NETTALI.COM - C’est un lendemain bien enchanteur pour la Coalition « Yeewi askan wi » que ce lundi qui a suivi la fin des locales du dimanche 23 Janvier. Comme à l’accoutumée en période d’élections, les chaînes de télé et de radio, sans oublier les sites d’informations et les réseaux sociaux, ont commencé à balancer les résultats, suivant les PV sortis des bureaux de vote et à révéler les noms des candidats vainqueurs dans les différentes localités. Puis ce fut le lundi autour de la presse écrite, de reprendre en chœur avec un peu plus de recul et d’évolution, les résultats suivant les tendances.

« Yeewi prend le pouvoir », yeewi la razzia », « le grand séisme », « un autre vent souffle », « la grande punition » (allusion faite à Benno), « l’ouragan Yeewi emporte tout sur son passage », « alerte au 3ème mandat », « le vent Yaw souffle sur le pays », « BBY, la déroute », « Sall fin de Macky », le naufrage de BBY », « tendances défavorables à BBY – Dakar danse le Dias », « tsunami électoral », « Benno perd la bataille capitale » etc. De quoi refroidir l’ardeur des défenseurs les plus zélés et les plus téméraires de la coalition au pouvoir, tant l’unanimité s’est faite autour de cette victoire de « Yeewi askan Wi ».

Benno revendique sa victoire

Mais c’était sans compter avec la détermination des leaders de la coalition « Benno Bokk Yaakaar » qui, en conférence de presse de ce lundi 24 janvier, ont pris le contrepied pour démentir la victoire attribuée à YAW. Selon eux, contrairement à ce que les gens pensent, leur coalition a remporté ces élections locales. « En l’état actuel des grandes tendances, il ressort clairement, et de façon irréfutable, que la coalition Benno Bokk Yaakaar gagne massivement ces élections », a déclaré, Elhadj Kassé. Qui n’a pas manqué d’expliquer que sur 43 départements, 32 ont été gagnés par la coalition « Benno Bokk Yaakaar » et que les tendances dans 7 autres départements leur sont largement favorables. « Soit un total de 39 départements sur les 43 », a-t-il indiqué.

Celui-ci a d’ailleurs ajouté que 10 capitales régionales ont été gagnées par « Benno Bokk Yaakaar ». « Nous en avons perdu 4 sur 14 régions que compte le Sénégal : il s’agit de Dakar, Ziguinchor, Kaolack et Diourbel », a expliqué M. Kassé.

Selon le membre de l’Apr, toutes les remontées d’information en cours renseignent que la coalition Benno bokk Yaakaar gagne une très grande majorité des communes à travers le Sénégal. « À la lumière de ces faits, Benno Bokk Yaakaar conserve intacte son hégémonie à l’échelle nationale. Oui nous avions un double objectif de conquête de Dakar et de Ziguinchor. Hélas cet objectif n’a pas été atteint », a-t-il fait remarquer.

Tout ceci montre en fait qu’au royaume de la surenchère verbale, tout devient possible. Tout dépend en effet du bout par lequel on prend les choses. Qu’Abdoulaye Sow cherche à expliquer que BBY a gagné 38 départements et les ¾ des collectivités, l’on peut bien tenter de comprendre la logique arithmétique primaire qu’il invoque et qui veuille que toutes les villes soient de même taille et de même importance ! Qu’il nous dise que si on avait affaire à une élection présidentielle, ils seraient largement arrivés en tête, est un argument qui peut laisser songeur. Que Sow n’oublie surtout pas que ces élections sont d’abord locales et qu’il y a dans certains contrées, un vote purement local. Difficile donc de voir la pertinence de son raisonnement.

Mais, sur un autre plan, ces élections ont toutefois, une saveur présidentielle pour le chef de l’Etat qui s’y est particulièrement investi en faisant des tournées économiques et inaugurations (à Fatick notamment), en choisissant ses têtes de listes, tout en bénissant des listes parallèles. Mais de là à vouloir transposer les résultats dans un contexte présidentiel ! Et si on s’amusait à demander à "Benno" d’échanger certains résultats notamment ceux de Dakar, Diourbel, Ziguinchor, Thiès, Kaolack, Guédiawaye, etc, avec ceux de certaines contrées de faible envergure ?  Le choix des grandes villes serait vite fait. La bataille de Dakar a toujours été qualifiée de « mère de toutes les batailles » ; Ziguinchor, un haut lieu stratégique où Sonko jouait sa crédibilité ; Thiès, ville jadis indéboulonnable pour Idy, mais symbole de l’alliance Macky-idy ; Touba, 2ème ville du Sénégal en termes de population, mais ô combien symbolique et où le maire est élu par des bulletins blancs, la seule collectivité locale du Sénégal où, pour les élections municipales, il n’y a qu’une seule et unique liste (77,12 % de bulletins blancs ont été recensés pour un maire élu à 22,88 % des voix) ; Kaolack, Rufisque, Sangalkam, Guédiawaye, etc, tombés dans l’escarcelle de l’opposition.

