"Le moment est venu de corriger le facteur démocratique par le facteur de compétence (…). La post-démocratie est une vision progressive tendant à corriger le facteur démocratique par le facteur de compétence, tout en veillant scrupuleusement à annihiler tout principe tendant à neutraliser l’un ou l’autre pour s’y substituer" – Djibril Samb (L’heur de philosopher la nuit et le jour – PUD – P164)
EDITO - Si Amath Dansokho pouvait s’arracher du royaume des ombres, ouvrir un oeil comme il savait bien le faire lors des longues réunions de son parti, le PIT, bien certainement il s’empresserait de le refermer d’un coup sec. Il se serait sans doute écrié : "Bon Dieu, la prophétie s’est réalisée." Le vieux communiste, dans les dernières années de sa vie, aimait bien mettre en garde contre la montée de nouvelles forces "qui vont tout balayer".
Il le répétait à souhait, au point d’ailleurs d’importuner par ses prédictions bien obscures, ses invités, que “c’est déjà là’’. Son argumentaire était le suivant : derrière ses atours lisses et raffinés, notre peuple est d’une très grande complexité. Que nous sommes une alchimie faite de plusieurs apports (les colonisations arabe et française). Mais que nous ne connaissions pas assez la composante “roots’’ de notre culture.
Pour lui, la plus grande menace pour la République et les valeurs de laïcité et de liberté, réside dans l’alliance entre les forces traditionnelles islamisées et les jeunes. Les témoins confirmeront, il pensait aussi que le modèle du politicien classique tel que le Sénégal l’a expérimenté depuis les indépendances, était ùdans une phase déclinante et qu’une nouvelle aurore pointait à l’horizon.
Trois ans après sa disparition, le tableau qui se donne à lire au pays de Kocc Barma, ressemble fort au scénario à l’allure kafkaïenne que “Big Dans’’, ainsi surnommé par la rue, aimait bien dépeindre.
Ainsi fonctionne le monde que bien souvent les “esprits’’ les plus “fous’’ sont souvent ceux qui sont le plus proches de la vérité. L’un des noeuds de son contentieux avec Me Abdoulaye Wade résidait d’ailleurs dans cette manie qu’avait le “Pape du Sopi’’ de réveiller certains instincts primaires de la société. Faut-il se rappeler qu’il fut l’un des plus virulents dans les attaques contre Me Abdoulaye Wade, lorsque ce dernier scella pacte avec certaines forces dont la bonne réputation n’est pas toujours prouvée. La raison de cette bravade résidait justement dans le fait que Me Wade était prêt à pactiser avec les puissances les plus obscures de la société pour se maintenir au pouvoir.
Le “Pape du Sopi’’ avec qui il entretenait des relations personnelles somme toute cordiales, avait ainsi sapé des équilibres fragiles de la société sénégalaise.
La montée en puissance des “jeunes loups’’ de la politique confirme bien cette tendance “dégagiste’’ qui n’intègre pas seulement la classe politique actuelle, mais aussi de tout ce qui lui serait… apparenté. Donc, France dégage aussi !
Le projet prend forme et cherche des parrains. Il procède par séduction, référence au discours panafricaniste. Qui mieux que Lumumba ou Sankara pour incarner cela ? Et par occupation aussi de l’espace laissé par des politiques impatients et guidés par l’appât du gain.
L’impression qui se dégage aujourd’hui est, comme qui dirait, le refus de la vraie réflexion, dans un camp comme dans l’autre. Il ne faut surtout pas fouiner dans le tréfonds des leaders du mouvement. Il ne faut surtout pas parler du “derrière du roi’’, de ses amitiés douteuses, de ses ''phobies/philies'', le turban fait l’homme et la cause se suffit à elle toute seule. On ferme les yeux, quitte ensuite à vivre la pire des désillusions, comme ce fut le cas avec le “panafricaniste’’ Me Abdoulaye Wade qui n’hésita pas à prononcer, avant terme, depuis Benghazi, l’oraison funèbre d’un Kadhafi pourtant très utile au continent africain, malgré son côté obscur.
De l’autre côté aussi, celui du camp de l’ordre régnant, la stratégie qui prévaut est celle de l’autruche. Il faut enfouir sa tête le plus profondément possible sous terre, pour ne pas voir cette “laideur’’ ambulante qui a donné un avant-goût de ce qu’elle pèse lors des manifestations ayant suivi la victoire à la dernière Can des Lions.
L’on caricature à souhait ces jeunes dont la seule présence serait virtuelle, puisque leur monde, c’est la Toile. On en oublie que ces outils ne sont plus si nouveaux que cela. Et que le jeune de 16 ans qui vote donc en 2024, qui n’avait que 6 ans lorsque Macky Sall accédait au pouvoir, ne connaît que ce monde. Qui est totalement le sien. L’une des tares d’ailleurs du régime réside dans cette méconnaissance totale de cette frange jeune, de ses pulsions réelles, de ses rêves, de ses angoisses et de ses fragilités réelles liées à l’âge. Comment prendre en charge ce qu’on ne connaît pas ? On en oublie qu’on a été jeune et ce qu’on pouvait se permettre à ses 20 ans, peut aujourd’hui nous rendre bien honteux. Bref, “l’ordre ancien’’ que même les cinquantenaires symbolisent, vu la jeunesse de notre population (plus de 52 % ont moins de 20 ans), semble gaga. Pire, personne ne semble être dans les bonnes dispositions de dire la “vérité au roi’’ qui a curieusement passé ces dernières années à créer et à gonfler des opposants (Sonko, Guy Marius Sagna, Barthélemy) grâce aux merveilles de sa machine à fabriquer des leaders. Tout un programme ! L’ami Amath en pleurerait de peine !