NETTALI.COM - Mali, Guinée, Nigéria, Sierra Leone, Libéria, Ghana, Côte d’Ivoire, Gambie, Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Togo, Bénin, etc, tous ces pays africains ont connu des coups d’Etat avec des dates plus lointaines situées au début des indépendances pour les deux derniers cités. Il n’y a que le Sénégal qui fait exception dans cette région ouest-africaine.
De quoi se poser des questions sur un phénomène qui ne peut s’expliquer que par un accouchement difficile de la démocratie en Afrique. Le non-respect des règles démocratiques par les gouvernants, une fois installés au pouvoir, en est la principale cause.
Georges Weah, le président libérien qui s’exprimant lors d’un sommet virtuel extraordinaire des chefs d’Etatde la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sur la Guinée, s’était d’ailleurs permis d’interroger ses pairs sur les causes profondes des putschs dans la sous-région, à la lumière du coup d’Etat survenu à Conakry. «Est-il possible qu’il y ait une corrélation entre ces événements et les situations politiques où les constitutions sont modifiées par les titulaires pour supprimer les limites de mandat par le biais de référendums ? » « Ou bien pourrait-il s’agir d’une simple coïncidence ? Si la suppression de la limite des mandats sert de déclencheur pour le renversement de gouvernements, alors peut-être que la CEDEAO devrait faire tout son possible pour s’assurer que les limites des mandats dans les constitutions de tous les Etats membres soient respectées », avait ajouté l’ancien footballeur.
5 ans pour une transition, ce n’était pas dans le schéma de départ puisqu’il était prévu d’organiser les élections en février 2022. Une période de transition de 5 ans issue d’une proposition des participants aux « Assises nationales de la refondation », présentées comme la phase finale des consultations préalables à des élections et à un retour des civils au pouvoir au Mali.
Il est ainsi question de prolonger l’actuelle transition de « six mois à cinq ans » qui se traduit en termes d’objectif, par une mise en place de réformes institutionnelles en vue d’organiser des élections. Ce qui n’est toutefois pas sans poser l’équation d’un pays coupé en deux et dont la moitié du territoire échappe aux autorités. Un contexte qui ne semble en tout cas pas compatible avec l’organisation d’élections.
Mais il n’y a pas que cela, d’autres propositions accompagnent cette transition. Notamment la réduction du nombre de partis politiques avec des conditions restrictives de création et de financement, l’élaboration d’une nouvelle Constitution avec un nombre réduit d’institutions, ou bien la mise en place d’un Sénat et d’une Cour des comptes, d’un organe unique indépendant de gestion des élections ou encore l’élaboration d’un mécanisme constitutionnel de destitution du président de la République en cas de forfaiture, etc. Bref le scénario idéal pour faire fonctionner une démocratie digne de ce nom.
Une durée qui a en tout cas du mal à résonner dans les oreilles des chefs d’Etat de la Cedeao. Et même la Guinée qui a pris l’option de collaborer avec le Mali en ne fermant pas ses frontières, semble agir par opportunisme. Elle est non seulement dans la même situation d’une junte au pouvoir, mais encore, elle pourrait, dans un futur proche, être soumises aux mêmes exigences. N’oublions pas aussi que la junte au pouvoir en Guinée, a surtout été frustrée de n’avoir pas été associée aux discussions.
Mais qu’importe le désaccord sur la durée de cette transition, les Maliens sont d’accord. Ainsi que l’attestent ces rassemblements monstres et impressionnants à travers le Mali, ce vendredi 14 décembre avec des Maliens qui ont répondu massivement par milliers à l’appel à la mobilisation du président de la transition pour protester contre les sanctions de la CEDEAO et l’UEMOA (union économique et monétaire ouest africain).