Invité ce lundi soir 24 janvier chez Pape Ngagne Ndiaye sur la TFM, Moustapha Diakhaté a expliqué que la coalition BBY n’a pas perdu Dakar puisqu’elle ne l’a en réalité jamais gagnée. Un argument certes pas faux, mais en même temps fondé sur une question de sémantique. En effet, les locales de 2014 et 2019 ont été remportées à Dakar par Khalifa Sall, même si Macky Sall avait tout fait pour prendre le contrôle de la capitale.

Moustapha Diakhaté a été rejoint dans son argumentaire par Me Ousmane Sèye, également invité qui n’avait visiblement pas d’arguments si ce n’est d’être toujours du côté du pouvoir. Une sorte de posture politicienne qui traduit une volonté de ne pas reconnaître la réalité car au fond, ce que BBY souhaitait du fond de son cœur, c’est de mettre la capitale dans sa besace. Ce qu’elle n’a pas réussi à faire.

Entre pertes et victoires de ministres/maires / DG /députés

Réagissant à sa victoire face à Abdoulaye Baldé, Ousmane Sonko de YAW qui mesure pleinement la portée, se projette déjà vers l’avenir en ces termes : « la destination, c’est 2024 et c’est le palais de la République. Je ne vois personne, ni rien, s’il plait à Dieu, qui peut nous empêcher d’arriver à destination.». Ce qui veut dire que le leader de Pastef juge d’une certaine manière la portée de sa victoire.

Mais au-delà de cette victoire, la grande perdante, c’est Soham Wardini, inexistante dans cette bataille capitale au cours de laquelle, elle avait égratigné tour à tour ses adversaires, avant de tenter de faire valoir un bilan, en plus de s’être investie avec de longues caravanes et des affiches dans les rues. Beaucoup avait misé sur un vote féminin, avec cette posture de victime dans laquelle elle avait cherché à se nicher pour n’avoir pas été choisie par l’opposition afin de défendre son bilan. Mais à l’arrivée, c’est Barth qui rafla la mise grâce, avec une victoire très vite annoncée ponctuée de félicitations sans ambages de son rival de ministre de la santé.

Diouf Sarr est en réalité le plus grand perdant de l’histoire, battu qu’il a été dans son fief par un jeune du nom de Seydina Issa Laye Samb. Quid des raisons de sa défaite ? Le journal « Kakatar » à sa une, photo de Diouf assis à côté d’Amadou Ba, coordonnateur national BBY à l’appui,  y est allé de ses commentaires pour évoquer « une unité de façade, guéguerre sourde, listes parallèles, et votes sanctions ». Avant d’ajouter : « malgré une approche consensuelle, le candidat de BBY ne pouvait mesurer l’hypocrisie et le manque d’assises de ses principaux soutiens dans la capitale… » Difficile, en effet, de savoir ce qu’il y a de nouveau sous le soleil, si c’est de nous dire ce qu’on sait déjà  sur les listes parallèles, les guéguerres, les soutiens de façade et les votes sanctions.

En fait de votes sanctions, certains observateurs tels que Moussa Diao de l’Université Gaston Berger ont fait valoir, dans le quotidien « L’Info », que « la défaite des ministres et DG sur lesquels la majorité avait compté, est en fait un échec de la politique gouvernementale, un rejet de la gouvernance politique de la majorité ».

Un autre grand qui a subi un vrai revers, c’est Idrissa Seck. Lui qui s’est aligné dans ces locales avec BBY, a été par des jeunes au centre Malick Kairé Diaw où il a voté. Idrissa Seck, pourtant confiant, a été battu dans son propre bureau de vote. Une première depuis près de 20 ans dans cette ville où son ombre a toujours plané. Au bureau de vote 4, c’est le mouvement République des valeurs/Rewmum Ngor de Thierno Alassane Sall, qui est, figurez-vous, arrivé en tête avec 84 voix, suivi de "Benno Bokk Yaakaar" 66 voix et "Yewwi Askan Wi" 38 voix pour la ville de Thiès.

Même sort pour Moussa Sy des Parcelles Assainies qui a lui aussi perdu au même titre qu’Amadou Ba, l’ancien ministre des Finances et l’ancien ministre de l’Intérieur, Mbaye Ndiaye.

