NETTALI.COM - Au regard du nombre croissant de journalistes qui se lancent en politique, il est à croire que les hommes de médias sénégalais ne se suffisent plus de leur rôle d'éveil, d'éducation des populations et de sentinelles de la démocratie.
Certains veulent désormais compter et agir pour le bénéfice de l’intérêt général, au lieu d'être confinés dans un rôle de pourvoyeur informations, voire de dénonciation de ce qui est caché aux citoyens. D'autres par contre veulent se hisser au sommet, jouir du pouvoir et trouvent dans l’engagement politique, un raccourci ainsi qu’un moyen de promotion sociale rapide, au regard des nombreux privilèges dont jouissent les politiques sous nos cieux.
Le travail de professionnel des médias ne nourrit pas son homme. En tout cas pas la plupart de ses hommes. Ce qui est vrai de beaucoup d’autres professions que l’on choisit généralement par vocation et non dans une logique d’enrichissement. Ce n’est certes pas un crime que de s’enrichir de manière licite, mais l’on sait raisonnablement que la profession de journaliste ne produit point de milliardaires, sauf quelques rares patrons de presse qui ont investi dans les médias, en ayant acquis leur fortune dans d’autres secteurs d’activité. Mais à la vérité, au regard du modèle économique très difficile de la presse, seuls les médias publics et une rare presse privée, arrivent à vraiment s’en sortir. Aussi, certains journalistes qui ont acquis une certaine notoriété, n’hésitent plus à s’engager en politique.
L'invasion actuelle de l'arène politique par les journalistes sénégalais n'est pas sans rappeler le cas d'Éric Zemmour en France, victime d’une surexposition médiatique qui, conjuguée avec l'effet réseaux sociaux et la tyrannie des vus, s’est jeté dans l’arène politique. Ces aspects qui galvanisent les nouvelles stars de l’info, les encense au point de leur faire pousser des ailes. Tel Icare, le journaliste-écrivain s'est brûlé les ailes, malgré le soutien que cet ingrat de Bolloré qui s'est enrichi en Afrique, lui a permis sur C-News, après un passage chez Ruquier sur France 2, des livres publiés et des conférences dans toute la France. Il est en effet vite retombé de son piédestal. Il croyait pouvoir concourir au second tour. Marine Le Pen l’a en tout cas bien doublé après avoir assoupli son discours sur l'immigration et l'Islam, optant résolument pour la question du pouvoir d'achat, pendant qu’Eric Zemmour qui avait construit son fonds de commerce là-dessus, se radicalisait.
Journalistes-politiques des médias public Vs acteurs médiatiques-politiques du privé
Dans le monde très restreint des journalistes qui se sont lancés en politique au Sénégal, il y a de quoi se poser des questions sur la compatibilité entre l'activité politique et l'objectivité que requiert ce métier fortement attaché aux faits et au règles éthiques et déontologiques. On peut ainsi les classer en trois 3 groupes, ces acteurs des médias qui se sont engagés en politique.
Le premier groupe composé d’Ahmed Aïdara, de Ndoye Bane qu'on ne peut pas qualifier de journalistes mais plutôt d'hommes de médias ; mais aussi d’Amadou Ba, journaliste qui a été élu maire à Missira. Si le nouveau maire de Guédiawaye est un acteur de la revue de presse avec un grand impact sur le grand public, Ndoye Bane, lui, traite de faits divers et de faits de société. Les deux ont fait du commentaire et de l’opinion, leur fonds de commerce avec un parfum d’information orientée ; mais pire, une arme politique dans le cas d'Ahmed Aidara qui a utilisé ce moyen pour combattre son adversaire d’alors Aliou Sall, alors qu’il briguait le poste de maire de Guédiawaye. Il y a évidemment à redire sur la manière de faire cette revue des titres, mais l’éviction d’Ahmed Aidara de la revue de presse par le Cnra sur la Sen TV et Zik Fm n’a pas manqué de faire polémique.
Ahmed Aidara, tout comme Ndoye Bane et Amadou Ba, ont eu la particularité d'avoir fait du travail de proximité qui leur a permis, en plus du vent « Yeewi » dans le cas de l’ancien employé de D-médias, de remporter les élections.
