NETTALI.COM - Comment comprendre cette grâce présidentielle accordée, le 3 avril dernier, aux onze talibés Thiantacounes, condamnés suite à l’affaire du double meurtre de Médinatoul Salam ? Ces derniers font en effet partie de la liste des 824 prisonniers graciés à l’occasion de la célébration du 62éme anniversaire de l’indépendance du Sénégal.
Placés sous mandat de dépôt depuis le 26 avril 2012, avant d'être condamnés à 15 ans de travaux forcés, en mai 2019 pour leur rôle dans la mort de leurs condisciples Bara Sow et Ababacar Fall, le 22 avril 2012 à Médinatoul Salam, ils n’ont seulement purgé que 10 ans de leur peine, sans toutefois s’être acquittés des dommages et intérêts dus aux familles des victimes. Soit à chaque famille, un montant de 100 millions de francs CFA
Une décision évidemment incomprise, mal vécue et contestée par la famille de l’un des défunts, en l’occurrence la famille de feu Ababacar Fall, surtout au regard des conditions dans lesquelles l’un d’eux avait été bastonné avant d’être enterré vivant. La mère du défunt, Ndèye Khady Fall, déçue de cette décision, a exprimé tout le mal ressenti avec la libération des condamnés, mais s’en est remise à Dieu, estimant qu’il s’agit là d’une décision du président de la République. La dame a, dans la foulée, renseigné que la famille vit des moments difficiles. Car, at-elle rappelé : « Ababacar a laissé des enfants. C’est sa veuve qui fait tout pour satisfaire leurs besoins et, parfois c’est très difficile».
Il est vrai que la grâce fait partie des pouvoirs régaliens conférés au président de la république par la Constitution. En vertu de cette norme fondamentale, le chef de l’Etat peut gracier qui il veut. La seule limite étant l’épuisement des voies de recours ou que le dossier de la personne qui doit bénéficier de cette magnanimité concernée, soit frappé de l’autorité de la chose jugée. Toutefois, dans le cadre de la politique pénale du Sénégal, les chefs d’Etat Sénégalais excluaient du bénéfice de la grâce, les auteurs des crimes de sang, d’affaires de mœurs (viol et pédophilie), de trafic de drogue, de trafic de médicaments et de vol de bétail.
C’est en effet sous la présidence de Me Wade que le verrou sautera. Notamment avec la grâce de Clédor Sène et compagnie, condamnés pour le meurtre de Me Babacar Sèye, avant que les faits ne soient en plus amnistiés. Idem sous Macky Sall. Des condamnés à des affaires de viol, de trafic de médicament ont été graciés.
De quoi se demander quels messages on cherche à transmettre en graciant des personnes coupables de tels actes aussi infamants ? Si ce n’est pas encourager les criminels, difficile de savoir ce que c’est ? Pense-t-on seulement aux victimes ? Ou leur adresse-t-on le message selon lequel, ce dont ils ont été victimes, ne serait pas aussi lourd que la peine qui sanctionne le crime commis ?
Ainsi va le Sénégal avec toujours des équations liées à ses institutions, aux prérogatives attachées aux fonctions et la manière dont les gouvernants usent et désacralisent les actes attachés à leur pouvoir ? C’est comme si elles n’avaient vocation qu’à être utilisées de manière arbitraires par ceux-là qui détiennent les clefs du pouvoir.