Mais c'est surtout la débâcle de ministres et DG battus qui ont investi énormément d'argent dans cette campagne et dont on ne sait d'ailleurs d'où il vient, qui suscitent des interrogations : Dame Diop de l’emploi à Diourbel, Amadou Hott de l’économie à Thiaroye, Diouf Sarr de la santé à Dakar, Oumar Guèye des Collectivités territoriales à Sangalkalm, de Zahra Iyane Thiam de la Microfinance à la Sicap, Assome Diatta du ministère du Commerce à Keur Massar, Yankhoba Diattara du ministère de l’économie numérique etc.

Mais heureusement qu'il y a eu des ministres vainqueurs : Moustapha Diop de l’Industrie à Louga, Cheikh Oumar Hann de l’Enseignement supérieur à Ndioum, Malick Sall, ministre de la Justice, au Fouta, Abdoulaye Sow du Cadre de vie à Kaffrine, Aly Ngouille Ndiaye, ancien ministre de l’Intérieur, parti sous sa propre bannière à Linguère, Alioune Ndoye de la Pêche au Plateau etc. Des DG vainqueurs ont aussi été enregistrés : Mamadou Ndione du Cosec, Amadou Lamine Dieng, Racine Talla de la RTS, à Wakhinane Nimzatt, Mame Boye Diao etc.

Des DG perdants, il en existe aussi : Ababacar Sadikh Bèye du Port à Derklé ;  Papa Mademba Bitèye, DG de la Senelec officiellement avec un écart de 1756 voix face à Ahmed Youssouph Bengelloun de And Nawlé/And Ligueey, le jeune inspecteur des impôts qui s'était rebellé des rangs de BBY,  ; Cheikh Bakhoum à Grand Yoff ; Lat Diop à Guédiawaye. Des résultats litigieux, il y en a, comme ceux de Cheikh Ahmed Tidiane Ba à la Médina face à Bamba Fall et Cheikh Dieng de Walu face à Abdoulaye Thimbo de BBY à Pikine ville de  ont également été enregistrés. Des députés perdants également comme Aliou Dembourou qui a été perdu par ses sabres avant de perdre toutes les communes du département de Ranérou-Ferlo face à la liste parallèle "Buntu bi" victorieuse, conduite par l’inusable Amadou Dawa Diallo, s'est même adjugé la présidence du conseil départemental.

Dans les rangs du Pastef d’Ousmane Sonko, des personnalités de premier rang ont raté leur baptême de feu. Il s’agit de l’avocat, Me Abdoulaye Tall à Mbour, de Bassirou Diomaye Faye à Ndiaganiao et de El Malick Ndiaye à Linguère.

L'Equation de la régularité du scrutin 

Mais dans ces élections, il a été surtout question d’accusations de fraudes. Au départ ou plus exactement à la veille des élections, on était à l’heure de la surenchère verbale entre les différents états-majors politiques, l’opposition pointant du doigt des transferts d’électeurs et des rétentions de cartes. A l’arrivée, c’est « Yeewi Askan wi » qui s’en tire très bien en raflant les grandes villes. Ce qui a fait dire à certains analystes tels que Cheikh Yérim Seck, lors de l’édition spéciale de la TFM du lundi 24 janvier que ces histoires de transferts d’électeurs et de manque de transparence, sont de faux problèmes. Et celui-ci de se demander pourquoi les opposants n’ont pas évoqué les mêmes problèmes lorsqu’ils ont gagné ?

Difficile en tout cas pour M. Seck de nous faire croire que les élections ont toujours été transparentes sous nos cieux et que la victoire dans les grandes villes de YAW, doivent laisser croire que c’est le cas. Le cas de Me Wade opposant, est là pour montrer que ce n’est qu’après plusieurs années de traversée du désert et au moment de prendre sa retraite politique qu’il est enfin arrivé au pouvoir. Les référendum, modification de cartes électorales, parrainage citoyen, le nombre important de cartes non distribuées, etc, n’ont-ils pas été des artifices pour confisquer et empêcher certains de voter ?

Quelle lecture des résultats ?

L’un des grands enseignements de ces élections locales, est qu’elles préfigurent les législatives, puis la présidentielle pas si lointaine que cela. Difficile de ne pas se rendre compte qu’il y a une part de vote-sanctions contre Macky Sall et une part de sympathie pour YAW qui a raflé la mise en faisant une percée. La preuve par tous ces maires anonymes de communes qui ont été élus sur la seule base de leur appartenance à cette coalition.

L’économiste Khadim Bamba Diagne, lors de cette même édition spéciale de la TFM, relevait d’ailleurs que Macky Sall en est arrivé à se croire tout puissant et à faire ce qu’il veut. Le « limogeage de toutes ces intelligences », citant Aly Ngouille Ndiaye, Amadou Ba, Makhtar Cissé, Boun Abdallah Dione, Aminata Touré etc, empêche le président d’avoir de bons conseils.

