NETTALI.COM-La treizième législature, installée officiellement le 14 septembre 2017, a tenu sa dernière séance ordinaire jeudi dernier, au cœur d’intenses batailles politiques entre la majorité présidentielle et l’opposition sénégalaise. Sur le plan politique, souligne EnQuête dans son édition de ce week-end, cette législature a été marquée par de forts clivages entre majorité et opposition sur tous les sujets : parrainage, lutte contre le terrorisme, mais aussi absence d’un meilleur contrôle du Parlement sur l’action de l’Exécutif.
C’est une page d’histoire qui s’est tournée jeudi dernier, à l’occasion de la dernière séance parlementaire. Cette dernière séance ordinaire dans l’hémicycle vient parachever plus d’une décennie de présidence à la tête de l’Assemblée nationale de Moustapha Niasse, Secrétaire général de l’AFP et un des piliers de Benno Bokk Yaakaar. Des adieux aux allures de retraite politique pour l’ancien homme fort du Saloum qui devra céder sa place au perchoir en septembre prochain, date de l’installation des futurs députés. Par ailleurs, cette cérémonie vient également clôturer cinq années de turpitudes, de scandales et de polémiques autour des grandes questions politiques qui ont secoué l’espace public sénégalais. Durant ces cinq années de législature, constate le journal « EnQuête », la forte prétention de la majorité mécanique aura, au fil du temps, étouffé le débat parlementaire, pulvérisé le consensus politique et enterré définitivement l’idée même de commissions parlementaires.
Toutes les grandes questions politiques comme le parrainage, le vote de la loi contre le terrorisme, la levée des immunités parlementaires de Khalifa Sall et d’Ousmane Sonko, entre autres, n’ont été que le chantre de vains échanges d’injures, d’invectives et de polémiques entre la majorité de BBY au nombre de 125, contre 40 de l’opposition. Des débats animés d’un esprit partisan ne laissant aucune place au dialogue et au compromis. Durant tous ces épisodes, le grand bâtiment de la place Soweto a pris l’habitude de se “bunkeriser’’ à chaque vote de texte de loi dénoncé par l’opposition et la société civile.
Le projet de loi sur le parrainage des candidatures a été adopté le jeudi 19 avril 2018 dans une ambiance électrique, avec le vote des 119 députés de Benno Bokk Yaakaar (mouvance présidentielle) en faveur de la loi sur le parrainage. Le projet de loi controversé au Sénégal a suscité la colère de l'opposition dirigée par Idrissa Seck et la société civile autour de Y en a marre qui, à travers de multiples manifestations à Dakar, voulait empêcher son adoption.
Les querelles politiciennes qui torpillent le débat parlementaire
L’adoption du projet de loi concernant la question de la lutte antiterroriste va aussi laisser la place à de véritables pugilats au sein de l’hémicycle. Si la tension était grande à la place de la Nation où s’étaient donné rendez-vous les activistes (Y en marre, Frapp) et des politiques comme Babacar Diop pour dénoncer cette loi qu’ils considéraient comme liberticide et qui entravait la liberté de marche, les députés de la majorité comme de l’opposition se sont donnés en spectacle. Entre pugilat des députés Ousmane Sonko et Mbery Sylla, les menaces de mort entre Dembourou Sow et Toussaint Manga, les parlementaires ont adopté sous forte tension, le 28 juin 2021, deux projets de loi portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale visant à renforcer la lutte contre le terrorisme, selon les autorités. De son côté, l’opposition, vent debout contre cette loi, parle des dispositions de l’article 279-1 comme d’une volonté du chef de l’État de criminaliser les activités politiques pacifiques et porter atteinte à la liberté d’association et de réunion.
Une Assemblée à deux vitesses sur les dossiers d'immunité parlementaire
La levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall et d’Ousmane Sonko a été l’occasion de vives tensions au sein de l’hémicycle. Le 26 novembre 2017, c’est dans une ambiance houleuse que les parlementaires sénégalais ont voté, à une écrasante majorité, la levée de l’immunité du député et maire socialiste de Dakar, incarcéré depuis le 7 mars 2017 à Rebeuss. Les rues attenantes à l’Assemblée nationale avaient été bouclées, la veille, par des dizaines de policiers anti-émeutes. Une manière d’empêcher la présence encombrante des partisans du maire de Dakar, qui avaient prévu de battre le pavé sur la place Soweto, pour protester contre un dénouement écrit.
Il en sera de même pour la levée de l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko, le 26 février 2022, à la suite de l’affaire Sweet Beauté qui sera au cœur de vives polémiques entre parlementaires.
Une promptitude qui fera grandement défaut à la chambre, concernant le scandale des passeports diplomatiques qui impliquent deux députés de la majorité, Mamadou Sall et Boubacar Biaye, mais aussi dans l’affaire des faux billets impliquant le député Seydina Fall dit “Bougazelli’’.