Et pendant que beaucoup s’insurgent contre le train de vie de l’Etat et le coût de la vie en ces périodes de Ramadan bien difficiles et proposent de réduire les institutions dont le Conseil économique social et environnemental (Cese) et le haut Conseil des Collectivités territoriales (Hcct), jugées budgétivores et inutiles, la décision est prise d’augmenter le nombre de députés, suite à un projet de loi qui sera déposé à l’Assemblée nationale. De 165 députés, le nombre va ainsi passer à 172. Soit une augmentation de sept personnes. Des départements ont été ainsi ciblés. Il s’agit, entre autres, de Thiès, Mbour, Keur Massar, Pikine, Bounkiling et Médina Yoro Foula. Une réforme qui permettra à Keur Massar, récemment érigé en département, d’avoir son siège. En plus de ses six représentants déjà à l’Assemblée nationale, Pikine aura encore un autre député et passera donc à sept représentants. Par contre, Thiès et Mbour auront chacun deux parlementaires de plus sur les sept ajoutés. En ce qui concerne Bounkiling et Médina Yoro Foula, ils auront un député par localité. Soit au total, sept.
Ce qui signifie qu’avec les élections législatives sénégalaises prévues en juillet 2022, le nombre de sièges à Assemblée nationale changera. Toutefois, ceci n’est pas un accord à l’unanimité, car des réticences se sont faits sentir au niveau de l’opposition et des non-alignés.
De quoi se demander à quoi va servir un nombre de députés encore plus important, si ceux qui sont là ne satisfont pas dans leur grande majorité, à la représentation nationale ? A la vérité, ils ne contribueront qu’à davantage grever le budget de l’Etat déjà bien maigre, entre autre cause de cet endettement massif que le Sénégal peine à supporter. Et pourtant si l’on y regarde bien, lors de la législature sortante, les députés de la diaspora sont venus grossir les rangs de la représentation nationale. Mais qu’est-ce qu’il est difficile de savoir leur impact positif sur le sort des sénégalais de la diaspora ! Difficile en réalité de savoir en même temps comment l’Assemblée nationale, ce haut lieu de débats politiques et d’oppositions de groupes parlementaires, pourrait-elle échapper à la logique clientéliste ? N’aurions-nous pas mieux fait d’augmenter le quotient électoral pour pouvoir diminuer le nombre de députés ? Cela aurait été plus logique. Puisque la justification de l’augmentation du nombre de députés à l’époque, n’a pas apporté la preuve de son efficacité.
C’est plutôt la qualité des représentants du peuple qui aurait dû être privilégiée au lieu de la quantité qui n’obéit qu’à une seule logique, celle de faire croire à une représentation proportionnelle des populations, alors qu’en lieu et place, la plupart des députés ne sont que ceux du président de la République. Cela est en tout cas vrai, pour ce qui concerne la majorité mécanique qui fonctionne comme un bouton.
Le président de la République ou plus exactement sa coalition qui l’accompagne depuis son accession au pouvoir, devait plutôt s’évertuer à désigner des personnes sachant lire et écrire avec un bon niveau d’études, tout en ayant une bonne connaissance des dossiers ; mais aussi des candidats dotés d’une certaine probité morale et connaissant le fonctionnement de la vie économique, le monde des entreprises, tout en ayant la connaissance et le souci des préoccupations des Sénégalais, avec notamment la remontée des problèmes des terroirs d’où ils viennent.
Ce qui aurait le sens d’une représentation de qualité qui s’accorderait bien avec une logique de majorité de qualité qui puisse porter les bons et vrais débats. Ne l’oublions pas, les députés votent toutes les lois qui s’appliquent à l’ensemble des Sénégalais. Ils doivent donc mesurer leurs responsabilités et agir en conséquence. N’est-ce pas la logique de la séparation des pouvoirs que le député puisse contrôler l’action gouvernementale ? Qu’il puisse voter de bonnes lois ? Qu’il puisse s’insurger contre les mauvaises et même les modifier ?
Mais en lieu et place, cette législature présente a produit des scandales à répétition liés à des histoires de faux passeports diplomatiques, de trafics de faux billets. Une assemblée qui s’est finalement révélée être non seulement une chambre d’enregistrement, mais aussi un lieu de pugilat et d’invectives.