Une mobilisation d’ailleurs encensée par le Premier ministre de transition, Choguel Kokalla Maïga, devant des milliers de Maliens massés dans la capitale sur la place de l'Indépendance. Celui-ci ne s’est d’ailleurs pas gêné, dans une harangue aux forts accents de patriotisme, de résistance et de panafricanisme, à revendiquer la souveraineté malienne. Celui qui a troqué pour la circonstance son habituel boubou pour l'uniforme, a convoqué l'histoire de la résistance au "colonisateur" français pour ajouter, dans un fort accent populiste que "ce sont les enfants, fils et arrière-petits-fils de ces hommes-là qui sont à la tête de l'État aujourd'hui" prédisant que "Dieu et le peuple sont avec le gouvernement de transition […]. Tous ceux qui vont se mettre contre cette transition, Dieu ne les aidera pas, Dieu va leur barrer la route". Les orateurs n’ont en tout cas pas été tendres avec l'organisation des États ouest-africains de la Cédéao, exaltant tour à tour la souveraineté malienne, fait ovationner l'armée ou réclamer le désengagement de la France.
Même le nom du président russe, Vladimir Poutine, a été scandé pour exprimer le vœux, nourri par une partie de la population, d'une intervention russe. Le chef du gouvernement a dans la foulée remercié la Russie et la Chine de s'être opposées mardi à l'adoption au Conseil de sécurité d'un texte soutenant les sanctions de la Cédéao contre le Mali.
Toujours est-il que la Cedeao aurait gagné à être plus conséquente en utilisant d’autres mesures telles que par exemple déclarer persona non grata les militaires au pouvoir pour limiter leurs mouvements ; voire geler leurs avoirs, si tant est qu’ils ont eu le temps d’en constituer. Et même si par rapport à ces sanctions, une exception est faite pour les biens de consommation essentiels, les produits pharmaceutiques, les fournitures et équipements médicaux, les produits pétroliers et l’électricité, la décision de fermeture des frontières terrestres et aériennes ainsi que la suspension de toutes les transactions commerciales entre les pays membres de la Cedeao et le Mali, ne peut avoir des conséquences néfastes que pour les populations et de nombreux impacts sur la situation géopolitique et sécuritaire au Mali en proie à une insurrection djihadiste. Des experts prédisent d’ailleurs qu’un affaiblissement du régime de Bamako pourrait entraîner une dégradation du climat sécuritaire susceptible de nuire à la stabilité dans les pays voisins du Mali.
Des sanctions qui ont évidemment entraîné le raidissement des positions. Pour des raisons de réciprocité, la junte malienne, dirigée par le lieutenant-colonel Assimi Goita, avait déjà décidé de la fermeture de toutes les frontières du Mali avec les pays membres de l’union et du rappel des ambassadeurs maliens en poste dans l’espace CEDEAO, le lundi 10 janvier. Pourtant, devant l’imminence des sanctions, les émissaires de la junte avaient tenté de convaincre les chefs d’Etat ouest-africains des bonnes dispositions de la junte malienne à continuer le dialogue. Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, avait tenté, ces derniers jours, de calmer le jeu et insisté sur le fait que ce nouveau délai, proposé le 31 décembre à l’issue des assises nationales, n’était qu’une « base pour la négociation ».
Le lieutenant-colonel Abdoulaye Maïga, Ministre malien de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, est même allé plus loin pour proposer que les cinq ans soient ramenés à deux. Mais l’organisation sous-régionale a finalement décidé de jouer la carte de la fermeté. Une sorte de surenchère qui ne peut conduire qu’à l’impasse de part et d’autre. Mais toujours est-il qu’on a affaire là, à une situation qui ne fait nullement les affaires du Sénégal et certainement pas de la Côte d’Ivoire, deux états qui ont des relations commerciales importantes avec le Mali.
Pour l’heure, la Cedeao peine à trouver ses marques et à être vue comme une institution crédible, tant ses décisions continuent avec le temps à étonner. En effet beaucoup voient derrière l’ombre de la France qui sent son pré carré africain lui échapper, menacée qu’elle est par la Chine et la Russie qui cherchent à y accroître leur influence. Des puissances qui se sont d’ailleurs déchirées sur le sort du Mali, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Une sorte de guerre froide ressuscitée.
