NETTALI.COM - Le professeur Abdoulaye Bathily vient de publier ses mémoires, sous le titre “Passion de Liberté’’, édité par Présence Africaine. Il revient sur les luttes de l’ancien secrétaire général de la Ligue démocratique (LD) durant plus de 50 ans d’histoire politique. Quelques bonnes feuilles.
724 pages d’histoire, qui commencent par son enfance à Bakel pour se prolonger en traînée d’actions et de voyages qui renseigne sur la vie et les personnalités multiples des acteurs politiques du dernier demi-siècle. Majmouth Diop, Mamadou Dia, Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Me Abdoulaye Wade, Macky Sall, etc., ces acteurs sont mis en scène dans un jeu dont ils ne contrôlent pas toujours le fil. Nous choisissons, dans ce premier jet, de pointer la loupe sur la chute du régime socialiste en 2000. Le 19 mars 2000 sonnait le glas du régime socialiste vieux de 40 ans. La scène est remplie d’émotions et se passe au domicile de Me Abdoulaye Wade, au Point E. “Las de relever sur un cahier d’écolier le décompte des chiffres qui, sans aucun doute possible, dessinaient notre triomphe, je téléphonai à Wade pour lui dire que je venais chez lui avec mon épouse (…) Je lui suggérai alors d’inviter tous les leaders de la coalition à nous rejoindre chez lui, et d’improviser, en guise de démonstration chez lui, un meeting qui aurait pour effet de dissuader toute tentative de vol et de confiscation de notre victoire par le PS. À peine finissions-nous d’en parler que surgissait Amath Dansokho, le visage radieux, pour apporter dans notre corbeille d’idées la même suggestion’’. Et le rôle de la presse aussi, précisément Sud et Walf FM qui furent sollicités pour la publication d’un communiqué appelant les militants des partis de la coalition à rejoindre leurs pleine d’émotions comme l’indique cette confidence dans le feu de la victoire, après la victoire au second tour : “Je pris la main d’Amath, elle frissonnait. Je levai la tête pour le regarder. Et je vis couler, sur ce visage viril sur lequel nous étions quelques rares camarades à pouvoir lire les stigmates invisibles imprimés par tant d’années d’engagement patriotique, de souffrances, de sévices subies – une larme, une seule, mais grosse, claire comme son cœur… ’’
Mais pour en arriver à ce moment historique, le professeur Abdoulaye Bathily revient sur tous les efforts fournis par des acteurs souvent méconnus du grand public dans le cadre des différentes coalitions politiques mises en place de l’Alliance démocratique sénégalaise (ADS) portée sur les fonts baptismaux dès 1985, puis remplacée par la Coalition Sopi, elle-même phagocytée par la Conférence nationale des partis de l’opposition (Conapco) en 1991, suivie de la Coalition Alternance 2000 (CA2000) et le Front pour l’alternance qui survivront jusqu’à l’arrivée de Me Wade au pouvoir. Durant cette longue période, le camp de l’opposant Wade a dû faire face à plusieurs défections, dont celle de Serigne Diop en 1985, que Wade vécut comme une “haute trahison’’. Celles de Me Ousmane Ngom et de Jean-Paul Dias qui rallièrent la candidature de Diouf, finira par installer une atmosphère de psychose dans les rangs du PDS. Si la longue marche de Me Abdoulaye Wade vers le palais n’a pas été un long fleuve tranquille, le professeur Abdoulaye Bathily détaille des problèmes rencontrés à la veille de la Présidentielle 2000. Dont un des plus importants était la non-disponibilité des ressources financières. Maitre Abdoulaye Wade était-il à sec, à la veille de ses élections ? “Deux fois, je me rappelle, il m’avait appelé pour me prendre à témoin, pour me montrer une sommation à huissier que je soupçonnai d’avoir été initiée par des milieux du pouvoir en place (…). Ces pressions, loin de nous décourager, suscitaient le mépris de notre part’’, écrit Bathily qui ne manque pas, en passant, de relever un “geste de solidarité exprimé en la circonstance par l’entrepreneur sénégalais bien connu Idrissa Seydi (qui) sauva Abdoulaye Wade de la saisie de son bien’’.
Marches bleues avec des poches vides…
Et lors des caravanes organisées justement pour contourner le problème, Bathily raconte que “nos difficultés financières étaient telles que nous nous demandions parfois si nos caravanes parviendraient au bout de leur course (…)’’. Et Wade de câbler Karim : “Allo, Karim ! Quoi de neuf à Londres ? Est-ce que tu as pu trouver quelque chose ? Nous, nous sommes fatigués ici. Nous n’avons plus rien. Je ne suis même pas sûr d’avoir assez de carburant pour arriver à Ziguinchor. Ablaye Bathily qui est à côté de moi pourra te le confirmer.’’ Et le téléphone en mode haut-parleur, Karim répond : “Papa, c’est difficile ici aussi. Je fais tout, mais jusqu’ici, rien ! Je vais voir Eli Khalil qui m’a promis de…’’ Wade l’interrompt : “Tu me parles toujours de promesses ; tu ne sais rien faire !’’
Bathily revient aussi sur le manque de soutien venant de l’étranger. Hormis Pierre Aïm qui avait affrété un avion pour Wade et Alain Madelin dont Bathily n’a pas pu apprécier l’apport vu les difficultés financières sur le terrain, le camp de l’opposition n’avait aucun appui visible. “Ces soutiens étaient, quoiqu’il en fût, très marginaux à côté de l’intérêt de la Françafrique pour les affaires sénégalaises et les moyens apportés au candidat du régime Abdou Diouf’’.
Personne, visiblement, “ne misa un kopeck sur la victoire de Wade’’.
La suite est connue avec les résultats du premier tour qui “galvanisèrent les populations’’, dans un contexte où “les déclarations maladroites d’Abdou Diouf vinrent semer la débandade dans les rangs du candidat PS’’. Malgré la défection de Djibo Ka, les carottes sont cuites pour le régime socialiste. “Le pacte avec Moustapha Niasse est scellé, en présence d’Amath Dansokho et Bathily. A la page 542, ce dernier confie ceci : “L’entretien avec Moustapha Niasse fut court. Il confirma son soutien à Wade au second tour. Nous nous mîmes d’accord pour officialiser cet accord dans une déclaration politique. Nous décidâmes également d’élargir la CA 2000 en vue d’une nouvelle coalition baptisée : Front pour l’alternance (Fal). Le candidat Wade, qui était snobé de tous, devient subitement fréquentable par les milieux d’affaires.’’.
Ces épisodes d’activités politiques intenses seront suivis par ce qu’Abdoulaye Bathily qualifiera de “gestion chaotique de la victoire’’ qui fera chuter, 12 ans après la conquête du pouvoir, le régime libéral.