NETTALI.COM - La problématique du foncier reste le tendon d’Achille du département de Mbour. Malgré l’essor fulgurant de certaines communes, depuis l’avènement de la communalisation intégrale, dans la majeure partie des 16 communes qui constituent le département, des problèmes fonciers sont notés entre les populations et les collectivités territoriales, les populations et des privés, ou entre les populations elles-mêmes. Dans ce numéro, “EnQuête’’vous propose les dossiers fonciers les plus saillants à travers la Petite Côte.

Partout dans le département de Mbour, les populations râlent du fait d’un bradage de leurs terres et d’une spoliation foncière dans certaines communes du département. Dans plusieurs communes, des problèmes sont soulevés qui mettent à dos administrateurs et administrés. Dans la majeure partie des cas, c’est des investisseurs qui viennent pour produire sur des hectares que les populations détiennent. Ce qui déclenche souvent une rude opposition entre les représentants de l’Etat et les populations qui leur opposent une résistance farouche, souvent même violente, au risque d’ameuter les forces de l’ordre. Diass, une commune virtuelle, étouffée par les projets de l’Etat Il y a quelques mois, à Diass, les jeunes du quartier Sakirack sont sortis massivement pour interdire des travaux de terrassement dans la seule partie capable de permettre une extension du quartier tenaillé entre la route nationale n°1, l’aéroport international Blaise Diagne et la Zone économique spéciale. Il s’agit d’un espace de 31 hectares immatriculés au nom de l’Apix qui en aurait rétrocédé 5 à un investisseur. Mais ce n’est pas le seul problème dans la commune de Diass

Selon Moussa Sène, habitant de la commune, “on peut citer le pôle urbain Daga-Kholpa qui prendra sur les terres des cultivateurs 2 870 ha ; les 4 000 ha de Ngossé ; il y a également le problème du futur port de Ndayane qui va prendre la moitié de l’assiette foncière de la commune et qui va nécessairement impacter des villages comme Mbayard, Saméthie et Raafo’’. Il ajoute : “Après ces premiers cas, il y a aussi les 55 ha de Boukhou concernant un lotissement administratif qui nuit à toute la population. Ensuite le centre d’enfouissement technique qui devait retourner à la population après l’échec du projet et qui malheureusement est pillé par des individus. L’autre problème, c’est celui des gros-porteurs à côté de Kandam. Un projet qui a été transféré à Diamniadio et dont la population réclame l’espace depuis lors, en plus des 31 ha que les habitants de Sakirack réclament pour en faire une extension de leur quartier’’.

Selon Moussa Sène, Diass est devenue “une commune virtuelle où il n’y a plus de terres pour habiter. Pour cultiver, n’en parlons même pas’’. Dans ce sens, il déplore l’attitude des autorités locales qui ne donnent aucune information à la population. On ne peut pas comprendre les autorités locales. On ne peut pas comprendre que des projets comme le port de Ndayane, dont la moitié de l’espace appartient à la commune de Diass et que jusqu’à présent, personne ne peut te donner une explication claire. Il a fallu que la population aille dans la rue pour avoir certaines informations. Pour les 55 ha de Boukhou, la mairie est impliquée, pour ne pas dire qu’elle est complice avec l’investisseur qui est poursuivi. Dans le centre d’enfouissement technique, ce sont les agents de la mairie qui se partagent les terres’’, dénonce-t-il.

Dans la commune de Sindia, le maire est indexé dans plusieurs litiges fonciers

A quelques encablures de Diass, se trouve Sindia. Une commune née avec l’acte 3 de la décentralisation. Là-bas aussi, plusieurs cas sont notés. Sindia est, en effet, l’une des communes qui passent inaperçues dans le département de Mbour. D’abord, du fait de son découpage administratif très alambiqué, mais aussi et surtout, du fait de l’absence d’infrastructures visibles pour son développement.