En effet, si le bloc occidental constitué de la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont rejeté la transition de cinq ans au Mali et soutenu les sanctions annoncées par la CEDEAO, le Conseil a échoué à faire une déclaration commune, face au refus de la Russie et de la Chine d’approuver les sanctions de la CEDEAO. Plus récemment, la Russie avait annoncé qu’elle continuerait à apporter une aide militarisée au Mali via des filières étatiques, selon un haut responsable de la diplomatie russe cité lundi par l’agence RIA, au lendemain d’un démenti de Bamako aux accusations occidentales concernant la présence de mercenaires russes sur le territoire malien. Le Mali, un pays qui souffre pourtant depuis plus d’une décennie, alors que seuls 38 % de l’aide internationale promise ont été décaissés. Des communautés (Peuls et Dogons) s’entretuent sans qu’aucun des 5 000 soldats français ne daigne lever le petit doigt. De quoi se poser la question sur l’apport de tous ces pays pour cet Etat au territoire ô combien vaste et coupé en deux.
Les récentes sorties musclées d’il y a quelques mois d’Emmanuel Macron contre le Premier ministre malien de transition Choguel Maïga - une charge incendiaire et violente - montre à quel point le pays Marianne joue son honneur atteint, eu égard à son attitude jusqu’au-boutiste avec des propos frisant le manque de sang-froid. Le président français était même allé jusqu’à qualifier de « honte », les accusations d’ « abandon » du Mali par la France portées par le Premier ministre de transition, à la tribune de l’ONU. « J’ai été choqué. Ces propos sont inacceptables (…) Alors que nous avons présidé à l’hommage national au sergent Maxime Blasco (tué au combat au Mali, ndlr), c’est inadmissible. C’est une honte et ça déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement », avait-il déclaré. Avant d’ajouter : « Je sais que les Maliens ne pensent pas ça ».
Emmanuel Macron ne s’en était pas arrêté là, il s’était dans la foulée même permis des comparaisons avec d’autres présidents africains, estimant que l’instabilité politique malienne « n’est pas une fatalité », citant l’exemple du Niger, pays voisin du Mali, où il y a « un président courageux, le président Bazoum, après un autre président courageux, le président Issoufou, qui font le maximum, se battent pour leur peuple, l’éducation, la santé… », précisant qu’ « ils font un travail admirable ».
Paris répondait ainsi aux propos du Chef du gouvernement malien Choguel Kokalla Maiga qui avait ainsi déclaré : « l’annonce unilatérale du retrait de Barkhane et sa transformation n’ont pas tenu compte du lien tripartite qui nous lie, c’est-à-dire l’ONU et le Mali en tant que partenaires engagés avec la France sur le front de la lutte contre les facteurs de déstabilisation (…) Aussi, la nouvelle situation née de la fin de l’opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et les moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autre partenaires, de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer par la fermeture de certaines emprises de Barkhane dans le Nord de notre pays ».
En outre, le gouvernement malien avait déclaré dans un communiqué, en invoquant que dans l’exercice de sa « souveraineté » et « le souci de préserver son intégrité territoriale », qu’il « ne permettra à aucun Etat de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il peut solliciter ou pas ».
Pour sa part, la ministre des Forces armées françaises, Florence Parly, avait indiqué que le Mali perdrait le « soutien de la communauté internationale » et abandonnerait des « pans entiers de sa souveraineté », s’il fait recours aux mercenaires de la société privée russe Wagner.
Des attaques par presse interposée qui ont surtout conduit à une escalade verbale, à un point tel que Bamako avait été obligé de convoquer l’ambassadeur de France après les propos jugés « regrettables » du président Emmanuel Macron à l’encontre de la junte militaire. Au Sahel, où elle intervient militairement depuis 2013 contre les groupes jihadistes, la France a entrepris en juin de réorganiser son dispositif militaire avec une réduction de ses effectifs d’ici à 2023 à 2.500-3.000 hommes, contre plus de 5.000 aujourd’hui.
Des échanges verbaux intervenus dans un contexte où les Français ont vu leur influence contestée au Mali, notamment par la Russie. La diplomatie s’était ainsi mise en oeuvre pour calmer le jeu après les intimidations de la France et l’appel adressé aux dirigeants de la junte afin « qu’ils respectent leurs engagements : qu’en février, il y ait des élections, qu’ils arrêtent de mettre en prison les opposants politiques, qu’ils fassent leur travail, c’est-à dire le retour de l’Etat, ce qu’ils ne font pas depuis des mois ».