D’autres questions à fort relents politiques comme les scandales politico-financiers n’ont pas entraîné la mise en place de commissions parlementaires. La chambre parlementaire jouant le plus souvent la politique de l’autruche sur l’affaire Petrotim, le scandale de la Prodac et la gestion des fonds Force Covid19…
La commission parlementaire, talon d’Achille d’une Assemblée inexistante du débat public
Dans le domaine des inondations, l’Assemblée nationale s’est contentée d’une mission d’information sur cette question, laissant les questions concernant le Plan décennal de lutte contre les inondations sans réponse.
La commission d’enquête parlementaire, composée de députés de la majorité dans l’affaire des 94 milliards, va blanchir Mamour Diallo, ancien Directeur des Domaines, le 31 décembre 2019. Cependant, cette décision est vite remise en cause par les rapports 2019, 2020 et 2021 de l’Ofnac qui épingle le responsable “apériste’’. Un camouflet cinglant pour la commission parlementaire composée de députés de la majorité. Car la suite du rapport est sans équivoque, assurant que les infractions suivantes devraient être retenues contre Mamour Diallo, Tahirou Sarr et Cie : « Association de malfaiteurs, fait prévu et réprimé par les articles 238 à 240 du Code pénal ; escroquerie portant sur des deniers publics, fait prévu et réprimé par les articles 152 à 154 du Code pénal ; tentative d’escroquerie portant sur des deniers publics ; complicité d’escroquerie portant sur les deniers publics. »’ D’ailleurs, le dossier a été transmis au procureur.
Ces tares mortelles de la 13e législature
Théodore Cherif Monteil, député de la 13e législature, dresse un bilan sans complaisance de cette législature. D’après le directeur de campagne de la coalition Aar Sénégal, cette législature souffre de plusieurs maux liés aux missions de base de l’Assemblée nationale : représentation, légifération et de contrôle de l’action gouvernementale. « Cette mission de représentation est très faible, car on voit des gens dire que je suis député de tel parti ou de telle personne. On est député de la République du Sénégal, quand on vient à l’Assemblée nationale. Du point de vue légifération, il y a eu aussi beaucoup de faiblesses. On a eu 205 lois qui sont arrivées sur la table de l’Assemblée nationale en cinq ans et presque 200 sont des projets de loi qui viennent de l’Exécutif. Tandis que les propositions de lois qui émanent des députés peinent difficilement à franchir la barrière du bureau de l’Assemblée nationale. Ce fut le cas de la loi sur le permis à points et celle condamnant l’homosexualité. En outre, la dernière mission concernant le contrôle de l’action gouvernementale a péché grandement durant cette législature. Le député doit prendre l’initiative. Normalement, si on travaillait bien, toutes les semaines, le gouvernement devait être à l’Assemblée nationale pour débattre des grandes questions nationales », affirme-t-il à nos confrères de « EnQuête ».
Avant d’évoquer le manque de moyens dans l’absence de commissions d’enquête pour mieux contrôler l’action de l’Exécutif. « Cette mission de contrôle de l’Assemblée nationale doit être renforcée. Le député ne doit pas attendre d’être saisi de certaines questions. Il doit s’emparer des questions d’ordre national et superviser les actions du gouvernement. On a 15 assistants parlementaires qui sont basés au niveau des commissions. Il faut mettre à sa disposition plus de moyens et d’outils pour accompagner le travail de contrôle des députés », soutient M. Monteil avec force.
Poursuivant son propos, il réfute les accusations de l’opposition présentant le groupe BBY comme une majorité mécanique au service de Macky Sall. « Je ne suis pas d’accord. Quand quelqu’un gouverne, il a besoin d’une majorité pour le soutenir. C’est normal quand on est membre de la majorité, qu’on supporte les projets de loi. Pendant cette législature, j’étais inscrit dans le groupe BBY, mais j’ai défendu des positions de la majorité parlementaire », conclut-il.
Aminata Diop, députée membre de la majorité (BBY) se veut plus optimiste sur le bilan de l’Assemblée nationale qui, dit-elle, a rempli sa mission de pôle de débats démocratiques. « Je pense que nous avons un bilan, parce que le président Macky Sall nous a soumis des lois qui vont dans le sens de l’intérêt général. Les gens doivent savoir que l’Assemblée vit à l’heure des querelles et des disputes entre députés. Les divergences vont de pair avec les rivalités politiques. C'est ce que les gens doivent comprendre. Nous avons des opposants qui ont rallié nos positions lors de certains votes de loi. Nous espérons juste que la 14e législature gommera les dysfonctionnements qui ont marqué la dernière Assemblée nationale », soutient la responsable “apériste’’ de Vélingara.