Un autre groupe, celui des Racine Talla, DG de la RTS et maire, Thierno Birahim Fall de l’APS et El Hadji Kassé, DG du Soleil, à une certaine époque, remplacé par le journaliste économique Cheikh Thiam, avant que Yaxam Mbaye ne soit choisi à sa place, a eu à diriger des médias publics et impacté sur la ligne éditoriale, malgré une certaine opinion pour défendre l’idée selon laquelle, ils assurent uniquement la gestion au quotidien. Ce qui est évidemment faux puisque l’opposition fait l’objet d’un ostracisme permanent dans les médias publics qui réservent une grande part des journaux télévisés et des contenus, à la promotion de Macky Sall et à l’action de son gouvernement. Mais dans le lot, Latif Coulibaly a été le 1er à démissionner de la presse après avoir intégré les rangs de l’Apr. Une manière de considérer que la politique est inconciliable avec le journalisme.
Invité au mois d’avril par le Conseil pour l'observation des règles d'éthique et de déontologie dans les médias (CORED) dans le cadre d’un panel sur un cas d’école sous le thème : "Journalisme et engagement politique : est-ce possible ? », l’ancien journaliste d’investigation et actuel secrétaire général du gouvernement, a fait savoir que quand il a décidé de faire la politique, il a considéré qu’il n’est pas possible à la fois de respecter la déontologie dans ses prescriptions et de respecter également son éthique de travail dans le journalisme. Et à partir de ce moment, il a décidé de s’en aller publiquement, après avoir exercé le métier qu’il dit avoir bien aimé et qui lui a tout donné dans la vie.
Le très surprenant cas Pape Djibril Fall !
Au-delà de ces deux groupes, le cas qui intrigue est certainement celui de Pape Djibril Fall qui officie à la TFM. Le journaliste a récemment décidé d'être candidat aux élections législatives prochaines, en tant que candidat indépendant, en n’étant ni connecté à l’opposition, ni au parti au pouvoir. De quoi s’interroger sur l’opportunité d’une telle candidature ? Et Birima Ndiaye, ce « chroniqueur » et très proche partisan de Macky Sall, a vite fait de rappeler au cours d’une émission « Jakarloo » version « Quartier Général » du Ramadan passé, ses propos d’alors, selon lesquels, les chroniqueurs qui officient dans cette émission du vendredi, sont «des politiciens encagoulés».
Mais au-delà, c’est l’équation des moyens, entre la caution à payer, les frais relatifs au parrainage ainsi que les moyens d’une campagne électorale qui est posée. Et beaucoup d’observateurs ne manquent pas de se poser la question de savoir si la presse n’a pas été qu’un moyen pour assurer l’envol de PDF avant son engagement en politique. Car à la vérité le jeune journaliste s’est plus souvent comporté comme un producteur d’opinions que de faits. Sur les réseaux sociaux, d’aucuns avancent d’ailleurs qu'il est un candidat de la diversion dans un contexte où on chercherait à casser l’élan « Yeewi askan wi ». Mais la question qui reste en suspens, est de savoir au profit de qui ? Les masques finiront peut-être par tomber un jour.
Occuper les plateaux télé, animer des conférences pour séduire un public jeune si peu armé ou un public adulte charmé par les belles paroles, se préoccuper du nombre de vus ou de followers, jouer sur la fibre religieuse, etc cela ne peut en effet être une vocation pour un journaliste. La star dans les médias, ce ne sont nullement les journalistes, mais l’information. PDF s’est en effet très tôt positionné sur l'opinion malgré ses courtes années d’expérience dans la presse, en faisant des tribunes d’opinion, son fonds de commerce. Intelligent et structuré, il l'est sans nul doute. Mais, il lui manque du fond dans son discours. Son contenu généralement en wolof, est en effet un assemblage de concepts en français sortis tout droit des livres de management avec un objectif évident qui est d’éblouir un monde de profanes facilement charmé par les mots savants qui ne servent au fond qu’à masquer de la vacuité et à donner l’impression d’une grande culture ainsi qu’une certaine expérience du management.
En tant que journaliste, il était plutôt attendu de lui qu'il apprît un métier en passant par les différentes étapes. Au cours d’émissions telles que « Soir d’Infos », l’on voyait bien que Pape Djibril Fall était plutôt à l'aise dans la posture de celui qui aime se faire écouter, que de celui qui pose des questions en attendant des réponses. L’on notait aussi qu'il finissait par perdre l'invité en route avec ses questions commentées et longues comme un fleuve.