Mais au-delà, lorsqu’on fait un tour d’horizon de la démocratie en Afrique, l’on se rend bien compte que l’état de celle-ci est loin d’être fameuse. Ironie de l’histoire, Alassane Ouattara qui fait partie de ces chefs d’Etat qui ont décidé des sanctions contre le Mali, n’est pas exemplaire de ce point de vue-là. Il s’était pourtant rétracté, après avoir renoncé à sa candidature à la présidentielle de Côte d’Ivoire. Il avait fini par gagner l’élection avec un score soviétique. Ce qui n’avait pourtant point choqué ces occidentaux qui brandissent toujours la carte démocratique pour soutenir un pays. Pour rappel, Ouattara avait été réélu dès le premier tour avec 95,3 % des voix et un taux de participation de 53,9% après avoir exilé et fait condamner Soro ; puis retenu Gbagbo en Belgique, malgré son acquittement par la justice. L’espace politique africain francophone regorge en effet de dinosaures au pouvoir, voire de systèmes familiaux qui se sont perpétués : Paul Biya, Denis Sassou Nguesso, Ali Ben Bongo, Faure Eyadéma, sont de parfaits mauvais exemples. Qu’a pensé la France du remplacement d’Idriss Déby au pouvoir par son fils ? Eternel recommencement devrions-nous dire avec les Bongo, Eyadéma, jusqu’à la tentative au Sénégal avec Me Wade qui a voulu propulser son fils Karim. Un projet qui a connu un échec !
Mais, au-delà, c’est la démocratie qui, loin d’être un système parfait, qui est à interroger. Qui doit vraiment décider de la limitation des mandats ? Le peuple ? Les Présidents ? Les occidentaux ? Les députés ? Certainement pas les occidentaux. Car chaque pays a sa spécificité, même si en Afrique, il ne faudrait guère laisser cette tâche aux présidents qui ne s’embarrassent de guère de les prolonger. Aux Etats Unis par exemple, les mandats sont, suivant une logique devenue une coutume constitutionnelle, limités à deux. En Allemagne, Angela Merkel a obtenu 4 mandats, sans que cela ne gêne les Allemands ! Au Rwanda, Paul Kagamé trône à la tête du pays depuis 2000 ( c’est à dire 21 ans). Et pourtant, il est tout le temps chanté comme l’un des meilleurs, sinon le meilleur, dirigeant d’Afrique. Ses réalisations sont saluées par son peuple et l’Afrique.
Difficile en effet de dire quelle est la bonne formule. La question de la limitation des mandats est en effet un vaste sujet avec des fondements ô combien discutables. Mais, toujours est-il qu’une fois, une constitution adoptée avec une limitation des mandats consacrée, il devient impératif de s’y conformer. Condé a fait les frais d’un 3ème mandat forcé. A qui le tour ? Le Sénégal est lui toujours empêtrée dans une polémique sur la possibilité ou non d’un 3ème mandat de Macky Sall.
Il reste peut-être juste à la Cedeao de se remettre en question et d’imposer des chartes intangibles de limitation des mandats dans les constitutions de ses pays membres. Sauf que ceux qui doivent adopter ces changements, sont juges et parties. L’Afrique se retrouve ainsi prise dans son propre piège qui est celui du dur apprentissage de la démocratie. Elle doit désormais s’inscrire dans une logique d’anticipation plutôt que d’être à la solde des occidentaux qui n’ont que leurs intérêts en bandoulière. Russie, Chine, France, Etats Unis, tous ces pays n’aiment pas particulièrement, ils ne défendent que leurs intérêts avec des méthodes douces, fortes. C’est selon. Dans le cas de la France le rapport historique avec le Mali pèse fortement. Et l’histoire nous apprend aussi que lorsqu’on tient tête à la France, elle a tendance à beaucoup plus faire preuve de respect. Mais attention, quelle que soit la durée de la transition au finish, que les populations maliennes ne se réveillent pas un jour pour réclamer davantage de démocratie.