NETTALI.COM – Les affrontements armés qui ont opposé des membres du MFDC à des soldats sénégalais intégrés dans la Mission de maintien de la paix de la CEDEAO en Gambie, près de la frontière sénégalaise, ont ravivé le spectre de la résurgence de la crise casamançaise. De nombreuses questions restent en suspens autour de cette attaque qui a comme soubassement le trafic de bois en provenance de la Casamance. Sur le plan diplomatique, une délégation de la communauté catholique de Sant'Egidio est en Gambie depuis le 27 janvier, pour une médiation entre les parties en conflit et la libération des prisonniers des deux côtés.
Le conflit casamançais est venu se rappeler, de triste manière, au peuple sénégalais, avec l'accrochage entre nos “Diambars’’ et des rebelles casamançais appartenant au MFDC, le 24 janvier dernier. Bilan : 4 soldats tués et 7 autres enlevés au sud de Bwain, en Gambie, non loin de la frontière sénégalaise. Cette attaque a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique sénégalaise qui, au fil des années, s’était faite à l’idée d’une résolution du conflit casamançais qui dure depuis 1982.
Après l’hommage rendu par la nation à deux des soldats tombés en Gambie, l'Etat-major de l’armée sénégalaise a indiqué qu’il allait poursuivre les recherches pour retrouver les soldats membres de l’Ecomig, la Mission de maintien de la paix de la CEDEAO en Gambie. Sur le plan diplomatique, le Sénégal a obtenu des assurances du président de la Gambie pour l’ouverture d’une enquête concernant ces incidents.
Médiation de la communauté catholique de Sant'Egidio
Dans un communiqué signé du ministère de l’Information, porte-parole du gouvernement, Adama Barrow a exprimé sa peine le 27 janvier dernier aux forces de l’Ecomig. Il a aussi indiqué être particulièrement “touché par la douleur et la souffrance des habitants des villages frontaliers’’, “assure’’ l’engagement “indéfectible’’ de son gouvernement pour l’instauration d’une paix et une sécurité durables, et demande aux populations de poursuivre leurs activités normales.
Par ailleurs, la communauté de Sant’Egidio a offert ses services de médiation pour démêler cette crise. Leur délégation, arrivée à Banjul, a pu obtenir du MFDC la remise de la dépouille de deux militaires sénégalais. La communauté catholique de Sant'Egidio est impliquée, depuis longtemps dans des médiations pour la résolution de cette crise. En 2012, elle était au cœur des pourparlers entre le gouvernement sénégalais et le MFDC, notamment avec l’un de ses principaux leaders Salif Sadio, longtemps farouche opposant à une solution négociée en Casamance au sein du mouvement irrédentiste.
Ces pourparlers de paix engagés à Rome entre le gouvernement sénégalais et le chef de la branche armée du MFDC, Atika, dirigée par Salif Sadio, entre 2016 et 2017, n’ont pas abouti à un accord définitif visant à mettre fin au conflit et au désarmement des bandes armées liées au MFDC encore actives dans plusieurs zones au nord de la Casamance. La communauté religieuse a aussi indiqué que “les discussions se poursuivent’’ pour la libération des prisonniers : trois du côté du MFDC et sept du côté sénégalais, selon l’Etat-major à Dakar. La communauté catholique s’était distinguée dans une médiation pour la libération de huit otages du MFDC, fin 2012, après un an de captivité.
Le trafic illégal de bois au cœur des incidents
Ce regain de violence survient avec, en toile de fond, un énorme trafic de bois impliquant des commerçants chinois installés en Gambie et des entreprises intermédiaires gambiennes et les membres du front Nord du MFDC. Les rebelles sont accusés par diverses ONG d’être à l’origine du trafic de bois rouge, en favorisant la déforestation des zones sous leur contrôle. Du bois revendu en Gambie.
En effet, le Pterocarpus erinaceus, de son nom scientifique, vène ou palissandre du Sénégal, plus communément appelé le “bois de rose’’, est une espèce rare et précieuse utilisée dans l’industrie de parfumerie et de l’aromathérapie et pour la fabrication de mobiliers et divers objets de luxe en Chine.
