NETTALI.COM - Existe-t-il une société ou un pays au monde sans criminalité et violence ? Celles-ci sont de toute façon inhérentes à toute société et peuvent emprunter plusieurs formes. Le crime crapuleux de Fatou Kiné Guèye, l’agression à la machette perpétrée contre ce propriétaire de moto sur cette vidéo devenue virale, ou encore le meurtre de Pape A. Niang, qui a eu lieu le 21 mai 2022, en fin de matinée, au quartier Taglou de Ouakam, sont autant de faits de violence suivis dans les deux cas, de mort d’hommes. Ces agressions à l’arme blanche donnent sans aucun doute à réfléchir sur l’équation de la sécurité au Sénégal, mais ils ne doivent pas pour autant nous conduire à des conclusions hâtives.
Il se produit en effet et de manière récurrente, des cas d’agressions suivies de blessures, des cas de vols à l’arrachée sous la menace d’une arme ou à l’aide d’une moto, et plus rarement des braquages de banques ou de fourgons blindés, avec armes, etc.
Des cas d’agressions violentes commencent à être à être récurrents. Effet amplificateur des réseaux sociaux ou des médias plus nombreux qu’avant ? En tout cas, il se peut même que certains phénomènes de violence existaient dans le temps sans qu’un grand nombre de sénégalais soit au courant, à une époque où les médias n’étaient pas aussi nombreux et les réseaux sociaux inconnus au bataillon.
Ce qui doit sans doute nous pousser à un peu plus de prudence lorsque nous évoquons le phénomène de l’augmentation de la criminalité qu’on entend souvent aborder dans les médias ou dans des forums de discussions.
Il est vrai que les phénomènes violents qui se déroulent sous nos yeux, ne peuvent et ne doivent nullement être occultés et encore moins ignorés, mais l’on n'est tout de même pas obligés de céder à la paresse voire à la facilité, en ne les analysant pas de manière un peu plus lucide, tout en évitant de tomber dans une paranoïa générale voire une hystérie collective, sans le recul nécessaire.
Une série d’agressions entre Ouakam, Pikine, zone de captage, donc dans des lieux différents et dans le temps, amplifiées par les médias qui, en ces occasions, sautent dessus comme des meurs de faim, ou que les réseaux se trouvent inondés par le partage de vidéos montrant des scènes de violence, peuvent provoquer des perceptions qui sont loin d’être la réalité, en laissant penser que la violence est omniprésente, au point de créer de la psychose chez les populations. C’est ce qu’on appelle l’effet loupe qui fait grossir une affaire sans qu’elle n’ait l’ampleur qu’on veuille bien lui donner.
Le gros inconvénient du travail journalistique est qu’en ces occasions, c’est un filon que certains journalistes tiennent, et il leur faut dès lors recueillir des faits en revenant sur les circonstances, l’enquête de la police, l’interview des familles des concernés, le voisinage, etc, l’essentiel étant pour ceux-là de suivre l’action en happant le public aussi longtemps que possible.
Leur rôle consiste aussi à relativiser les phénomènes en expliquant les causes et en interrogeant ceux qui ont les compétences pour les expliquer ; et ceux-là aussi qui ont les chiffres pour quantifier, analyser et déduire des enseignements, au lieu de laisser les réseaux sociaux polluer l’information et faire enfler les rumeurs et les fake news. Ce sont entre autres les sociologues, les statisticiens, les spécialistes des questions de sécurité, le bureau des relations publiques de la police ou gendarmerie et les journalistes de société qui méritent d’être interrogés, même s’il est par ailleurs difficile de demander aux journalistes d’occulter le côté sensationnel d’une affaire de violence.