Par contre, ses terres suscitent une véritable convoitise de la part des investisseurs. Le célèbre problème des 300 ha opposant l’homme d’affaires sénégalais Babacar Ngom et les populations des villages de Djilakh et de Ndinglèr reste toujours entier. Seydina Diouf est membre d’un collectif appelé Andd aar commune de Sindia. “Le maire est complice dans cette affaire, puisque je suis témoin d’une discussion entre lui et celui à qui on a donné les terres. Ce dernier disait clairement au maire que c’est lui-même qui l’a emmené jusqu’à l’espace en question’’, révèle-t-il.

Avant de poursuivre : “Il y a aussi le problème des 90 ha qu’on a donnés dans le village de Kignabour sur aucun fondement, sauf si ce n’est pour une recherche d’argent. Le problème qui suit, c’est celui de Ndombo 1 et Ndombo 2 qui sont à Guéreo. Dans ce village, ils ont bradé tout l’espace qu’il restait à la population.’’ Seydina Diouf dévoile, par cette occasion, la stratégie des bradeurs de terres. “Ce qui est plus grave dans ce qu’ils font, c’est que, s’ils doivent délibérer 150 ha, ils mentionnent plus que cela. Par exemple, ils prennent 190 ha, pour ensuite reprendre les 40 ha en plus qu’ils morcellent pour revendre les terrains, ou bien il les livre à un investisseur dans des conditions nébuleuses’’.

Dans le même cadre, il ajoute : “Il y a aussi 556 ha dans la forêt classée de Bandia. Ils ont profité du Programme des 100 000 logements sociaux du président de la République, pour déclasser la forêt pour leurs propres intérêts financiers’’. Pis encore, indique-t-il, “l’Etat du Sénégal avait déclaré qu’il avait besoin de 300 ha, au moment où, eux, ils ont délibéré pour 556 ha dans cette forêt qui est connue de tous comme étant le poumon vert de la région de Thiès qui accueille en même temps des activités d’agriculture et d’élevage. Et tout cela n’est l’œuvre de personne d’autre que du maire’’.

Enfin, prévient-il, “il y a quelque chose de très grave qui se passe à Sindia. Ils sont en train de vendre des rues, des cimetières et des espaces publics qu’ils sont en train de mettre dans leur palette. Ceux qui le font sont des conseillers et d’anciens conseillers’’, souligne Seydina Diouf.

Ainsi, l’argent issu de ce bradage foncier, poursuit-il, sert “uniquement à remplir les comptes bancaires des spoliateurs, leur permettre de prendre de secondes épouses et d’acheter de nouvelles voitures, au grand dam de la population’’.

Les populations de Nguéniène se battent contre Produmel et les délibérations fictives

Si la commune Nguéniène est confrontée à un problème foncier, à l’instar des autres communes de la Petite Côte, son cas reste encore particulier. Dans ce sens, explique Babacar Diallo, membre du CPVP, “c'est que les autres communes sont plus médiatisées que nous. Mais depuis 2009, la mairie prend les terres pour les vendre à un l’Espagnol Produmel et jusqu'à aujourd'hui, il ne nous a rien dit de clair, ni donné une délibération’’. Il précise : “En 2016, il nous a servi une seule délibération. Les autres, il les fait avec la personne en signant les documents. D'ailleurs, ces délibérations sont faites de manière fictive. On l’a poursuivi au tribunal. Et lorsqu'on fixe une date, il dit qu'il est malade. Nous, on l'attend pour qu'il nous dise où sont nos terres. Nguéniène est une commune où toutes les terres sont vendues.’’

’’ Il ajoute : “Même Akon City, ils l'ont donné avec 55 ha où ils ont posé une seule pierre pour dire que c'est la cité futuriste, mais on n’a rien vu depuis lors. Il y a également d'autres zones comme Keur Ndioba, avec le ministre Gladima Siby. C'est eux qui ont créé ce litige et ils le cachent. Mais nous, on va poursuivre ce problème pour savoir à qui on a donné ces terres et comment il a fait pour en disposer’’, promet-il. Ensuite, faitil savoir, “ces terres appartenaient à des agriculteurs et à des éleveurs. Elles ont été données à l’insu de la population. Il a fallu que les vaches des pasteurs arrivent pour que les gens se rendent compte que la zone est clôturée’’. Monsieur Diallo indique que, de source sûre, l’espace devait servir pour les plans Reva, Goana et Sipa.