Ce n’est pas seulement sur ses prérogatives que Macky Sall pêche. Lors de son « Jokko Ak Macky », sa nouvelle forme de communication pour discuter avec les jeunes, le président de la République a affirmé « son incapacité » à matérialiser la loi sur la location : « Intervenir entre le bailleur et un locataire, reste très compliqué. J’avais décidé de passer par une loi pour régler le problème, mais je me rends compte que c’est une mission pas aisée », a déclaré le chef de l’État face aux habitants de la Médina et du Plateau.
Pour le président Sall, la nouvelle option reste le recours à l’habitat social. Il faut, selon lui, travailler à faciliter l’accès des populations à des habitats sociaux, à la propriété car, il n’est point évident de contraindre un bailleur qui fait un prêt à la banque, à se plier aux exigences d’une loi.
Une fois cela dit, difficile de ne pas se demander s’il ne faut pas définitivement tourner la page de la possibilité d’une baisse du coût des loyers ? Aveu d’impuissance, devrait-on dire après l’échec constaté, suite à l’adoption le 15 janvier 2014 par l’assemblée nationale, de la loi sur la baisse du prix du loyer qui avait permis d’effectuer des réductions importantes. La suite est connue, des bailleurs réfractaires avaient utilisé des subterfuges pour expulser des locataires avant d’augmenter le coût de manière à obtenir les montants souhaités.
Et malgré les constats d’échec et propositions faites par les consuméristes les plus connus, Momar Ndao et Me Massokhna Kane, notamment la prise en charge de la question de la baisse du prix du loyer par le ministère des finances (et non du commerce), la création d’un organe dédié qui gère les plaintes relatives à ces questions ou encore l’implication de tous les acteurs dans la résolution de cette problématique, la solution ne saurait se suffire des logements sociaux.De quoi penser que les Sénégalais sont mal barrés si le président de la république a baissé les armes, alors qu’au même moment les associations de défense des consommateurs sont opposées quant aux solutions à trouver la question de la baisse du coût du loyer ? Ce qui veut dire que les locataires continueront à être à la merci des bailleurs et courtiers.
Si à cela, on ajoute à cela, un coût de vie qui augmente sans cesse, même la double euphorie du sacre de la coupe d’Afrique et la qualification récente à la coupe du monde, ne pourront apaiser le stress de ces Sénégalais qui cherchent la queue du diable pour la tirer. Ces politiques infrastructurelles tous azimuts entreprises en totale incohérence avec le niveau de vie et d’éducation des Sénégalais, ne seront accessibles qu’à une certaine catégorie de populations. Des ouvrages aux coûts d’ailleurs bien trop élevés et dont les fruits sont en majorité récoltés par ces entreprises étrangères qui les exécutent.
62 ans d’indépendance déjà et toujours pas de signes perceptibles de la fin de la dépendance. On a beau se bomber le torse et se glorifier de nos héros et d’un passé glorieux, rien n’y fait, la présence étrangère reste toujours aussi insolente et favorisée sous nos cieux. Le Sénégal reste ce débouché encore plus important (pour ne pas dire jambon) pour les sociétés françaises. Et depuis un certains, les entreprises Turques sont arrivées sur la pointe des pieds avant d’entamer une course folle en s’attaquant au secteur de l’énergie après les infrastructures aéroportuaires et sportives. Les Marocaines étaient là elles, bien avant. Elles ont investi le secteur financier, agricole et bien d’autres domaines. Les Chinoises, elles, raflent tout sur leur passage, avides qu’elles sont de matières premières qu’elles nous revendent après transformation.
Bref, il ne reste à la fin que des miettes pour les Sénégalaises à qui l’on vend des sociétés de droit Sénégalais pour faire mieux passer la pilule. Il n’y a manifestement rien d’honorables à être des consommateurs, si ce n’est de s’appauvrir davantage en enrichissant les autres. Mais le risque est à la fin de ne plus pouvoir consommer. C’est bien dommage de sacrifier un secteur privé national qu’on aurait pu soutenir, accompagner, au lieu de le résumer à deux pelés et trois tondus.