Interrogé par le quotidien « Enquête » sur cette période de psychose qui serait liée à une supposée montée de la violence et de l’insécurité avec comme point d’orgue la série d’homicides notée le week-end dernier à Dakar, le commissaire divisionnaire de police à la retraite, Boubacar Sadio, invite les populations à ne pas tomber dans la paranoïa. D’après le spécialiste des questions de sécurité, il y a une nette différence entre le phénomène de violence et l’insécurité. « Il faut faire le distinguo entre la montée de l’insécurité et celle de la violence. Mais il faut reconnaître aussi que l’insécurité au Sénégal est à un niveau contrôlable. Aucune société ne peut se targuer de pouvoir garantir une sécurité totale à sa population. L’insécurité est inhérente à la vie en société. Il s’agit de la maintenir à un niveau acceptable. Sur la même lancée, il ne faut pas confondre l’insécurité et le sentiment d’insécurité. On définit la sécurité comme un état d’esprit confiant et tranquille qui résulte d’une absence réelle de danger », déclare l’ancien policier.
D’après l’ancien directeur de la police municipale de Dakar, l’absence d’une politique sécuritaire participe à cette montée du climat d’insécurité dans la capitale. « On a constaté une montée des actes de violence et de l’insécurité avec la multiplication des vols à l’arraché. Les premiers responsables de cette situation sont nos autorités qui doivent définir une bonne politique sécuritaire bien élaborée. Il y a trois ans, il était prévu de mettre en place un plan national consensuel de lutte contre l’insécurité, ainsi qu’une loi d’orientation sur la sécurité intérieure qui devait changer l’architecture sécuritaire du pays. Mais, malheureusement, ces politiques n’ont pas été mises en œuvre », a-t-il déclaré.
Le commissaire divisionnaire à la retraite, Bassamba Camara, lui, aborde la question sous un angle différent et appelle à une plus forte implication des populations pour mettre fin à l’insécurité et à la montée de la violence. « Beaucoup de violences domestiques mettent aux prises des individus qui se connaissent, partagent les mêmes quartiers, qui se fréquentent, etc. Ces cas, bien qu'ils créent de l'émotion et de la sensation, ne peuvent pas être imputés à la défaillance de la police et de la gendarmerie. Ce sont des cas isolés. On ne peut pas mettre un policier ou un gendarme derrière chaque individu pour assurer sa protection. Les forces de défense et de sécurité ont certes l'obligation d'assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, ce qui est une obligation régalienne, mais les cas de violence passionnelle ou domestique doivent trouver leur réponse dans l'éducation et dans les familles d'abord. Ce qui nécessite la participation de tous dans l'éradication de ces cas particuliers qui commencent à se généraliser », a déclaré l’ancien officier de police.
Avant d’ajouter : « Le constat général qu'on peut faire actuellement, c'est que la société sénégalaise devient de plus en plus violente et cela a plusieurs causes, notamment le chômage des jeunes, l’inégalité sociale, la consommation de la drogue, une urbanisation mal maîtrisée, les multiples crises scolaires et sociales, etc. Les forces de défense et de sécurité continueront à effectuer leurs missions régaliennes, mais les populations doivent aussi apporter leur collaboration en signalant et en dénonçant les cas suspects dont elles auront connaissance ».
Des analyses qu’on peut évidemment respecter de la part d’anciens membres des forces de sécurité et gradés de surcroît qu’ils ont été. Mais le phénomène est loin d’être simple à expliquer sans chiffres. Des chiffres qui permettront sans aucun doute, de comparer la hausse, la baisse, voire la stabilité de la criminalité dans le temps. Mais au-delà, l'analyse du niveau de criminalité peut être bien plus fine en apportant des nuances entre les termes pour désigner les choses de manière à les catégoriser et à avoir une meilleure lisibilité : la criminalité à ne pas résumer avec le crime qui n’est pas le seul acte criminel ; le phénomène de violence à ne pas confondre avec l’insécurité ; les violences qui peuvent revêtir des formes différentes (violence passionnelle vs violence domestique par exemple).
La nécessaire disposition de statistiques
Comment un état sérieux peut-il résoudre les problèmes sans des statistiques fiables et sûres, les meilleures armes pour combattre l’insécurité, en l'adossant à une politique réfléchie. Comme toujours, l’on est dans une logique de réactions en annonçant des opérations coups de poings et en renforçant du coup la psychose déjà bien ancrée dans certains cerveaux. En rassurant certainement chez d'autres personnes. C'est selon les perceptions.