“C'était des champs que l'État devait gérer. Quand Abdoulaye Wade était là, Maguette Ndao aussi était ici. Il était le PCR (président du Conseil rural) et il savait que là où on a amené Mme Siby lui appartenait’’. Et de renchérir : “Quand ils délibèrent, ils laissent des poches pour on ne sait qui. Par exemple, on avait donné au chef du village de Ndiawar Yakou Diouf 80 ha, pour lui en désaffecter par la suite 53 ha au profit de Produmel. Il reste 27 ha dont on ne sait pas où ils se trouvent. Il y a plusieurs conseillers qui ont entre 10 et 20 ha qu'ils se sont partagés dans des circonstances inconnues. Maintenant, il faut qu'ils nous éclaircissent sur cette répartition’’, exige le jeune de Nguéniène.

Il estime que l’ampleur des dégâts n’est pas encore connue, car avec les deux délibérations fictives existantes, il s’agit de plus de 300 ha qui sont en jeu. “En 2009, c’était 105 ha. Ils ont fait une délibération de 53 ha et une autre de 100 ha. Donc, au total, on dit que c'est 250 ha, mais en vérité, ça fait plus de 300 ha, parce que certaines désaffectations leur ont été attribuées par la suite’’.

D’ailleurs, ajoute-t-il, “on a porté l’affaire au niveau de la justice’’. Babacar Diallo souligne que dans la convention signée avec l'Espagnol, pour 10 ans renouvelables, il y avait des projets pour les populations et des promesses d’emplois. “Mais, regrette-t-il, le gars en question n’a pas respecté sa part. Il avait dit qu'il allait donner des emplois aux jeunes de manière permanente. Il ne l’a pas fait. Il les prend comme journaliers et peut les remercier à n'importe quel moment. Il disait qu’à chaque hivernage, il aiderait à labourer 16 ha et allait donner des intrants pour qu'ils cultivent du gombo qu’il achèterait par la suite. Il n’en est rien’’.

Du coup, fulmine-t-il, “si c'est une convention bilatérale et que l'une des parties ne respecte pas sa part, c'est une cause de rupture. Je crois qu’il est temps qu’ils rompent ce contrat et qu’ils disent à la population ce qu’il en est du foncier de Nguéniène. On ne demande que ça’’, martèle Babacar Diallo.

Le projet de “cantinisation’’ de la place publique de Mbour

A Mbour, c’est le maire Fallou Sylla qui a été condamné par le tribunal de grande instance. En effet, attrait à la barre par une association de jeunes de la commune sur un projet de cantines dans le seul jardin public dont dispose la ville, le maire de la commune de Mbour avait été condamné. Mais jusque-là, pas inquiété. “Le verdict a été donné depuis le 3 février 2020. Le juge a condamné le maire à deux ans de prison dont trois mois ferme, avec une amende de deux millions. Depuis lors, le constat est là : c'est comme si de rien n'était. C'est comme si nous n'avions pas gagné le procès. Il a été condamné pour faux et usage de faux, et falsification de documents administratifs’’, rappelle Bakary Diémé, le coordonnateur de Mbour Justice. Il explique que tout est parti de la volonté du maire d’octroyer la place publique de Mbour à un promoteur privé du nom de Ndakhté Dieng, pour y ériger des cantines pour les commerçants. “Nous n’étions pas en phase avec l'octroi de cet espace-là, parce que c'est un espace vert, un espace des jeunes, mais aussi les conditions d’octroi de cette place au promoteur n’étaient pas du tout légales. Donc, on l’a attaqué, en premier lieu, en procédure civile. On a gagné. En deuxième lieu, en procédure pénale’’.