NETTALI.COM - La majorité au pouvoir a-t-elle été échaudée par les résultats des locales ? Une bonne question si l’on se fie à sa volonté de maintenir à la fois le parrainage et cette proposition de caution bien lourde, loin de faire l’unanimité.
Le parrainage n'était à l'origine appliqué qu'aux indépendants. Une application ciblée qui était à l'époque vue comme une forme de discrimination vis-à-vis des personnes hors du champ politique classique. La décision ultérieure de l'Etat de l'appliquer à des partis politiques est finalement considérée comme un subterfuge pour éliminer des opposants ou dissidents gênants. Ce qui a valu au parrainage, une plainte engagée par toute l’opposition membre du FRN, dès le mois de décembre 2018, en procédure accélérée au niveau de la Haute cour de Justice de la Cedeao.
Alors qu’on croyait que le gouvernement allait définitivement supprimer le parrainage suivant la décision de cette dernière, après l'avoir zappé lors des locales, le voilà qui le réintroduit pour les législatives de juillet 2022. Saisie par l’Union sociale libérale (USL) de l’avocat Abdoulaye Tine en 2018, suivant la thèse selon laquelle le parrainage «viole le droit de libre participation aux élections» au Sénégal, la Cour de Justice de la CEDEAO avait pourtant ordonné la suppression de la loi sur le parrainage dans un délai de six (6) mois, estimant que celle-ci porte atteinte au principe de la libre participation aux élections. Une loi qui avait d'ailleurs permis d’écarter près de 19 candidats à la présidentielle de 2019.
Le hic avec ce parrainage, c’est qu’il va corser les candidatures suivant un couplage avec une caution dont le montant divise les parties prenantes à ces élections futures. En effet, au sortir d’une rencontre tenue à huis clos, le jeudi 25 février, le plénipotentiaire de la majorité qui a tout intérêt à ce que le montant soit élevé puisque sa coalition est de loin la plus riche, a rappelé comme pour cautionner les 15 millions, que lors des Législatives de 2017, il y avait 47 listes en compétition, malgré une caution fixée à ce même montant. Ce qui, d’après Marcel Ndiana Ndiaye, avait rendu les choses difficiles, alors que l’objectif était de faciliter un bon déroulement des élections. « Cette fois-ci, nous avons dit que la caution doit être fixée au minimum à 15 millions, mais assortie aussi de mesures à pouvoir faire en sorte que les élections puissent se passer correctement. Il faut que ce soit couplé au parrainage », a-t-il souligné.
Un montant qui a rencontré l’assentiment de « Wallu Sénégal », autre coalition pas si pauvre que cela, mais à la condition de supprimer le parrainage. Elle veut éviter les candidatures farfelues.
« Yewwi Askan Wi », elle, est plutôt réservée en adoptant une position différente sur le montant puisqu’elle voudrait le voir fixer à 5 millions dans une logique d’équilibre au regard du parrainage qui est toujours maintenu dans le processus, estimant que les deux jouent le même rôle de filtre.
Une décision définitive sera évidemment prise. Mais comme toujours, elle sera arbitraire, malgré cette consultation de forme. Elle est soumise à la discrétion du ministère de l’Intérieur qui, en réalité, n’est rien d'autre que la voix du président de la République. Inutile donc de se faire des illusions sur le sujet, puisqu’il semble qu’on s’achemine vers un montant proche des 15 millions, s’il n’est pas tout simplement conservé.
Mais faut il le souligner, la question du parrainage au regard de l'expérience récente qu'on en a eue avec la présidentielle, pose vraiment problème. C'est pourquoi les plénipotentiaires lors de la rencontre, ont remis sur la table la question de la complexité de l’exercice, au regard d’un délai déjà bien court et des investitures qui doivent être faites. C’est aussi et surtout l’équation de la transparence qui est remise sur la table quant à la clarté du mécanisme de contrôle de la part de l’Etat, du Conseil constitutionnel et de tout autre démembrement de l’Etat qui n’ont pas les moyens appropriés.
A la vérité, l’argument brandi est que la majorité aura le loisir d’exclure qui elle veut du jeu électoral avec un système de contrôle non abouti et peu fiable pour toutes les parties prenantes. Ce qui a d’ailleurs fait dire à certains que ce filtre doit disparaître de l’arsenal juridique. Mais au-delà de toutes ces considérations, l’illégalité du mécanisme est le sentiment le mieux partagé.
Une décision de la Haute Cour de justice de la Cedeao, chahutée
Un maintien du parrainage en tout cas pas du tout surprenant. L’on se rappelle en effet qu’Oumar Guèye, le porte-parole du gouvernement sénégalais, par rapport à la décision de la Haute cour de justice de la Cedeao, n’avait pas mis du temps pour faire part, le jeudi 29 avril 2021, de la position du gouvernement, à savoir qu’il n’entendait pas se plier à la décision de la Cour de justice de la Cedeao, estimant qu’il n’y a aucune illégalité par rapport à cette loi.