Mener une opération conjointe de sécurisation dans la nuit du 21 au 22 mai qui aboutit à l’interpellation de 463 personnes pour diverses infractions, est fait avec l’objectif de rassurer certes en partant d’une belle initiative, mais elle ne répond pas réellement à la question de la sécurité, mais elle devient plutôt une réponse de circonstances tout simplement. Parce qu’à la vérité, il s’agit là d’un fourre-tout. Entre ceux qui ont été interpellés pour une vérification d'identité, pour ivresse publique et manifeste sur la voie publique, pour non inscription au fichier sanitaire, pour offre et cession de cannabis, pour conduite en état d'ébriété, pour association de malfaiteurs, vol commis en réunion la nuit avec usage de moyen de transport, pour usage de produit cellulosique, pour vol, pour détention d'arme blanche, pour conduite sans permis de conduire, pour tentative de vol, des véhicules et motos immobilisés, etc, il y a à se demander si ces actions vont être menées et répétées dans le temps suivant une stratégie sécuritaire ou être limitées à de la réaction ?
Bien évidemment, certains applaudiront, mais cela résout-il pour autant le problème ? Loin de dire qu’on ne doit pas procéder à des opérations coups de poings, mais il s’agit surtout d’asseoir une stratégie sécuritaire dans le temps, suivie d'évaluations et surtout de mettre les moyens à la disposition des forces de sécurité.
De la même façon, le gouvernement a pris cette option du tout infrastructure, de la même façon, il doit se rendre compte que les Sénégalais ont aussi besoin de se soigner, de se loger, de manger à leur faim, mais surtout de se sentir en sécurité. Il ne faut pas que l’on soit fatalement dans une logique d’apporter des réponses à chaque fois qu’il y a un sentiment d’insécurité perçu ou à chaque fois qu’il y a une série d’agressions amplifiées par l’effet médiatique et les réseaux.
Il est vrai que l’Etat ne peut mettre un policier derrière chaque citoyen, le ratio force de l’ordre / population étant très faible, mais la présence des forces de l’ordre doit être ressentie de manière à être une force de dissuasion pour les malfaiteurs.
La police de proximité pourrait par exemple être une bonne piste à explorer. Certaines localités avec une forte densité, mérite d'avoir plus d'un commissariat. De même, il est de notoriété publique que la plupart des vols à l’arrachée se font sur des motos. Pourquoi continue-t-on à laisser prospérer ce jeu du chat et de la souris entre policiers, agents de sécurité de proximité d’une part et détenteurs de motos sans plaque d’autre part ?
Le constat est que les propriétaires de motos se permettent tout et n’importe quoi sur la voie publique et roulent sans pouvoir être identifiés ! Comment dès lors certains d'entre eux ne seraient-ils pas tentés de commettre des délits ou crimes dès lors qu'ils réalisent qu'ils seront difficiles à identifier ? Comment peut-on encore tolérer des taxis clandestins, des thiak thiak alors qu’on impose aux taxis des licences et droit de stationnement à payer ?
De plus, avec le manque de moyens de locomotion et de dotation en carburant suffisante, difficile pour les forces de sécurité de mener leurs missions dans des conditions convenables. De même; l'on s'interroge sur l'opportunité de mobiliser des forces de sécurité dans des transports comme le Ter et le péage, alors que ces entreprises qui gagnent de l’argent, peuvent trouver des contrôleurs privés comme c’est le cas avec Dakar Dem Dikk ?
Mais ce qui est bien dommage, c’est d’entendre les tenants de ces discours qui prônent l’application de la peine de mort. Un débat agité de par le monde dans des pays où la grande criminalité règne. Mais ce que les tenants de cette ligne ignorent, c’est que l’application de la peine aurait pu être possible dans un environnement où l’erreur n’est pas permise. Or, il existe bien des cas de personnes accusées de meurtre et dont on se rend compte plusieurs années après qu’elles sont innocentes. C’est souvent arrivé aux Etats Unis. Il faut qu’on arrive à un certain niveau de discernement et de réflexion sur les sujets de société par les spécialistes dont c’est la compétence, au lieu de se laisser aller à la passion, à l’émotion et à l’instinct grégaire et d’aller à l’aventure vers certains extrêmes en hurlant avec les loups.
