donner une idée du discours polémique et musclé. Aucun cadeau à priori à se faire.
A Dakar Soham Wardini égratigne ses anciens amis et leur demande de promettre des choses réalisables. Elle promet également de travailler en toute intelligence avec l'Etat. Même réaction que Pape Diop qui fait remarquer que "Dakar n'a connu aucun changement depuis son départ". A la Médina et à Guédiawaye, les hostilités sont déjà ouvertes. Et Cheikh Ba, de déclarer que "si l'Etat est défaillant pour assurer la sécurité, nous allons faire face". A Guédiawaye, les pro Ahmeth Aidara et pro Aliou Sall s'entretuent avant l'heure.
La pandémie zappée
Mais ce qui est surtout étonnant et dommage à constater, c’est le fait que les différents états-majors n'aient cure de cette pandémie. Ni même le chef de l’Etat qui s’en était allé à Fatick apporter son soutien à son candidat local Matar Ba qui semble bien en difficulté. Avec le prétexte de l’inauguration d’une mosquée, il a rassemblé du monde. Ses soutiens aussi dont Youssou Ndour et Gaston Mbengue ne se sont d’ailleurs nullement gênés d’organiser leurs spectacles en rassemblant des populations, lors d'un concert et d'un combat de lutte. Face à la conquête du pouvoir, rien ne semble plus arrêter les politiciens. Ils ont besoin de foule et de faire accréditer l'idée qu'ils sont aimés et adulés par les populations. Sauf que la foule et le bétail électoral acheté à coups de milliers de francs n’est plus un baromètre suffisant pour jauger sa popularité.
Une supposée bonne gestion de la pandémie d’ailleurs que les soutiens de Diouf Sarr n’ont pas eu la pudeur de brandir comme caution de la candidature de ce dernier. Un argument évidemment faux puisqu'on sait bien que la gestion a été catastrophique. Rien que le faible taux de vaccination, les mesures levées sous la contrainte des manifestations des transporteurs et des populations ainsi qu'une démission de l'Etat, sans oublier les nombreux couacs communicationnels, tantôt sur les dons de vaccins et tantôt sur leur coût estimé à 2 milliards, prouvent le contraire. Qu’ils cessent de jouer avec l'intelligence des sénégalais et des électeurs, ces influenceurs sans arguments factuels. Les Sénégalais sont bel et bien présents et ont vécu cette grosse galère qui a amoindri les revenus des bonnes dames et leurs activités commerciales nocturnes ; celles des transporteurs, des hôteliers, les restaurateurs, etc
L'utilité des communes et départements en question
A la vérité, ce qui est le plus désolant, c’est qu’on en soit réduits à se demander à quoi servent réellement les mairies et les départements dans un pays où la gestion de proximité est loin d’avoir prouvé son efficacité et son utilité. Elle est même loin d'être évidente au regard des budgets dérisoires des communes. L'acte 3 de la décentralisation n'a été là que pour ériger des communautés rurales en communes et quelques autres aménagements politiciens etc. Il n'a pas apporté la preuve d’une vraie innovation.
En dehors de la coopération décentralisée et de l'apport des immigrés pour aider leurs terroirs d'origine, la gestion des communes et départements s'est résumée pour beaucoup, à la multiplication des occupations anarchiques de l'espace public en vue d’obtenir un impôt local, et au dépeçage du foncier pour en tirer des subsides. Il s'agit dès lors d'avoir une certaine expérience de la gestion et de ce coup de génie pour arriver à assurer des revenus conséquents de manière à pouvoir entreprendre des chantiers pour le bénéfice des populations locales.
Or, beaucoup de ceux-là qui aspirent à la gestion des mairies, souffrent d'un manque d'expérience et de compétence dans la gestion, n'ayant jamais eu comme activité, pour certains que la politique, lorsque d'autres sont sans emploi. Il s’agit aussi et surtout de conjuguer avec la difficulté de gestion de villes stratégiques telles que Dakar, laquelle, risque d’être un parcours du combattant pour le maire, sans une collaboration franche et concertée avec l’Etat central. Demandez à Khalifa Sall qui en a fait les frais. Sacrée caisse d’avance, elle a été un vrai casse-tête pour lui ! Les emprunts obligataires de la ville aussi, avaient été bloqués. Avec les expériences globales de gestion, l'on a fini par croire que si certaines mairies n'avaient pas existé, la situation aurait été pareille. Espérons que ces candidats indépendants et ces chefs d'entreprise candidats, arrivent à changer la donne. Mais avant, il faut qu'ils arrivent à la tête des communes et départements. Et c'est cela l'obstacle à franchir d'abord.