Le ministre faisait ainsi valoir que «tous les systèmes démocratiques au monde ont leur système de filtre pour les élections. Il n’y a pas un seul qui n’ait pas de filtre », précisant à qui veut l’entendre que : « ce parrainage n’est pas tombé du ciel. (…) puisqu’il y avait une loi votée à l’Assemblée nationale. » A titre de précision, il avait informé que le parrainage a été voté pour faire face à la pléthore de candidatures aux élections, sachant qu’ «on aurait affaire à 139 candidats et plusieurs jours pour faire une élection», si jamais il n’existait pas.
Dans le quotidien « Le Soleil », Ismaël Madior Fall et non moins ministre d’État auprès du Président de la République, n’avait pas lui aussi tardé à réagir. Pour le constitutionnaliste, « l’analyse du dispositif de l’arrêt révèle, dans l’ensemble, des erreurs de droit et l’abandon total de ce qui fut jusque-là sa jurisprudence sur les questions soulevées par l’affaire. » « Les erreurs nous paraissent tellement énormes et susceptibles de porter atteinte à la crédibilité et à la légitimité de la Cour que nous pensons vraiment que le Sénégal doit prendre l’initiative de porter une réforme en vue de sauver la Cour pour qu’elle reste l’organe de protection des droits de l’Homme rêvé par les citoyens de l’Afrique de l’Ouest », soulignait-il.
Il convient, toutefois, de souligner que pour beaucoup, Ismaïla Madior Fall s’était trompé en soutenant que la Cour de justice de la Cedeao est incompétente pour connaître de la loi sur le parrainage. L’avocat et «droit de l’hommiste», Me Assane Dioma Ndiaye, rappelait à cet effet que le seul critère de compétence de la Cour, demeure des violations de droits fondamentaux consacrés et garantis. Ces violations peuvent résulter d’actes de gouvernants, de décisions judiciaires ou de lois adoptées par un pays donné. Il n’y a pas d’exclusions formelles de sources potentielles de violations de droits humains.
Et les dispositions de l’article 9-4 du protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice sont claires. Elles disposent que «la Cour est compétente pour connaitre des cas de violation des droits de l’homme dans tout état membre…. ». Dans n’importe quelle demande qui lui est adressée, la Cour recherche donc si la constatation de la violation des droits de l’homme, forme l’objet principal de la requête et si les moyens et les preuves produits tendent essentiellement à établir de telles violations.
Et statuant sur la loi sur le parrainage au Sénégal, la Cour a conclu que «la recevabilité de toute candidature aux présidentielles étant conditionné par la nouvelle loi sur le parrainage, les 2/3 des partis politiques au Sénégal sont exclus de fait de l’élection présidentielle de 2019 ; qu’il en résulte que la violation effective des droits de l’homme alléguée est imminente. »
Me Ndiaye n’est d’ailleurs pas loin de constater que contrairement à la déclaration d’Ismaïla Madior Fall, la Cour ne s’est pas érigée en juge Constitutionnel supranational. Elle ne récuse pas en soi le principe du parrainage comme certains pourfendeurs le prétendent. Le parrainage est bien compatible avec l’efficience démocratique, à condition cependant de ne comporter en ses modalités des sources de violations de droits fondamentaux ou d’enfreindre des droits de candidats à une élection donnée. Voilà qui est clair.
En effet, la loi sénégalaise sur le parrainage, en édictant que le dépôt de candidature doit être accompagné d’une liste de parrains sous format électronique et papier et qu’un électeur ne peut parrainer qu’un seul candidat parmi les différents candidats à l’élection, le tout sans garantir la confidentialité d’un tel choix, viole le secret du vote garanti par la Constitution Sénégalaise et fait peser sur les citoyens Sénégalais des risques de représailles de nature à décourager l’exercice d’un droit ouvert.
L’erreur de cette loi sur le parrainage est qu’elle impose un choix public unique entre différents candidats. Ce faisant, elle pousse un parrain à exprimer publiquement sa préférence en faveur d’un candidat donné au détriment d’autres postulants dans une compétition supposée égalitaire à ce stade. Alors même que le Code électoral dit que le vote est secret.
Avec une telle loi, de hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires, des hommes de loi, des hommes de tenues… s’abstiendront d’user d’un tel droit que leur confère la loi pour ne pas s’exposer à d’éventuelles représailles de la part du candidat au pouvoir, surtout que le Conseil constitutionnel à l’obligation de travailler avec la Direction de l’automatisation du fichier (Daf), un service étatique, qui centralise les données de tous les citoyens, pour voir qui a parrainé qui.