Une émotion nommée "homophobie"
De même, sur certains sujets sensibles comme l’homosexualité qui mène une offensive sans précédent et tous azimuts avec la promotion de la cause LGBT qui passe par tous les canaux possibles et imaginables, notamment les téléfilms, les spectacles, les dessins animés afin d’inoculer cette réalité aux enfants dans une logique de banalisation dès le bas âge, il s’agit de trouver des moyens plus réfléchis dans nos sociétés comme le renforcement de l’éducation familiale et scolaire, tout en mettant en place davantage de filtres qui vont aider à refuser tout ce qui va dans le sens de la promotion de l’homosexualité. Mais en aucun cas, Il ne s’agit pas de tomber dans la violence ou de lyncher des personnes qui ont droit à une vie tout aussi sacrée que celle des hétérosexuels.
Comme ce qui arrivé à ce jeune ressortissant américain, parce qu’habillé en look LBGT, a failli se faire tuer par des jeunes qui l’ont pris à partie dimanche dernier au quartier des HLM de Dakar. La scène, qui a été filmée, montre des jeunes surexcités, proférant des insultes homophobes et des appels au meurtre. Finalement, ce citoyen américain s’en sort avec des blessures, ses effets personnels dont une parure en or volés par ses agresseurs et surtout le traumatisme à vie d’un séjour cauchemardesque au “Pays de la Téranga’’. La police a ouvert une enquête, rapporte Mahmoudou Wane dans son édito de lundi dernier dans le quotidien « Enquête » et nous savons déjà que la victime n’était même pas un homosexuel, mais un artiste au look particulier, venu participer à un événement culturel majeur : la Biennale de Dakar.
De même comment comprendre cette réaction excessive de Mathieu Delormeau, le chroniqueur de « Touche pas à mon Post » sur le plateau de Cyrille Hanouna sur C8 qui s’abat tel un ouragan sur son collègue Gilles Verdez qui considère Idrissa Gana Guèye comme « un joueur et un homme exemplaire qui vient de récolter 1 million d’euros lors d’un gala de charité pour soutenir les jeunes malades », estimant dans la foulée qu’ « il se préoccupe de ce qui se passe dans la société ». Verdez est simplement pour « la liberté de conscience et de religion du joueur » et « ne comprend pas qu’il soit jeté aux chiens »
Une réaction d’autant plus excessive de Delormeau qui croit savoir qu’il s’agit là d’un soutien contre l’homophobie, l’homophobie étant, selon lui, un délit et non une opinion. Il ne manque même pas de traiter Verdez d’ « énorme connard » à qui il ne parlera plus, tout en l’accusant d’être pour l’homophobie. Même Guillaume, son voisin est d’avis que le joueur sénégalais est « victime d’un lynchage médiatique injustifié », estimant que « ce n’est pas parce qu’on refuse de porter un maillot lgbt qu’on est homophobe », invoquant au passage « la liberté d’expression en France qui veut dire le droit d’être neutre sur un sujet ».
De même à entendre que l’homosexualité est punie de 1 à 5 ans au Sénégal, c’est du pur délire. Ils confondent volontiers sur le plateau les actes contre nature punis, il est vrai de 1 à 5 ans, et qui interdisent que des relations de ce genre aient lieu en public. Ils ignorent aussi que n’importe quel homme qui est trouvé en plein ébat dans la rue avec une femme, est punie suivant la même peine pour attentat à la pudeur.
C’est la raison pour laquelle dans le débat public, il ne faut pas donner la parole à n’importe qui. C’est une règle qui doit valoir aussi bien en France qu’au Sénégal. Les spécialistes sont là pour prendre en charge ces questions et sujets de société. Mais ce qui est malheureux à dire et à relever, c’est que dans nos sociétés, on est trop dans l’émotion, les réactions grégaires et surtout la réaction dans tout. L’anticipation est loin d’être notre fort, c’est pourquoi ces questions de société surgiront et ressurgiront encore et encore.