Le MFDC au cœur du trafic de bois “rose”
Selon une enquête de la BBC en 2020, le pays avait exporté pour 300 millions de dollars de ce bois sur six ans. Selon une étude de l’Agence d’investigation environnementale (AIE) datant de 2019, la Gambie fonde une grande partie de son économie sur le commerce du bois. Rien qu’en 2017, ce bois représentait environ 50 % de ses exportations. Ce trafic illégal a permis de financer le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) soutenu par l’ancien président gambien Yahya Jammeh. Le MFDC a pu exercer un monopole sur le commerce de bois en Basse-Casamance, en utilisant les profits issus de ce commerce pour financer sa lutte armée”, est-il écrit dans le rapport de l’ONG Trial International. De 2013 à 2017, la Gambie de Yahya Jammeh a exporté plus de 600 000 t de bois rose.
Malgré l’arrivée au pouvoir d’Adama Barrow, ainsi que la présence des forces de la CEDEAO, le trafic n’a pas encore disparu. Des cargaisons de bois quittent les forêts du nord de la Casamance vers la Gambie. Les trafiquants souvent aussi liés à des bandes criminelles n’hésitent pas à user de la violence pour contraindre les populations locales à coopérer dans le trafic. La dernière attaque meurtrière en Casamance a eu lieu le 6 janvier 2018, avec quatorze bûcherons tués dans la forêt classée de Boffa Bayotte, à Niaguiss, dans le département de Ziguinchor, par des assaillants non encore identifiés. Les motifs de cette attaque restent encore inconnus.
Le 28 janvier dernier, dix suspects de ce massacre ont été libérés par le juge d’instruction, au moment de l’ordonnance de clôture de l’enquête. Le reste des prévenus arrêtés attend en détention la date de l’audience du procès qui se déroulera à la chambre criminelle de Ziguinchor à une date non encore déterminée.
Par ailleurs, le démantèlement, en février et mai 2021, des bases du MFDC dans la commune de Nyassia, au sud de Ziguinchor, proche de la frontière bissau-guinéenne, a peutêtre contribué à renforcer le front Nord (Sindian) avec un afflux de combattants du MFDC. Une situation qui aurait pu pousser le mouvement rebelle à passer à l’offensive, en complicité avec les trafiquants clandestins impliqués dans le trafic de bois.
Un incident plutôt qu’une résurgence du conflit casamançais Malgré ce regain de tension, Mamadou Samb, Directeur des formations du Centre des hautes études de défense et de sécurité (CHEDS), se dit nullement inquiet quant à une possible résurgence du conflit en Casamance, à l’aune des derniers incidents. “Je pense qu’on a affaire à un incident qui, c’est vrai, implique des forces sénégalaises déployées dans le cadre de la Micega, la Mission militaire de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest. On ne peut pas tirer des conclusions pour parler de recrudescence. Après l'incident, il n'y a pas eu d’autres actions de part et d’autre’’, souligne-t-il, avant d’indiquer qu'il n'est pas opportun de faire un parallèle entre les opérations de sécurisation dans les bases du MFDC au sud du pays. “L’aile Nord du MFDC n’a pas bougé de ses positions, au moment des opérations de démantèlement des bastions des rebelles dans le sud du pays. Je ne crois pas que ces deux événements soient liés. Ce qui peut créer encore des incidents, c’est l’exploitation illégale de bois’’, soutient-il.
Quant à la possibilité de prendre en étau les forces rebelles, grâce à la force de l’Ecomig en Gambie et l’armée sénégalaise en Casamance, le spécialiste des questions de défense se veut sceptique. “Les soldats sénégalais intégrés dans la force de la CEDEAO ont une mission bien précise d’aider à stabiliser le pays et à protéger les institutions. Ils n’iront pas en Casamance pour sécuriser la frontière. Le problème, ici, c’est qu’on a des rebelles impliqués dans un trafic de bois et l’armée sénégalaise est intervenue. C’est pour ça qu’on a eu cet accrochage”, conclut-il.
Avec Enquête