Des données qui peuvent tomber entre les mains des gouvernants, ce qui peut effectivement fausser le jeu démocratique. La preuve, lors des élections locales dernières. Des candidats, membres du parti au pouvoir, ont envoyé des messages ciblés aux électeurs de leurs circonscriptions, sur leurs portables. Preuve qu’ils ont pu accéder à des données personnelles, alors qu’ils n’en avaient pas le droit.
Aussi, il est demandé à tout candidat de chercher ses parrains dans au moins 7 des 14 régions que compte le pays. D’abord, toutes les régions n’ont pas le même poids électoral. Rien que Dakar cristallise la moitié de l’électoral. Ensuite, les Sénégalais, où qu’il se trouvent, doivent pouvoir parrainer un candidat. Il ne doit pas être possible d’écarter un parrain sous prétexte que le candidat qu’il a parrainé, a atteint son quota dans la région de résidence de cet électeur. En agissant de la sorte, la loi prive un citoyen de sa liberté de parrainer un candidat. Surtout que les candidats ont d’habitude, chacun, un fief électoral où il leur est possible d’engranger le maximum de parrains.
Toutes choses qui font que la loi sur le parrainage comporte d’énormes imperfections de nature à violer le libre droit à la participation à un processus électoral et au droit de vote et d’être éligible.
L'option de filtres plus objectifs et permanents, possible
Le gouvernement semble en réalité avoir trouvé à travers ce double filtre, un moyen de rendre réel ce cri de victoire à 80% lors des locales, si l'on était dans une configuration d'élections législatives ou de présidentielle ? D'ailleurs, il s'est empressée de rentrer de mettre dans sa besace des candidats qui ont été dans des listes opposées telles que Bamba Fall. Il discute également avec d'autres. Que l'on ne s'étonne donc pas de voir d'autres candidats rejoindre le nouveau maire de la Médina. Bengelloun de la coalition "And nawlé, And Ligueey" lors de sa croisade contre Papa Demba Bitèye, suite au recours finalement retiré, déclarait faire partie de la Coalition "Benoo Book Yaakaar", même s'il n'était pas parti sous cette bannière. A côté, le discours de Serigne Mboup enrobé dans du clair-obscur, allait dans le sens de dire qu'il n'est "jamais contre l'Etat".
Dans des systèmes démocratiques comme les nôtres où l’Etat est juge et partie dans des élections où tout le processus électoral, la fixation de la caution, le contrôle des parrainages sont à son exclusive discrétion, malgré les rencontres et dialogues pour la forme, il est illusoire d’espérer des élections libres et transparentes. Qui plus est, le ministre de l’Intérieur qui organise les élections, est loin d’être neutre. Comment peut-on dans ces conditions vouloir qu’une confiance puisse être accordée au filtre issu du parrainage et à la fixation d’une caution pas à la portée de toutes les parties prenantes ? Que l’on ne s’y trompe point, si l’on veut ajuster notre système démocratique, jadis une référence, dans le bon sens, il s’agira surtout d’imposer un système de filtre plus juste et moins suspect.
Pourquoi ne pas, par exemple, aller dans le sens d’autoriser la participation des partis politiques à des élections sur la base d’un certain pourcentage obtenu lors d’élections législatives (ou d’une élection de référence choisie) pour conditionner la participation à une future élection. A partir de là, pourra même être instauré un système de financement des partis politiques sur la base du pourcentage obtenu, tout en prohibant toute forme d’utilisation des moyens de l’Etat lors des campagnes électorales et en instaurant un plafonnement des dépenses de campagne. La logique étant d’instaurer une égalité des partis politiques devant l’élection. De plus, le ministère de l’Intérieur devrait être exclu de l’organisation des élections. Ce n’est qu’en instaurant des filtres de ce type et à choisir des arbitres neutres qu’on peut arriver à assainir un peu plus le jeu démocratique et à légitimer davantage les gouvernants qui sont élus.
L’ironie de l’histoire est de chahuter les décisions rendues par la Haute de justice de la Cedeao, une instance de la Cedeao et de s’appuyer sur elle pour sanctionner des autorités de la junte au Mali parce qu’elles n’auraient pas respecté une durée de transition. Il sait bien que cette cour n’a aucun pouvoir de coercition pour l’emmener à supprimer le parrainage sous cette forme. Comment Alassane Ouattara peut-il valablement donner des leçons de démocratie à ces militaires après avoir écarté Gbagbo et Guillaume Soro, tout en gagnant la présidentielle avec un score soviétique. On ne devrait nullement se prévaloir de sa propre turpitude.