NETALI.COM – Dans un entretien avec Enquête, paru mardi, le fondateur d’AfrikajomCenter se dit soulagé par une décision apte à faire redescendre la tension politique que traverse le Sénégal. Extraits...

« Sur la légitimité, la représentativité et la pluralité, ces décisions tiennent la route »

J’estime qu’il s’agit de décisions sages, argumentées. Sur la légitimité, la représentativité et de la pluralité, ces décisions tiennent la route. Peut-on imaginer une Assemblée nationale où la coalition au pouvoir et la principale coalition de l’opposition politique seraient absentes ? Du point de vue de la représentativité, cela pose problème. Maintenant, lorsqu’on examine les listes sur la question de l’éligibilité, le droit élémentaire de la participation politique est reconnu par la Constitution, les conventions internationales et la décision de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Tous ces textes peuvent justifier la présence des listes de Benno Bokk Yaakaar et de Yewwi Askan Wi. Et après tout, ces décisions devraient apaiser une situation politique presque intenable.

Il est important de faire un plaidoyer, lorsqu’on est témoin d’une logique d’autodestruction perceptible à travers la violence verbale, les menaces et les violences physiques qui ont amené le gouvernement à renforcer la sécurité à la Direction générale des Élections. Pour une première phase de l’éligibilité, un contentieux électoral aussi lourd est du jamais vu. Là aussi se pose le problème de la neutralité de l’Administration, de la commission de réception. Cette phase initiale est censée être une étape d’accompagnement, d’aide à la régularisation des dossiers où il est prématuré de dire que telle ou telle liste est irrecevable. Il n’y a que le Conseil constitutionnel qui devrait avoir le pouvoir de rejeter un dossier. Dans le passé, l’Administration était neutre et souriante. Mais aujourd’hui, c’est avec stress et sueur que l’on dépose son dossier de candidature. Donc, il faut repenser cette phase de dépôt des candidatures pour que les gens puissent être aidés, accompagnés pour la régularisation des dépôts. Les erreurs non intentionnelles peuvent être corrigées afin que l’Administration aide à l’accomplissement d’un droit fondamental garanti par la Constitution.

« J’ai connu des situations où les gens mettent de côté leur code électoral et négocient (en Guinée-Bissau en 2005) »

C’est pour cela que nous avons fait un plaidoyer pour demander au Conseil constitutionnel de bien examiner les effets des décisions qu’il peut prendre. Surtout si cela peut mener vers une rupture de la paix sociale, de l’État de droit ou constituer une menace pour la stabilité du pays. J’ai connu des situations où les gens mettent de côté leur code électoral et négocient (en Guinée-Bissau en 2005). L’ancien président de la République Nino Vieira ne pouvait pas participer aux élections, mais les régulateurs, dont les présidents de l’époque Abdoulaye Wade et Olusegun Obasanjo (Nigeria) ont fait de sorte qu’il participe pour arriver à maintenir la stabilité. D’autres exemples peuvent être pris en Côte d’Ivoire et en Guinée.

« Les juges du Conseil constitutionnel sont des juges du contentieux politique et ne peuvent pas ignorer la situation politique du pays »

Donc, les juges du Conseil constitutionnel sont des juges du contentieux politique et ne peuvent pas ignorer la situation politique du pays. C’est pourquoi je salue la décision qui est de nature à apaiser la situation.

« Dans le contexte actuel des crises politiques complexes et des crises sécuritaires qui menacent toute la sous-région »

Au Mali, ce sont des élections législatives contestées en mai 2020 qui ont entrainé l’effondrement de la Cour constitutionnelle du Mali, qui n’a pas pu donner les résultats. Cela a provoqué l’effondrement de l’Assemblée nationale et l’armée a pris le pouvoir. Dans le contexte actuel des crises politiques complexes et des crises sécuritaires qui menacent toute la sous-région, y compris les pays côtiers, les menaces sont partout. Le basculement géopolitique du Mali crée de plus en plus de méfiance envers le Sénégal. D’ailleurs, le contingent sénégalais de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) n’a toujours pas été autorisé à entrer au Mali. Au regard de la transformation rapide du statut du Sénégal (passé d’un pays pauvre à un pays à grand potentiel pétrolier et gazier, quasiment un émirat), notre pays est considéré comme une possible alternative au gaz russe. Nos politiciens ne sont pas censés ignorer ces enjeux et doivent agir de manière à garantir la paix et la sécurité. C’est très important. Et c’est valable pour les médias, les acteurs de la société civile. Nous devons tous agir de sorte que notre pays continue à jouir des meilleures ressources que sont la paix, la sécurité et la cohésion nationale. Si nous perdons cela, on aura tout perdu.

« Les djihadistes sont des opportunistes qui profitent des crises pour attaquer les pays »

Les djihadistes sont des opportunistes qui profitent des crises pour attaquer les pays. Ils sont venus au Mali, dès qu’il y a eu un coup d’État. Ils ont attaqué le Burkina Faso, après le départ du président Blaise Compaoré.

Donc, les acteurs politiques sénégalais doivent faire attention, car les crises politiques peuvent engendrer de véritables catastrophes : les crises sécuritaires dans la sous-région découlent de coups d’État ou de crises électorales. Donc, j’invite le pouvoir et les acteurs politiques à créer les conditions d’un débat démocratique apaisé dans un État de droit où la justice est la même pour tous.