Mais s’inscrire dans l’opinion pour un journaliste, n’est pas la bonne posture à avoir. C’est pourquoi face à El Hadji Diouf (qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas), il s’était fait recadrer. PDF faisait en effet comprendre que Macky Sall a gracié les détenus parce qu’ils les a emprisonnés. Drôle de réflexion qui ne reposait ce jour-là, pas sur des faits, mais sur sa subjectivité. Dans la réalité, il y a deux sortes de grâce :
La grâce individuelle comme dans les affaires Karim Wade et Khalifa, l’intéressé, son avocat ou un de ses parents peut écrire pour solliciter une grâce, à condition pour le détenu de ne pas avoir un dossier encore en cours de jugement ;
S’agissant des grâces collectives qu’on note habituellement à 4 reprises dans l’année (tabaski, korité, fin d’année, 4 avril, etc), ce sont les directeurs des 37 établissements pénitentiaires qui dressent une liste des détenus répondant aux critères d’éligibilité. Les dossiers sont ainsi compilés au niveau de la direction des grâces logée au niveau du ministère de la justice. Après les vérifications qui s’imposent, un projet de décret de grâces est préparé. Le président ne fait en réalité qu’apposer sa signature.
Idem dans l’affaire du policier qui s’était agenouillé à Louga et qui avait par la suite été radié. Ce soir-là à « Jakarloo », il avait fait comprendre que dans cette affaire, c’était la parole du policier contre celle des autorités policières. Encore une fois, c’est sa subjectivité qui parlait, alors que les faits disaient autre chose. L’ex-policier Pape Boubou Diallo avouera ainsi être parti faire son Ziarra lorsqu’il a été mis au courant de la présence du marabout au palais de Djily Mbaye. C’est en ce moment-là que ses supérieurs ont su qu’il avait quitté les lieux de son travail pour aller faire ses dévotions dont la photo était la preuve patente car la tenue qu’il portait, n’est arborée qu’aux heures de service. Une demande d’explications lui a ainsi été servie. Et des mesures conservatoires prises qui sont un arrêt de rigueur de 10 jours et la commission d’enquête activée. Une commission d’enquête exclusivement confiée aux policiers du commissariat de Guédiawaye du même grade. Ceux-là ont ainsi mené leur enquête et conclu que le policier a commis une faute. En guise de sanction, c’est une rétrogradation qui a été proposée par la commission d’enquête. Lors de l’interrogatoire de cette commission, Diallo avait reconnu les faits et présenté ses excuses, apprend-on.
Le conseil de discipline devait dès lors statuer définitivement sur les conclusions de la commission d’enquête. Et c’est le moment que choisit l’ex-policier pour changer de stratégie de défense estimant qu’il n’avait rien fait et qu’il avait effectué son ziarra en dehors de ses heures de travail et qu’il ne regrettait pas son acte, étant de confession mouride et de surcroît talibé de Kara. Le Conseil de discipline a alors conclu que l’ex-agent est coupable d’insubordination. Ce qui est une faute lourde. Et à partir de là, il a décidé d’aller au-delà de la proposition de la commission d’enquête en le radiant purement et simplement.
Ce qu'on attend d'un journaliste en réalité, est qu'il délivre de l’info et apprenne quelque chose à son public et non de s'inscrire dans une logique de belles paroles, de séduction en étant emmitouflé dans des grands boubous, tel un marabout ou communicateur traditionnel sur le plateau de Pape Cheikh Diallo. Le métier de journaliste requiert également de la sobriété.
A voir Pape Djibril Fall, se mettre à pleurer le jour de sa déclaration de candidature, ne fait pas forcément de lui le bon cheval. L'émotion ne doit plus être un motif de choix. Les électeurs doivent s’évertuer à choisir les bons chevaux, c’est-à-dire ceux-là qui ont de vrais projets, une vraie expérience de la vie, du monde de l'entreprise, mais certainement pas ces théoriciens à la langue mielleuse et qui n'ont d'expérience que la théorie.
Il faut que les Sénégalais cessent de voter pour les aventuriers et optent pour ceux qui ont de fortes convictions et des background qui les prédisposent à la gestion et au management. Ce n’est pas parce qu’on est journaliste, qu’on est forcément un bon journaliste. Ce dernier est d’ailleurs aux antipodes de la gestion, sauf s’il a subi une formation et se dote d’une expérience. Une récente expérience nous a aussi montré que des maires fraîchement élus, ont vite monnayé le suffrage de ceux-là qui ont voté pour eux, après avoir profité de la vague Yeewi askan wi dans beaucoup de cas.