Des élections locales qui ont en tout cas fini de saper la confiance de BBY, malgré cette logique arithmétique brandie pour faire croire que Benno a gagné. Elles compliquent d’une certaine manière cette perspective de 3ème mandat pour le président de la République. Car une victoire indiscutable dans ces joutes aurait sans doute pu légitimer cette candidature. Comme cette sortie malheureuse de Mahmouth Saleh qui mettait en garde contre toute défaite dans ces locales qui devraient hypothéquer toute candidature. Difficile en effet de voir comment Macky Sall va reprendre le jeu à son compte ? Mais avec les politiciens, des miracles sont toujours possibles ? Peut-être en tentant de casser l’alliance Yaw, quitte à faire voter une loi d’amnistie qui profiterait à Khalifa Sall et Karim Wade. Une autre trouvaille serait peut-être de mettre un coup de pied dans la fourmilière en changeant de paradigmes qui consisteraient à poser des actes forts voire en initiant des réformes : dans la justice par exemple ; en enlevant du coude certains dossiers ; en remettant de l’ordre dans ces sociétés publiques où l’on a de cesse de parler de détournements et de marchés gré à gré.

Au-delà, se pose l’équation du maintien ou non des DG et ministres perdants à qui on avait promis le sabre. Macky Sall va-t-il mettre sa menace à exécution ? Lui seul sait. L'atmosphère a en tout cas dû être bien glaciale, lors de ce Conseil des ministres du 26 janvier au cours duquel le président de la République a annoncé l’arrivée imminente d’un Premier ministre. En effet, la tournure des élections locales fait que nul ne sait s’il sera reconduit ou pas dans le prochain gouvernement. Les résultats sont catastrophiques, malgré le discours triomphaliste des tenants de la coalition. Macky Sall se voit ainsi contraint de réagir et dans ce sens, et le choix du Premier ministre sera déterminant. Et c’est justement ce qui inquiète au sein des troupes. De lui dépendra le profil des ministres qui vont être nommés. Car nombreux sont ceux qui sont sur la sellette. La question dès lors est de savoir si le président Macky Sall va reconduire un gouvernement composé de profils politiques ou s'il va miser sur des technocrates ? Dans tous les cas, est annoncé un gouvernement de combat pour parachever les chantiers du président Macky Sall. Car les élections législatives sont bien proches et l’opinion publique loin d'être favorable.

Le président doit en tout cas être plongé depuis le verdict inattendu des urnes, dans une grande introspection, sans doute perturbé par ce scénario imprévu. Pour l’heure, un soutien encombrant en la personne de Gaston Mbengue est sorti des bois pour dire tout le mal qu’il pense de Mahmouh Saleh. C’est dans « Direct News » de ce mardi 25 janvier. « Ceux qui sont autour du président de la république le trompent. Ils ne vivent que pour leurs propres intérêts – Des gens comme Mahmouth Saleh l’ont induit en erreur lors des investitures. Ils ont fait du n’importe quoi – Les investitures ont été vendues – on doit féliciter les vainqueurs de l’opposition et les accompagner pour le bien du Sénégal ». Ce cher Gaston doit sans doute regretter d'avoir proféré ses paroles contre ce « cap verdien » de Barth dont « le nom est si minoritaire au Sénégal » qu’il ne peut devenir maire de la capitale ! Avec ces élections, les Dakarois lui ont fait comprendre que ses propos n’étaient qu’inepties ! Mais s'agissant de Mahoumth Saleh, Gaston Mbengue n'est pas le seul à avoir des griefs contre lui. Lors de la matinale de ce mercredi 26 sur la TFM, Aïssatou Diop Fall a trouvé que Macky Sall ne doit plus écouter Mahmouth Saleh et Farba Ngom.

Mais c’est surtout YAW qui a un enseignement à tirer de ces élections. A savoir, son salut qui vient de cette coalition et de l’entente entre les leaders. Une base qu’elle devrait penser à élargir maintenant qu’elle est consciente de sa force. Elle va devenir attractive, mais elle doit rester ouverte en attendant de savoir où mènera cette alliance qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin des législatives. Mais il y a aussi et surtout un enseignement de taille, les Sénégalais semblent avoir manifestement tourné le dos aux partis traditionnels que sont le Parti socialiste, l’Alliance des Forces du progrès (Afp) de Moustapha Niasse et le Parti démocratique Sénégalais (Pds) de Me Abdoulaye Wade qui n’a, en réalité, plus de chef et qui voit son aura s’effriter de jour en jour et ses membres partis vers d’autres prairies.

Bref, des enseignements sont à tirer de ces élections locales, aussi bien du côté du pouvoir que de l’opposition !