Le nécessaire ménage dans les médias
La vérité est que le métier de journaliste et celui de politique s’accommodent mal par le simple fait d'un conflit d’intérêt évident. Qu’en sera-t-il du niveau de détachement du journaliste par rapport à l’info, si lui-même est coloré politiquement ? Il n’est ni logique, ni acceptable de voir un journaliste organiser des meetings un jour et se retrouver le lendemain à faire des chroniques ou analyses politiques.
De la même façon que le journalisme ne devrait plus mener à la politique (à moins de rompre définitivement avec la presse), de la même façon, l’opportunité d’un ménage s’impose dans les médias. Le Conseil national de Régulation de l'Audiovisuel qui a récemment eu maille à partir avec Ahmed Aidara, a un boulevard de fautes à corriger, si tant est que la régulation l'intéresse encore.
Sur les plateaux télés, le mélange des genres est à son comble. On mêle allègrement journalistes, animateurs, chroniqueurs sans background ni expertise, activistes, religieux, politiquement colorés ou pas etc sans que cela ne choque personne. Le résultat est un folklore sans nom. Les questions sur les plateaux télé et ceux des sites internet sont ramenées au niveau de faits- divers. Et l'on préfère désigner des telles émissions par le terme de « infotainment » sauf que le divertissement ne signifie point abrutissement, ni débat au ras de pâquerettes, en mêlant rumeurs, désinformation et recherche effrénée du sensationnel et du buzz. Le pire, c'est que les journalistes sont rabaissés au niveau des animateurs et ne se gênent plus de faire de la publicité pour des produits, des couturiers, mais aussi des tissus bazin à la veille de la korité, comme cela a été noté sur Sen TV à l'émission « Grand Plateau ».
A « Quartier Général », c'est la ruée vers le téléphone par des téléspectateurs en quête d'argent facile. Mais qu'est-ce qu'ils galèrent avant d’encaisser l'argent que distribue le très bavard Pape Cheikh. Le téléphone, eh bien ça nourrit son homme, mais qu’est-ce qu’il anéantit des espoirs ! Comme à la loterie. Un procédé pas très religieux surtout en période de Ramadan où la religion, utilisée de manière folklorique, prend une importance sur les plateaux télés, sauf qu’elle s’inscrit dans une logique plutôt commerciale qu’instructive. A voir par exemple un religieux sur le plateau-télé faire de la publicité pour l'eau minérale la Casamançaise, il y a à s’interroger sur le rôle des prédicateurs ?
Le cas d’Oustaz Modou Fall et ses remerciements délirants pour le couple présidentiel, suite à énorme « soukerou korr » (cadeau de Ramadan) qui peut le "faire vivre jusqu'au prochain Ramadan", son école coranique, sa voiture remplacée et ses réactions, suite aux critiques empreintes d’une grande insolence et incorrection, montre que le virus de l’argent et du changement de posture, n’a pas envahi que l’espace politique. Il a aussi gangrené le monde religieux de la télé. Celui-ci ne s’en était-il pas pris aux prédicateurs qu’on "achète" et qui se confondent en remerciements et à qui on demande en plus de citer des noms de personnes dans une logique de promotion sur les plateaux ?
On attend du journaliste et du religieux qu’ils soient irréprochables dans leurs rôles de vigies de la société. Le journaliste parce qu’il fait partie d’un pouvoir sentinelle de la démocratie, considéré comme le 4ème pouvoir ; le religieux parce qu’il utilise la parole de Dieu et se limite à citer les textes sacrés dans le but de rendre les gouvernants, tout comme les gouvernés, meilleurs. De plus, s’il est recruté par les médias pour répandre cette parole, c’est sa double responsabilité qui est, de fait, engagée.
De même à entendre Thierno Alassane Sall de la "République des Valeurs" se faire reprocher à l'émission "Ramadan Show" sur la 7 TV, sa rigidité pour ne pas dire son manque de souplesse, consécutifs à son départ du gouvernement de Macky Sall pour avoir refusé de signer le contrat avec Total, il y a à se poser des questions sur la posture de certains journalistes sur le plateau.
Il est tout aussi à désespérer des chaînes de télé qui sont dans un mimétisme incroyable puisque l'originalité n'est plus la chose la mieux partagée. Il n y a que sous nos cieux que l'on pense que faire de la télé revient à aménager un studio ou un salon et se mettre à papoter. La télé, c’est évidemment de l'image, des reportages et non un Pape Cheikh Diallo qui convient bien plus à la radio et qui se croit investi de la mission de ne jamais s'arrêter de parler, sans oublier ses vannes souvent à deux balles. Vivement une œuvre de salubrité télévisuelle tant le niveau est bas.